J'ai hésité un long moment avant de passer la porte du bar. Peu de femmes vont au bar et le peu qui y rentrent, viennent soit chercher leurs maris avant qu'ils ne soient trop saoul soit servir de chanteuse, danseuse ou serveuse. Quand je suis rentrée, tous les regards se sont braqués sur moi. Je déteste ça.
- Vous n'avez rien d'autre à mater? demandai-je froide.
C'est comme ça qu'il faut parler aux hommes d'ici. Il ne faut pas passer par quatre chemin et leurs faire comprendre qu'on ne se laisse pas faire. Pour eux, une femme qui a du répondant est une femme à problème. Malheureusement pour eux, ce qu'ils ignorent (ou font exprès d'ignorer, je ne sais pas) c'est que les femmes tiennent leurs langues avant le mariage mais après... oh la la! Elles explosent. Moi, je saute cette étape et je passe directement à l'explosion. Ils m'ont tous foudroyé du regard avant de retourner à leurs occupations. J'ai regardé autour de moi et j'ai fini par trouver mon frère qui était assis à une table juste à coté du comptoir. Il était avec... mon dieu! Louka?
- Niko! l'appelai-je en ouvrant grand les yeux de surprises.
- Dana! Qu'est-ce que tu fais ici? me demanda-t-il en fronçant des sourcils. C'est pas un endroit pour les dames ici.
- Rhooo Niko! s'exclama Louka. Soit pas vieux jeux!
- Il a raison, approuvai-je en pensant pourtant que Louka devait avoir trop bu. Comment se fait-il que tu sois ami avec Louka?
- Vous vous connaissez?
Mon frère était surpris et il nous montrait du doigt avec sa bière.
- Ouais. Je le connais grâce à...
Mais je me suis arrêtée avant de dire son prénom. C'est un peu trop tôt pour moi de parler de lui devant ses amis. Parce qu'en parler à ma mère, ce n'est rien mais devant mon frère et Louka, c'est une autre histoire.
- Grâce à Dimitri, conclut Louka en me faisant un petit sourire timide.
- Viens t'installer avec nous! m'invita mon frère.
- Une bière pour elle! commanda Louka au barman.
- Euh un coca plutôt, modifia mon frère.
Le barman haussa des épaules avant de m'apporter mon coca. Je n'aime pas la bière.
- Qu'est-ce qui t'amènes ici? me demanda mon frère. Tu ne viens jamais au bar donc j'en conclus que tu me cherchais pour quelque chose.
- Maman qui m'a dit que t'étais ici, expliquai-je.
- Maman? répéta-t-il étonné.
Il avala de travers et faillit s'étouffer.
- Oui. Je suis allée la voir pour lui dire au revoir.
- Au revoir? répétèrent-t-ils en même temps.
- Je... je rentre à Paris.
Ils m'ont regardé tous les deux, la bouche grande ouverte. Louka a été le premier a prendre la parole. Quelle grande gueule ce petit là!
- Dana! Tu ne peux pas partir! s'exclama-t-il. Tu ne peux pas laisser Dimi... surtout après tous ce que vous avez traversé!
- Mais il a refusé de partir avec moi! m'exclamai-je. Il m'a même dit qu'il en avait pas envie...
Ils échangeaient des regards inquiets quand ils ont vu les larmes qui commençaient à rouler sur mes joues. Je n'ai pas pu m'en empêcher.
- Dana, dit Louka d'une voix douce. Je suis sûr qu'il ne le pensait pas. Il n'est pas stupide à ce point, quand même. Il ne va pas te laisser partir après tous ce que vous avez fait...
- Il n'a rien fait! m'exclamai-je.
Je me frottai les yeux avec colère. J'avais l'impression d'être une petite fille qui pleure pour un caprice. Louka fronça des sourcils, visiblement pas d'accord et mon frère garda le silence. Il posa juste une main sur mon épaule pour ,peut-être, tenter de me réconforter.
