Chapitre 23 - À partir de combien de litre de sang il faut s'inquiéter ? -

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DEVON

La nuit est tombée depuis déjà pas mal de temps et je suis à bout de forces. Mes jambes sont en comporte avec toute la route accumulée sur deux jours et mon dos rejoint rapidement le lot à force de porter le poids de Kayla. Elle n'est pas très lourde, mais devoir la porter sur des centaines de kilomètres tout en tentant de marcher vite n'est pas une mince à faire et je me sens à deux doigts de lâcher l'affaire.

Ça fait déjà des heures et des heures que nous avons quitté la station-service et Kayla n'a pas tenu très longtemps. Au bout de quelques kilomètres, le malaise l'a rattrapé et elle a malheureusement fini par s'effondrer. Le pull qui lui servait de garrot était désormais gorgé de sang et je savais que c'était mauvais signe. La plaie refusait de se refermer et j'allais devoir la recoudre rapidement.

C'est pour cela que malgré la fatigue et l'épuisement musculaire, je ne fais aucune pause pour la nuit. Je continue de marcher en traînant Kayla comme je peux pour ne pas perdre de temps. Ce n'est vraiment pas évident et j'ai dû abandonner nos sacs à dos en chemin pour pouvoir entièrement me concentrer sur elle. Elle paraît vraiment mal en point. Même dans la noirceur de la nuit je parviens à voir son teint pâle et ses forces la quitter. Il faut que j'accélère avant qu'il ne soit trop tard.

Je ne sais pas combien de temps à peu près il nous reste, mais je ne prends pas la peine de faire la moindre pause ni même de me reposer ne serait-ce que cinq minutes. Chaque seconde compte et je sais qu'on devrait bientôt arriver à la maison. Je ne sais pas comment j'y parviens, mais je marche encore plus vite que lors de l'allée alors que je tiens un être humain (de petites tailles certes) dans mes bras.

Je me sens comme Hulk. Un être qui, poussé dans ses retranchements parvient à accomplir des miracles qui dépassent en temps normal ses capacités. Et bien il en est de même pour moi. Je pense que je me serais déjà écroulé de fatigue depuis bien longtemps si la vie de Kayla n'était pas en jeu. Sauf que c'est le cas et je ne compte pas la laisser mourir. Personne ne peut savoir la peur que j'ai ressentie lorsque j'ai entendu le coup de feu. À ce moment-là, je me trouvais encore dans la forêt et je priai pour qu'elle parvienne à trouver de l'aide. Sauf que lorsque j'ai entendu la détonation, j'ai compris qu'elle était en danger et j'ai couru aussi vite qu'il m'était possible. Lorsque je n'ai vu à terre, morte de peur tandis qu'un homme était sur le point de mettre fin à ses jours, j'ai vrillé et j'ai tiré.

~ ~ ~

Je n'en peux plus. Ça devient trop dure que je ne suis pas sûr de parvenir à tenir encore longtemps. J'ai beau puiser dans mes forces au maximum, mes muscles refusent de coopérer. Kayla s'est réveillée quelques fois ces dernières heures, mais jamais très longtemps. Elle repartait à chaque fois dans l'évanouissement, me laissant de nouveau dans le silence et dans ma seule compagnie.

Après quelques mètres encore, la forêt se stoppe soudainement et j'arrive enfin à apercevoir la maison. Je dois me contenir pour ne pas hurler de joie tant je me sens soulagé. 

Je me mets donc limite à courir et entre en trombe dans la maison, manquant de faire tomber Kayla dans mon empressement. J'ai beau être épuisé, je ne me laisse pas abattre et monte les escaliers aussi vite que j'en suis capable pour rejoindre ma chambre. Je pose Kayla sur le lit et file dans la salle de bain me laver les mains et chercher la trousse de secours que j'avais vu il y a quelques jours. J'y sors des compresses, du désinfectant et une aiguille et du fil spécialement conçu pour recoudre des plaies. Je ne sais pas pourquoi j'ai tout ça ici, mais j'en suis bien heureux aujourd'hui. Avant de commencer à la soigner, j'allume la lampe de chevet pour être certain de bien voir, puis retourne dans la salle de bain chercher des serviettes propres (à mon avis les compresses ne seront pas assez).

Une fois que je m'en sens prêts, je prends une grande inspiration et commence mon opération chirurgicale improvisée puisque je ne suis pas médecin. Je retire délicatement la manche de mon pull que j'avais enroulé autour de la plaie et observe les dégâts.

