37.

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Il remet lentement sa chemise et la reboutonne alors que je peine à reprendre mon souffle. 

- Je t'en aurais bien donné encore plus, murmure t-il, mais j'ai du travail. 

J'aquiesce. Si nous laissions libre cours à nos désirs, je pense que nous n'en aurions pas fini de si  tôt, et je préfère prendre mon temps pour les explorer lentement. L'intensité de cette tension entre nous est à couper au couteau, j'ai peur que ce soit trop pour mon corps et mon esprit des fois, alors je suis d'accord qu'il faut s'arrêter avant que tout ceci redevienne insupportable. Il glisse sa chemise dans son pantalon et je prends un mouchoir pour me nettoyer avant de remettre moi aussi mes vêtements. Une fois rhabillés, il m'adresse un dernier regard puis quitte la chambre ; je l'entends remonter un étage plus haut et s'enfermer dans son bureau, alors que moi, je redescend. Après avoir dégusté mon dessert, une délicieuse part de crumble au pommes, je m'installe dans un fauteuil et pose ma tête contre le dossier avant de fermer les yeux. Ce que je viens de vivre est tout simplement surréaliste. Je me mords la lèvre quand des flashbacks obscènes traversent mon esprit, et je suis obligée d'inspirer calmement pour réfréner l'envie d'aller frapper à son bureau.  Tourmentée par ma conscience qui ne cesse de me répéter que ce que je viens de faire est mal, est immoral, est contraire à tout ce en quoi je crois et tout ce que je voulais être, j'ouvre les yeux et me lève pour aller chercher un livre. Je choisis un classique, l'Odyssée, et m'installe à nouveau sur le fauteuil. 

Je lis un long moment, plongée dans la vie d'Ulysse et les mots d'Omère, seulement au bout d'un moment mes yeux dévient des lignes, ou les relisent plusieurs fois et je suis obligée de refermer sèchement l'ouvrage. Parce que ce qu'il s'est passé tout à l'heure, c'est exactement comme un contrat d'assurance : tout est tout beau, ça semble être un deal génial, mais seulement, il y a des petites lignes en bas du contrat. Et les petites lignes, sans mauvais jeu de mots, elles vous baisent dès qu'il vous arrive quelque chose. Je n'arrive pas à imaginer que cet homme était celui que je méprisais il y a quelques années, et surtout, je n'arrive pas à imaginer qu'il va mourir. Pourtant je n'ai toujours aucune réponse de sa part quand à tout ça, et hier soir lorsque j'en ai parlé, il m'a coupé directement. Je crois que ce n'est pas un sujet dont il aime parler. Un soupir de ma part vient troubler le silence. Je ne le forcerais jamais à en parler, bien sûr, mais au fond je ne peux pas m'empêcher de vouloir plus d'informations sur ce qu'il a. Comment si je devais me préparer à l'inévitable, comme si sans le vouloir, je cherchais à me battre à ses côtés. Mais seulement, est-ce une bataille pour lui ? Est-ce que c'est là depuis longtemps ? Pourquoi est-ce qu'il me l'a dit ? Est-ce qu'il a des médicaments, un traitement ? Combien de temps ça lui donne ? Des années ? Moins ? Quel avenir est-ce qu'il prévoit avec cette tumeur ?  

- Tu est pensive. 

Je me retourne. Thaddeus s'avance vers moi jusqu'a s'asseoir dans le siège en face, et nous nous toisons en silence. 

- Je pensais que tu dormais. 

En fronçant les sourcils, je jette un coup d'oeil à mon téléphone : minuit passé. Merde, j'ai lu tard et je n'ai pas vu l'heure tourner.

- À quoi est-ce que tu pensais ? 

- À... 

Il croise les bras. 

- À ?

- À ta tumeur. 

Petit silence et je détourne le regard. 

- Tu as fini de travailler ? je demande. 

- Pour ce soir oui. 

La tournure de la phrase me fait légèrement sourire : oui, pour ce soir seulement, car il ne s'arrête jamais. Les affaires tournent en permanence, comme son stylo entre ses doigts, et je pense que c'est aussi grâce à son acharnement que l'organisation pèse autant dans le monde du crime. J'admire son ambition, son acharnement, sa dévotion complète à son travail, c'est peut-être même ce que j'admire le plus chez lui. 

ULTRAVIOLENCE • T2Where stories live. Discover now