- C'est moi qui est dit la vérité à mes parents! repris-je. Je l'ai choisi. Je l'ai choisi, lui, au lieu de mes parents. J'ai tous fais pour que ça dure... Mais qu'est-ce qu'il a fait lui? Il n'a pas osé le dire à ses parents. C'est tout juste si il l'a dit à ses amis...
- Mais il n'est pas dans la même situation que toi! explosa Louka. Ta famille te comprend, te soutient...
- Presque toute ta famille, corrigea mon frère. Car je suis sure que maman et Iris n'en voient pas d'inconvénient à ce que tu le fréquentes. Papa, c'est une autre histoire...
- Bref, continua Louka en faisant un geste de la main, tu crois que Dimitri oublies de parler de ses parents? Non. C'est un choix. Même si c'est sa famille et qu'il les aime d'une certaine manière, jamais il ne te parlera d'eux car il en a honte. Tu crois que c'est un hasard que toutes ses sœurs sont partis d'ici? Non. Elles fuient leur père qui est un vrai connard lorsqu'il boit. Sa mère est très gentille mais elle a finit par ne plus rien dire parce qu'elle souffre.
Il fit une pause pour boire une gorgée de bière. Ca touche Louka de nous parler de ça. Je me sens idiote. Je me sens stupide. Je ne veux pas le forcer à m'avouer tous ce que Dimitri n'ose pas le faire mais ma curiosité prend le dessus. Je le laisse continuer.
- Avec les autres, on avait du mal à le faire tenir, continua-t-il le regard braqué sur son verre. Il n'avait aucune limite pour essayer de se changer les idées. Puis t'as débarqué et tu l'as remis sur le droit chemin. Pendant des années, on a essayé de le réparer et toi, tu es arrivée comme une fleure et tu as pratiquement réussi en même pas deux mois. J'avais les boules. Pandora aussi. Du jour au lendemain, il a arrêté de boire, de se foutre dans la merde... Il a réussi à garder sa queue entre les jambes. Comme ça, d'un coup. Et maintenant, tu veux partir? Tu ne peux pas. Tu ne peux pas le laisser alors qu'il est devenue quelqu'un de meilleur, pour toi.
- Dana doit partir, intervint mon frère.
- Mais non! s'opposa Louka.
- Même si ça me chagrine qu'elle laisse Dimitri, elle n'a pas le choix, soupira mon frère. Sa vie est en France. Elle a toujours cherché à s'échapper...
Je claqua mon verre sur la table. Je ne supporte pas le fait qu'il parle de moi comme si je n'étais pas là. Je ne m'étais pas aperçue que je m'étais levée. Je n'avais pas non plus remarqué que tout le monde me fixait jusqu'à ce que Niko me tire par le bras pour me forcer à me rasseoir. J'étais en colère.
- Je l'aime. Je ne vais pas le cacher. Mais comme je lui ai dit, je ne peux pas rester ici parce que je vais finir par étouffer! Tout est si archaïque, tout est si ancien... Il y a trop de secret.
- Quel secret? demanda mon frère.
- Le principe d'un secret, c'est de ne pas être révélé, marmonnai-je.
Il me regardait tous les deux en plissant des yeux. Ils savent que je cache des choses.
- Je ne peux pas, repris-je. C'est au dessus de mes forces. Alors oui, je ne veux pas le laisser ici. En particulier avec son père dans les parages et surtout après ce que tu m'as dis. Et bien évidement, je veux rester avec lui! Bien sur. Mais c'est au dessus de mes moyens.
- C'est tellement étonnant, déclara mon frère.
Je me suis tournée vers lui si rapidement que mes cheveux ont fouetté la personne derrière moi.
-Qu'est-ce qui a d'étonnant?
- J'ai toujours pensé que tu tomberais amoureuse d'un bon petit français, dit-il.
- Pourquoi?
- Pourquoi? répéta-t-il hilare. Parce que tu as toujours détesté les hommes grecs. Tu les trouvais trop ennuyeux ou trop collant. Jamais personne ne te plaisait hormis, peut-être, le petit Adrian. Quand tu es partie, j'étais sure que d'ici un an tu reviendrais avec un français et une bague au doigt. Il serait coincé du cu, blond aux yeux bleus et il serait très calme et compréhensif.