Lorsque le sang commence à jaillir et recouvrir la plaie, je me mets à paniquer et me demande si je n'aurai finalement pas dû dire à Kayla d'aller se faire foutre et d'aller à l'hôpital. Je suis incapable de gérer ce genre de choses et je me rends compte que le pourcentage de change que je parvienne à la sauver frôle le néant. Elle a perdu bien trop de sang et la blessure est trop grave pour que je puisse faire des miracles. Je pense que la seule chose que je peux faire est m'assurer que ça ne s'infecte pas et recoudre la plaie (qui visiblement est des deux côtés de la jambe puisque la balle l'a heureusement traversé).

Mais je ne perds pas une seconde de plus et me mets à la recoudre. Je ne vais pas mentir, cette tâche n'est pas des plus faciles, mais une fois que je parviens à trouver le rythme, plus rien ne parvient à me détourner de mon objectif. Mes mains sont couvertes de sang, mais ce n'est pas grave. Kayla est plus importante que tout ça. Pourtant, j'ai beau être concentré sur ma tâche, l'odeur du sang fait remonter de très mauvais souvenirs et une soudaine envie de vomir me vient. Je revois ma mère et mon frère, hurlant de douleur tandis que ce connard de Greg les torturait jusqu'à la mort, me torturant par la même occasion. C'est plus fort que moi, je n'arrive pas à faire reculer ces souvenirs, mais je ne peux pas les laisser me submerger. Kayla compte sur moi et je ne veux pas avoir une nouvelle mort sur la conscience. J'ai déjà du mal à vivre en sachant ce que je lui ai fait, je ne veux pas en plus me dire que j'aurai pu la sauver mais que je n'y suis pas parvenu.

Heureusement, je finis rapidement et désinfecte une nouvelle fois. Je prends ensuite son pouls et remarque qu'il est très faible. Putain, faites qu'elle survive...

Environ une heure plus tard passée à son chevet à me demander comment on a pu en arriver là, je sors de la pièce et pars respirer devant la maison. Je m'assois le dos contre la porte d'entrée et couvre ma tête de mes mains.

Je n'arrive pas à retirer ces images de ma tête. Je ré-entends sans cesse les coups de feu et revis à chaque fois la panique que j'ai ressentie lorsque j'ai compris qu'ils venaient de la station-service. Celle boule au ventre que j'ai eu en courant la rejoindre le plus vite possible tout en sortant le flingue du sac. J'avais besoin de m'assurer qu'elle allait bien. Qu'elle n'était pas en danger et que c'était une fausse alerte. Mais malheureusement, rien de tout ça n'était le cas et j'ai cru perdre la tête lorsque j'ai vu que cet homme comptait lui tirer dessus. Il allait lui faire du mal et je refuse que qui que ce soit la touche. Je sais que c'est culotté de ma part sachant ce que je lui ai fait dans le passé, mais je ne peux m'y résoudre.

J'ai essayé de m'éloigner d'elle plusieurs fois ces derniers jours, parce que j'avais peur de sa haine contre moi et de la brutalité avec laquelle je l'ai tiré dans cette maison, mais j'avais beau lutter pour la tenir éloigné, il y avait toujours quelque chose qui me poussait à lui parler, ne serait-ce que pour l'embêter et le faire sortir de ses gonds. Je sais que c'était la pire idée du siècle de m'attacher à elle et de vouloir apprendre à la connaître alors qu'elle partirait bientôt, mais je n'ai su m'en empêcher. Peut-être que si j'avais laissé cette barrière entre nous deux, je ne serais pas aussi touché par le fait qu'elle soit en danger et actuellement dans les vapes. Sauf que là, je ne peux empêcher cette inquiétude de me tordre l'estomac et c'est une mauvaise chose. Je ne me souviens pas de grand-chose de ces dernières années, mais une chose est sûre, de ma vie entière, jamais personne n'a compté pour moi si ce n'est ma mère où Éliott. Éprouver de l'affection pour Kayla (amicale ou non) n'est pas dans mes projets et il va falloir que je me reprenne. Surtout que désormais qu'elle est blessée, je ne suis pas sûre qu'elle soit de nouveau capable de traverser une nouvelle fois toute la forêt avec sa jambe. Ça veut donc dire que la colocation continue pour nous et que ça va devenir un enfer si je ne parviens pas à installer une barrière entre nous.

Pile ou FaceWhere stories live. Discover now