Chapitre 1 partie 2

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Après avoir contourné la gare il pénétra dans le quartier Antigone, toujours aussi bouché que le reste du centre-ville. Heureusement ils n'étaient plus très loin de leur objectif, le parking Europa près du Lez. Une fois entré dans le dédale, Jean repassa en première et s'attira de nouveau des regards hostiles parmi les passants circulant entre les véhicules. Dans ce sous-sol le son résonnait fortement et il aurait dû rester en seconde pour atténuer le bruit, mais on était lundi et il n'avait pas envie d'être conciliant.

Quelques minutes plus tard ils étaient enfin arrivés sur la Place . Les commerces et les cafés étaient déjà ouverts depuis longtemps et des gens flânaient aux terrasses, une tasse à la main.

– Je me demande quand est-ce qu'ils bossent tous ces cons-là, à prendre la pause chaque matin pendant des heures avec leur café, lâcha un Jules grognon.

Jean s'arrêta un instant pour regarder les clients des cafés, la plupart étaient en costar cravate.

– Bah, ce ne sont que des banquiers ou des agents d'assurance qui s'entrainent aux relations publiques entre eux, répliqua-t-il. Et puis c'est un travail exigeant de perdre....heu gérer l'épargne des p'tites vieilles.

Les deux compères ricanant se présentèrent finalement devant leur lieu de travail, dans l'un des angles du U formé par les bâtiments de la place.

Techno 34 était une société jeune et dynamique de services informatiques qui occupait une partie du rez-de-chaussée et deux étages à proximité de la piscine olympique d'Antigone. C'est ici qu'ils s'étaient connus il y a un peu plus de deux ans lorsque Jean avait été embauché. Leurs bizarreries respectives les avaient rapidement rapprochés et il soupçonnait que son ami était plus ou moins le souffre-douleur du reste des employés, du moins avant son arrivée.

Devant la porte Jean inspira un bon coup. Une belle journée de travail productive était devant lui, se dit-il pour se motiver. L'air froid et sec de la climatisation les accueillit sur le palier, ainsi que le sourire niais de la Belle Jacqueline, la secrétaire de l'accueil. Jean la surnommait ainsi par dérision car la pauvre Jacqueline n'avait pas grand-chose pour elle avec sa face de groin et ses kilos en trop. Elle les salua cependant aimablement et Jules lui répondit avec entrain tandis que Jean grognait un vague bonjour.

– Toujours aussi aimable...

– C'est parce que je n'aime pas les lundis.

Jacqueline lui sourit de toute ses dents jaunies par le café et le tabac, comme si lui arracher une phrase complète était déjà une victoire.

– Oh, comme dans la chanson de Bon Jovi ? I don't like mondays, se mit-elle a chantonner.

Elle semblait si fière de sa petite référence que Jean ne put résister à l'envie de lui faire la leçon.

– En fait, c'est juste une reprise de la chanson des Boomtown Rats. Et savez-vous d'où vient cette chanson ?

Elle fit non de la tête, toujours souriante.

– A San Diego une jeune fille a un jour ouvert le feu sur une école, tuant le directeur et des élèves. Lorsqu'on lui a demandé le pourquoi de son geste, elle a simplement répondu qu'elle n'aimait pas les lundis et c'est devenu culte.

Tout à son récit Jean ne regardait plus la femme horrifiée par son histoire. Son ton était devenu rêveur alors qu'il se rappelait les images du vieux reportage qui lui avait pour la première fois conté cette histoire.

Jules fini par le trainer vers les bureaux.

– Bravo tu viens de terrifier cette pauvre femme, lui reprocha son ami. Tu devrais garder ça pour les autres.

– Et en parlant d'eux...

Ils venaient d'arriver en vue de la machine à café où plusieurs employés prenaient une dose de carburant en échangeant des ragots avant le branle-bas de combat. Jean aurait préféré les éviter, mais ils devaient malheureusement passer devant eux pour accéder au reste des locaux. Alors qu'ils saluaient le groupe il remarqua Clarisse, un gobelet à la main, qui faisait la conversation à une autre femme. Dès son arrivée il avait eu le coup de foudre pour cette belle rousse plantureuse à la peau laiteuse, typiquement son genre de femme. En croqueuse d'hommes avertie elle l'avait bien compris elle aussi et en avait un peu usé, avant de le ridiculiser.

