35.

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Ma petite valise en main, j'attends devant le comptoir de la réception que la dame finisse de mettre le compte de la chambre sur le solde de Di Casiraghi. Je ne suis pas retournée au manoir hier, et l'heure sur l'ordinateur de la réceptionniste indique dix-sept heures trente-huit ; cela fait presque deux jours que nous ne nous sommes pas vus. Et quelque part, j'ai hâte d'y aller. 

- Et voilà, me sourit-elle. 

- Merci beaucoup, bon courage, bonne soirée ! 

- À vous aussi, madame Di Casiraghi.

Ces trois derniers mots, alors que je m'éloigne du comptoir, me font l'effet d'une gifle retentissante mais comme je suis déjà assez loin d'elle, je ne prends pas le temps de corriger la dame. Une Mercedes attend sagement devant l'entrée de l'hôtel, puisque j'ai dit à Thaddeus que je rentrais en fin d'après-midi, et je pose mon bagage dans le coffre avant de m'installer à l'arrière. Le trajet est un peu plus long que d'habitude à cause du trafic important mais la voiture fini par s'engager dans l'allée et le manoir se dessine peu à peu devant mes yeux, majestueux. Après avoir remercié le chauffeur je prends ma valise, monte les quatre marches et entre dans la demeure silencieuse. Quelques secondes après que j'ai claqué la porte d'entrée, des pas retentissent calmement dans l'escalier et je pose mon manteau sur le porte-manteau avant de me retourner, ayant reconnu ses pas. Di Casiraghi porte une chemise bleue nuit avec une cravate grise et un pantalon noir, il a l'air mieux que la dernière fois où je l'ai vu - c'est-à-dire en train de vomir au dessus des toilettes. 

- Bonsoir. 

- Bonsoir, je réponds. 

Petit silence. 

- Tu pouvais rester encore, si tu le souhaitais, explique t-il. 

- J'avais juste besoin d'être seule pour faire le point, pas longtemps, mais merci. 

Ses yeux dévient sur mes vêtements. J'ai une longue robe en laine noire, ajustée à la taille avec une ceinture blanche, et mes bottines que je m'empresse d'ailleurs d'enlever. 

- J'ai du travail. 

Je hoche la tête et il remonte les marches en sens inverse, alors que je vais me servir un verre d'eau dans la cuisine avant de remonter poser toutes mes affaires. Comme je n'ai pas envie d'être encore seule dans cette chambre, je redescend jusqu'a l'entrée et m'arrête net. Enzo est en train d'enlever lui aussi ses chaussures de sécurité, et il a du sang jusqu'a cou, littéralement ; ses bras en sont couverts, sans parler de ses mains, de ses habits. Quand il s'aperçoit que je suis là, il s'arrête lui aussi dans ses mouvements avant de baisser les yeux et se diriger au premier étage, vers la salle de bain de l'étage. Je le suis, silencieuse, sans trop savoir pourquoi, il commence par se laver les mains. L'eau, dans l'évier, se teinte de rouge. 

- Ils n'auraient pas dû faire ça, commence t-il. Parler de toi et de ta vie, ainsi que celle du patron, c'est une grande marque d'irrespect. 

Oui, ça l'est. 

- C'est Andrea, j'ironise. On sait comment il est. 

Il tourne sa tête vers moi. 

- Si tu veux des excuses, tu peux aller au sous-sol, c'est là que Thaddeus l'a mis. 

C'est là que Thaddeus l'a mis. Mes yeux s'écarquillent alors qu'il remonte ses manches pour laver ensuite ses avants-bras. Est-ce que je viens bien de comprendre ce que je viens de comprendre ? Est-ce qu'Andrea a été torturé et mis en cage après ce qu'il a fait il y a deux jours ? Est-il mort ? Est-ce que le sang qui macule la peau d'Enzo est celui d'Andrea ? Sans plus attendre, je dévale les escaliers et me précipite au sous-sol.  Je m'enfonce dans l'obscurité des marches et prie pour ne pas tomber, et j'aperçois enfin la lueur des néons à laquelle je me fie. Je traverse le couloir, en regardant à droite puis à gauche dans les cellules, jusqu'a trouver celle d'Andrea, tout au fond. Dans celle où j'étais moi-même il y a quelques mois. Il est assis dos au mur, le visage en sang, les yeux fermés, et je le regarde pendant une bonne minute. 

ULTRAVIOLENCE • T2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant