Chapitre 1 partie 1

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Chapitre 1

Jean Charpentier était en train de chercher un filon quand son téléphone sonna. Certes ce n'était pas du vrai minerai, car il était dans un jeu vidéo, mais c'était tout de même un gisement de métal rare et précieux. Il hésita d'abord à répondre. En plus il était très tôt, il apercevait à peine la lumière du soleil à travers ses volets baissés. Qui pouvait le déranger aux aurores ? En plus il avait prévu de se faire une petite heure de sommeil avant d'aller au boulot. C'est qu'il n'avait pas dormi de la nuit à reporter d'heure en heure le moment d'aller se coucher. Il appelait ça l'angoisse du lundi matin. Incapable de s'endormir il somnolait souvent sur des jeux en lignes en rêvassant jusqu'à l'aurore.

C'était comme une sorte de vertige, il avait peur de tomber dans un gouffre et de ne plus en sortir s'il se laissait aller. Le reste du temps il n'était pourtant pas insomniaque, seulement le dimanche soir où un mal-être irrationnel prenait le dessus. Mais il n'avait jamais cherché à se faire soigner. C'était ses angoisses et ils les traitaient à sa manière, en s'aidant des jeux et d'internet.

Une nouvelle sonnerie retentit et le força à émerger de sa rêverie. Il finit par se décider à attraper son portable et regarda qui l'appelait.

– Oui ? Jules ?

– Salut mon pote ! crachota une voix dans le portable. Ma voiture me lâche, tu peux passer me prendre en allant au boulot ?

Il s'étira sur sa chaise et chercha l'heure du regard, sept heure dix. Au final il n'aurait peut-être même pas eu le temps de se prendre son heure de sommeil.

– Il est encore tôt Jules et je dormais, mentit Jean pour le faire se sentir coupable. Tu pourrais largement y aller à pied et ça te ferait du bien.

– Bâtard ! Pour arriver en sueur et bouffer du pot d'échappement ? Aller soit cool, c'est pas un gros détour.

Jean soupira. On était lundi donc il était temps de se secouer pour attaquer la semaine et Jules, bien qu'un peu encombrant, était son seul véritable ami, alors autant ne pas le perdre pour un service de rien du tout.

– Ok, j'essaie d'être là d'ici trente minutes mais tu m'en dois une, d'autant plus que tu m'as réveillé en avance.

Il raccrocha sans attendre la réponse et se leva pour se préparer avec peu d'entrain.

En regardant dans le miroir de sa petite salle de bain celui-ci lui renvoya l'image d'un jeune homme fatigué avec une barbe de trois jours. Comme il n'avait jamais fait tomber les filles comme des mouches il ne faisait guère d'effort en dehors de celui du rasage en semaine. Cheveux bruns sombres et bouclés en pagaille, un visage quelconque à l'air triste et le teint un peu pâle, voilà l'image qu'il avait de lui-même. Il se fit la remarque qu'il devrait sans doute prendre un peu plus le soleil, peut être en allant à la plage. Problème, il n'aimait ni le soleil ni la foule. Et il n'aimait vraiment pas les lundis.

Un quart d'heure plus tard, rasé et habillé, il grignota en vitesse une biscotte et avala un thé trop chaud en se brulant la langue. Généralement il prenait son temps au petit déjeuner et n'aimait pas être dérangé dans sa routine, mais pour Jules il ferait une exception.

Par la baie vitrée de son appartement il jeta un coup d'œil à la Rue Ribot. Il vit les gens aller d'un pas pressé vers leurs voitures ou se diriger vers l'avenue d'Assas pour prendre le bus. Ils lui faisaient penser à des fourmis à s'afférer ainsi, mais il devrait bientôt rejoindre le flux.

Il quitta son petit deux pièces en hâte et descendit l'escalier qui le conduisit au rez-de-chaussée sans croiser personne. Le 22m² qu'il louait se situait au premier étage d'une petite résidence essentiellement occupée par des étudiants. Ceux-ci devaient déjà être partis pour les cours, ou bien faire la grève, allez savoir...

A Montpellier son salaire ne lui permettait guère mieux s'il voulait mettre de l'argent de côté. De côté pour quoi faire ? Lui-même ne le savait pas vraiment. A vingt-huit ans il suivait juste les conseils de sa mère qui prétendait qu'il valait mieux épargner dès que l'on pouvait. Astrologiquement il la soupçonnerait d'être un peu écureuil, si jamais le signe existait. De toute façon il n'avait pas besoin de plus de place vu qu'il n'était pas en couple. Il préférait largement investir dans un PC haut de gamme et un abonnement Netflix, plutôt que dans de l'espace vide.