– Encore parmi nous Jean ? Comme on ne te voyait plus très souvent je me suis dit que tu avais dû trouver mieux ailleurs, lança-t-elle insidieusement, comme si elle ne savait pas pourquoi on le voyait moins dans les bureaux.

Jean eu un petit sourire crispé et refusa de croiser son regard inquisiteur. Il devait prendre garde à ne pas trop baisser les yeux sinon elle allait encore se plaindre qu'il lorgnait sur ses seins. Et dire qu'il était allé jusqu'à remorquer la voiture de cette garce lorsque trente-cinq centimètres de neige étaient tombés sur la ville l'année précédente.

Alors qu'il ruminait encore le souvenir de ce douloureux après-midi où il avait rampé dans la boue et la neige fondue pour elle, une main s'abattit dans son dos. Son propriétaire, Bruno le nouveau directeur des ressources humaines, poursuivit son accolade avec insistance tandis que Jean le regardait avec un air peu aimable.

– Alors Jean Neige ça roule ? Ne prend pas froid dans la crypte, lui lança un Bruno grimaçant alors que l'assistance éclatait de rires comme à son habitude.

Tout avait commencé le jour où le DRH, en homme de culture et fan de Game of Trônes, leur avait appris que John était l'Anglais de Jean. Une vague ressemblance avec l'acteur au regard de chien battu en haut de son mur de glace avait suffi à faire le reste. Désormais tout le monde ou presque l'appelait Jean Neige au bureau, pour son plus grand agacement.

Déjà que la série lui tapait sur le système à être sur toutes les lèvres depuis des mois, il n'en pouvait plus. Impossible d'y échapper pour Jean qui en était venu à la haïr presque autant que ses idiots de collègues. Tous n'étaient que des veaux à regarder la même chose en boucle tous les ans, année après année. Ils étaient comme des drogués, à attendre leur dose de cul et de trahison improbable, comme des bestiaux attendant la bouffe au zoo.

Jean avait parfois l'impression de ne vivre que dans l'attente de l'annonce de la mort de l'auteur des livres, histoire de priver tous ces cons de la fin et de jouir de leur déception. Mais en attendant ce jour béni il devait continuer à subir les railleries et les discussions interminables sur qui allait baiser qui à la prochaine saison, dans tous les sens du terme d'ailleurs. Heureusement son bureau isolé lui permettait d'éviter en partie cette avalanche de fantaisie bas de gamme.

– Pire qu'une bande de collégiens, lui glissa un Jules compatissant mais qui pouvait difficilement cacher son soulagement de ne pas être la cible de ces moqueries. En même temps c'est ça de travailler dans une boite remplie de gamins de moins de trente ans, ajouta-t-il comme si cela expliquait tout.

Jules ayant pour nom de famille Bonnet, il avait lui aussi droit à quelques piques même s'il passait au travers de l'averse de la connerie humaine. En fait il y semblait plutôt imperméable là ou son ami ne pouvait s'empêcher de s'agacer.

Jean pour sa part se sentait surtout proche de ces salariés américains, qui un jour craquaient et débarquaient sur leurs lieux de travail pour flinguer tous leurs collègues. Et pour cette jeune fille qui avait un jour refusé d'aller à l'école le lundi et inspiré des chansons. Il s'imagina à son tour attaquant Techno34 à l'arme lourde, triant les employés entre ceux qu'il épargnerait et ceux qu'il abattrait. Songer à posséder un absolu droit de vie ou de mort, même sur de pareils idiots, avait quelque chose de grisant.

Mais comme toujours il fallait revenir à la réalité. Il ne savait pas où trouver une telle arme et encore moins s'en servir. Sans compter qu'il se dégonflerait probablement bien avant de toucher à la première cartouche. De toute façon il avait déjà l'habitude des moqueries au sujet de son nom. Même si au collège c'est plutôt le fait qu'il s'appelle Charpentier qui était source de mauvaises blagues.


Le Tueur du 18-25Où les histoires vivent. Découvrez maintenant