- Tout le contraire de moi quoi.
- Exact, approuva-t-il. Pratiquement cinq ans ont passés, Dana. Cinq putain d'années où tu n'as même pas voulu bouger ton cu pour venir nous voir. Bien sur, tu appelais ou tu envoyais des mails mais c'était rare.
- T'es sérieuse, Dana? s'exclama Louka.
Je le fusillai du regard. J'écoutais attentivement ce que me disait mon frère mais cet idiot venait de le couper. C'est la première fois que Niko me dit honnêtement ce qu'il ressent depuis mon départ. Ca me touche, ça me fait mal... mais je veux savoir.
- On s'est habitué au fil du temps, continua mon frère. J'ai commencé à trainer avec Elena. Tu lui manquais beaucoup à elle aussi et pourtant, tu ne lui as jamais écris sauf pour son anniversaire. T'as été une peau de vache sur ce coup là.
- Je suis désolée...
- On a commencé à sortir ensemble, pour tester. Puis, j'ai commencé à tomber amoureux d'elle. Elle est parfaite à mes yeux. Elle me rends la vie meilleure. Quand tu es rentrée, tu étais encore plus sauvage et bourrue qu'avant. Pour tout dire, tu ressemblais beaucoup à Papa. Même si tu avais une attitude de diva parisienne, on est passé outre. Même si dés que tu es arrivée, tu m'as reproché ma relation avec Elena, je n'ai rien dis. Tu as négligé ta meilleure amie qui était toujours présente pour toi. Tu m'as négligé, moi, ton frère. Tu t'es servis d'elle comme alibi pour sortir avec Dimitri. Tu te rends compte? Même après tous tes faux pas, elle ne t'en veut pas. Elle ne t'as même pas dérangé ou demandé pour que vous vous voyiez parce qu'elle espérerait que tu le ferais.
Je me sens minable. Je ne m'étais même pas rendue compte que j'avais négligé ma famille pour passer du temps avec Dimitri. Du temps perdu, en plus. Elena m'a soutenu lorsqu'elle savait ce que je voulais faire. Elle m'a protégé. Tout les jours, elle m'a envoyé des messages que j'ai ignoré. Pourquoi je les ai ignoré? Aucune idée. J'imagine que j'ai oublié de lui répondre... Je me sens coupable.
- Je suis tellement désolée...
- Ca ne changera rien Dana, soupira mon frère. Si je te dis tout ça, ce n'est pas pour que tu culpabilises mais pour que tu comprennes. Je veux que, quand tu retourneras à Paris, tu ne fasses pas la même connerie. Prends de nos nouvelles. Reviens-nous vois quelques fois. Reviens-voir ton neveu pour la baptême. Appelles maman et écris à ma femme...
Il a appelé Elena "ma femme". C'était tellement attendrissant que j'en étais jalouse. Est-il possible que Dimitri m'appelle un jour comme ça?
- Nous sommes ta famille et nous t'aimons. On te pardonneras tout si tu apprends de tes erreurs.
Je me suis jetée dans les bras de mon frère.
- Je te promets que je le ferais, lui murmurai-je à l'oreille. Je vais faire attention.
Il m'embrassa sur le front avant que je me détache. Il me regardait avec fierté. Je suis sa grande sœur et pourtant, il est plus sage que moi.
- Oh arrêtez! Vous allez me faire chialer! s'exclama Louka en pleurant pour de faux.
-Ferme ta gueule! lança mon frère lorsque j'ai ris.
Louka nous fis un doigt d'honneur avant de lever les yeux au ciel.
- D'accord! dit Louka les mains en l'air. Je voulais pas vous vexez...
Il ne riait plus. Il ne disait plus rien. Il restait figé en regardant derrière moi.
- Et merde, jura-t-il en se tapant la main sur le front.