Une fois dans la rue il se dirigea vers sa Rocky Daihatsu couleur bordeaux garée sur le trottoir qu'il sautait sans difficulté. Le moteur diesel hurla comme un camion lorsqu'il démarra et il vit avec satisfaction des gens tourner la tête dans sa direction, comme à chaque fois. Conduire son 4X4 japonais rugissant était l'un de ses grands plaisirs. La voiture datant de 1988 et le modèle étant bien plus ancien, elle n'était pas tout à fait aux normes modernes d'émissions sonores ou de pollution. Mais elle était solide comme un roc et le lourd pare-buffle accroché à l'avant lui donnait un peu une allure de véhicule blindé qu'il affectionnait particulièrement. Il quitta le trottoir en laissant un nuage noir du plus bel effet dans son sillage.

Pour rejoindre Jules il dut s'éloigner du centre-ville, remonter l'Avenue d'Assas vers l'ouest avant de la quitter pour la rue Las Sorbes. Tout en roulant il lança de la musique, une compilation de métal du début des années 2000. Jean avait fait installer un lecteur CD moderne à la place de sa vieille autoradio, sa voiture ne lui ayant couté que deux mille euros à l'achat il avait pu se permettre quelques folies.

Un dernier virage à droite et il arriva sur l'Avenue de la Gaillarde où se trouvait la résidence de son collègue. C'était une voie étroite malgré sa qualification d'avenue, et souvent encombrée de gamins à cause du collège qui s'y trouvait. Bizarrement Jules était toujours très fier d'annoncer le nom de l'avenue, comme s'il l'avait lui-même baptisée. Celui-ci était au bord de la route et il sauta dans le véhicule sitôt qu'il s'immobilisa et Jean repartit de suite en direction du centre.

Jules se roula une cigarette sans rien dire et la savoura, une fois au bureau il devrait s'en passer pour la journée. C'était un homme brun et rondouillard de taille moyenne qui avait dépassé depuis peu la trentaine, son visage ovale affichait toujours un air jovial et détendu. Il prit finalement la parole au moment où ils passèrent les arceaux et s'enfoncèrent dans les ruelles déjà embouteillées du centre-ville.

– Tu sais, je me sens beaucoup moins coupable de fumer lorsque je vois la centrale à charbon qui te sert à te déplacer. D'un coup je trouverais presque justifié les nouvelles lois anti-diesel de notre cher gouvernement.

– Me les casse pas ! Elle ne fait que du neuf litre au cent et vu que le Lez déborde maintenant un an sur deux je serais bientôt le seul à pouvoir circuler lors de la « mousson d'automne ».

Jules ricana en entendant cela. Il ne pouvait savoir que son ami avait réellement acheté un véhicule tout terrain à la suite d'un accident survenu près de chez lui qui avait couté la vie à deux personnes, noyées dans leur voiture citadine suite au débordement d'une rivière.

– Pas faux, repris Jules. Cette putain de ville sera bientôt devenue un milieu tropical et ton tracteur m'a l'air plus fiable qu'une Twingo. D'ailleurs tu sais que ce sont probablement les chemtrails qui provoquent tous ces changements ?

Jean soupira, Jules était un complotiste convaincu qui avait du mal à ne pas ramener la moindre conversation sur son sujet de prédilection. Il postait des articles sur le net et se considérait comme un des principaux lanceurs d'alertes français, des citoyens concernés qui se dévouaient pour prévenir le public des nombreux dangers qui pouvaient le menacer sans que le gouvernement ne le tienne au courant.

Jean lui était moins jusqu'au boutiste dans ses théories et il savait faire la part du vrai et du faux. Par exemple il ne doutait pas, contrairement à Jules, de la véracité des missions Apollo. Mais il savait en revanche que les vraies technologies utilisées n'avaient jamais été révélées au public. Développées en secret dans la « zone 51 », elles avaient probablement des décennies d'avance sur ce que la Nasa était autorisée à montrer.

Jules continua à déblatérer sur les mensonges du réchauffement climatique et Jean se dit que c'était un ami bien excentrique que celui-là. Heureusement qu'il était là pour le soutenir sinon le pauvre Jules aurait été bien seul au milieu de tous ces moutons crédules.


La théorie des chemtrails avance que les traînées blanches créées par le passage des avions en vol sont composées de produits chimiques délibérément répandus pour des raisons aussi variées qu'obscures

Le Tueur du 18-25Où les histoires vivent. Découvrez maintenant