ULTRAVIOLENCE • T2

42.

- Quoi ? 

- Épouse-moi, répète t-il. 

J'ai chaud et j'ai froid en même temps. Je me sens traversée par une immense vague de peur, d'amour, et d'autre chose. Je ne sais plus où j'en suis, je ne sais plus où je suis, le monde semble tout d'un coup s'être tut et me laisse seule avec cette demande qu'il vient de me faire. Cette demande en mariage. Et rien que d'y penser, de mettre des mots sur ce qu'il vient de se passer, je me sens déjà submergée. 

- Je suis sérieux, Violence. 

- J'avais compris, je murmure. 

- Tu es libre de dire non. Je suis conscient que c'est beaucoup, que je reste un criminel, et que tu n'est sûrement pas prête. Et si tu dis non, ça ne changera rien.

Ses yeux sont plongés dans les miens, et contrairement aux miens d'ailleurs, ils ne flanchent pas une seule seconde. Ils continuent de me fixer même si je me détourne, ils ne vacillent pas, ils sont fermes : il sait ce qu'il veut, et ses paroles sont sincères. C'est généralement ça qu'il fait lorsqu'il me dit quelque chose d'important. Punaise, il vient de me faire une demande en mariage, et moi je suis censée y répondre, parce que c'est qu'on fait dans ces cas-là, non ? On répond. Incapable de prononcer un quelconque mot, je cherche en moi les ressources nécessaires pour me calmer et reprendre depuis le début, faire le point. 

- On a l'habitude de dire à la personne qu'on aime qu'elle a changé notre vie... Toi, tu as amélioré ma vie, dit-il. 

Il se lève du fauteuil et là, je me dis qu'il va poser un genoux à terre - si il le fait, je vais m'évanouir, c'est sûr. Mais il n'en fait rien, glisse seulement ses mains dans ses poches, plus à l'aise debout. Je n'arrive pas à y croire. C'est tellement soudain, tellement intense, tellement particulier que je n'arrive même pas a y croire, et je le regarde sourire faiblement toujours en me regardant. Ses traits sont détendus, calmes, et indirectement, ils induisent chez moi un effet miroir qui me permet de m'apaiser. 

- Je suis lié à Alexei par la mort, et je veux être lié à toi par la vie. Je sais que ce qu'on a, c'est spécial, et je sais que tu le ressens aussi. 

Je ne peux m'empêcher de hocher la tête. 

- Le fait de s'appartenir, de se sceller nos vies l'une à l'autre, de rendre les choses officielles, c'est ce pour quoi les gens se marient...

Il y a un silence. Les yeux toujours dans les miens, il a un autre petit sourire avant de retrouver comme d'habitude son air sérieux. C'est vraiment en train d'arriver, il me demande en mariage, et je n'ai aucune idée de ce que je dois faire, de ce que je suis supposée faire. Le tourbillon m'aspire, j'ai la tête qui tourne.

- Mais moi, je voudrais qu'il reste une trace de notre union, quelque part sur cette terre, murmure t-il. C'est ça, ma vraie raison. 

Je me lève lentement. 

- Je ne veux pas que les sociétés disparaissent, qu'une autre galaxie nous percute, que nos os se fossilisent, sans qu'il y ai une trace de nous deux ici. 

Du plus fort que je peux, je retiens mes larmes et je m'avance vers lui. Il y a un instant où nous sommes face à face, et le pli apparaît lentement entre ses yeux ; je me dépêche de déposer lentement mon pouce dessus, et pratiquement immédiatement, le pli disparaît. Il ferme les yeux à ce contact, et les rouvre quelques secondes après. Je déglutis. Même si je le connais, même si je l'aime, même si ce que nous avons est spécial, Thaddeus reste quelqu'un qui a tué d'autre humains, quelqu'un de dangereux, quelqu'un qui m'a fait du mal. Est-ce que je veux me marier à cet homme ? Est-ce que je veux que ma vie, soit, pour toujours, gravée à côté de la sienne ? Est-ce que pour le restant de l'éternité, est-ce que dans l'histoire de l'Histoire, je veux que nos noms soient rattachées ? Au fond, je sais déjà la réponse, parce que j'ai pu douter de beaucoup de choses dans ma vie, mais jamais de cette chose étrange, intime et spéciale qui nous lie. Ce n'est pas tant une hésitation qui m'habite, c'est " et si j'étais en train de faire le mauvais choix ? ". Mais pour fois, et aussi étrange soit-il, ma conscience et mon coeur sont accordés sur la même chose. Je le veux. Je le veux lui et pour toute la vie, même si la vie est courte.