20.

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J'ouvre les yeux lorsque la voiture s'immobilise. 

Nous avons roulé toute la nuit et je crois m'être endormie à un moment donné, même si je m'étais promis de ne pas le faire, parce que j'étais épuisée. Thaddeus éteint les phares de la Cadillac, coupe le contact et je descend de la voiture en reconnaissant le manoir de Netherton sous les premières lueurs du jour. En silence, je l'observe prendre ses affaires dans le coffre et nous remontons le petit chemin jusqu'a la porte d'entrée qu'il ouvre. Je rentre à l'intérieur, ankylosée, mais le choc est passé. Je balaye des yeux l'endroit, cette entrée où je l'ai vu revenir couvert littéralement de sang, cet escalier où ses soldats m'ont fait tomber, ce carrelage sur lequel je me suis fait menotter. Cette odeur ancienne, cette ambiance, je retrouve toutes les sensations que cette demeure m'a donné en l'espace de quelques secondes. 

- Tes affaires arrivent demain. 

Je hoche la tête en fixant toujours le couloir devant moi, sans broncher. Je suis de retour. Je suis de retour à Netherton avec Di Casiraghi, cet homme plus tranchant qu'une lame de couteau, cet homme qui m'a traquée, cet homme qui veut tout de moi. 

- À quoi tu penses ? demande t-il. 

Lentement, je me retourne. Il a l'air fatigué, lui n'a pas dormi du tout et même si il est insomniaque, ça se voit sur son visage qu'il a besoin de repos. Adossé au battant en bois, bras croisés, il m'observe. 

- À... Tout ça, je dis.

- Ne réfléchis pas maintenant. 

- Pourquoi ? 

- Tu auras le temps demain. Là, tu est fatiguée. 

J'inspire profondément et glisse mes mains dans les poches de mon pantalon. L'horloge indique cinq heures du matin et trente-deux minutes, et je me demande si à Atlanta, le barman s'interroge sur la raison de mon absence. Je me demande si à Atlanta, mes clients attendent que je vienne leur faire cours. Je me demande si je manque à Atlanta. Si je manque à Carthage. Si je manque à Londres. Si je manque quelque part, dans une ville ou dans une autre, dans un univers ou dans un autre, dans une vie ou dans une autre. Je me demande si j'ai déjà été signifiante à quelqu'un, à quelque chose. J'ai l'impression de n'avoir qu'effleuré ma propre vie durant ces vingt-quatre dernières années, j'ai l'impression de n'avoir toujours été que quelqu'un de plus, j'ai l'impression de n'avoir été qu'un pion sur un échiquier. Quelque part, que ma propre vie m'a échappé. 

- Ne réfléchis pas maintenant, répète t-il et je reviens sur terre. 

Il y a un silence. 

- Monte, tu dois dormir. 

Et en pleine conscience de mes actes, je ne bouge pas. Je reste là, dans l'entrée, sans bouger et sans suivre ses ordres. J'ai l'impression de plonger la tête la première dans les ennuis et je ne peux m'empêcher de me dire que je vais avoir des problèmes très bientôt au vu de ses yeux qui se plissent légèrement. Il fait un pas dans ma direction, plus directif, et me redemande de monter. Et encore une fois, je ne bouge pas d'un poil, le défiant, résistant à cette emprise hypnotique qu'il a lorsqu'il se montre autoritaire.

- Violence. Monte.

- Sinon quoi ? je souffle. 

En un instant, je me retrouve plaquée contre le mur le plus proche. Mon dos heurte la surface froide et j'inspire un grand coup, piégée entre lui et le mur : il n'a pas l'air docile, ce soir. 

- Sinon, tu te détesteras. 

Je plonge mes yeux dans les siens. Une tension s'installe entre nous, quelque chose qui je le sais, est mal, quelque chose qui pourtant, m'attire très fortement. 

ULTRAVIOLENCE • T2Onde histórias criam vida. Descubra agora