Ils s'aiment comme avant, avant les menaces et les grands tourments.
Je me levais à l'aube, tout excitée de la journée de la veille et des choses qui allaient se dérouler aujourd'hui. J'avais tellement, mais alors tellement hâte !
Ne tenant plus en place, je me levais et rejoignais ma mère dans son lit, il fallait que je la mette dans la confidence !
-Quelle heure il est ? marmonna-t-elle.
Elle avait les cheveux tout emmêlés et les yeux ensommeillés, mais souriait.
-Il vaudrait mieux que tu ne le saches pas, souris-je. Un câlin ?
Elle ouvrit les bras et je me lovais contre elle. Lorsque j'étais enfant,elle me rejoignais souvent dans mon lit, parce qu'elle se sentait seule et démunie. En grandissant, c'était moi qui avais commencé à la rejoindre.
-Tu es un monstre, rit-elle.
-Et attend, tu n'as encore rien vu ! Devine un peu ce que j'ai prévu aujourd'hui ?
-Mon cœur, je dors encore à moitié ...
Je m'asseyais en tailleurs, et m'empêchant de rire, je pris une mine tout à fait sérieuse.
-Alice et moi avons fomenté un plan angélique ! Tonton et Lennie n'ont aucune chance de s'en sortir !
De surprise, elle se redressa contre la tête de lit. Je lui expliquais alors notre plan génial. Simple, enfantin, mais génial, on n pouvait pas dire le contraire.
Ma mère éclata de rire et me prit dans ses bras à nouveau, me répétant que j'étais folle, adorable et qu'elle était fière de moi.
-Et si je te faisais des pancakes ? me proposa-t-elle.
-Oui !
Elle repoussa les couvertures et se leva, je la suivis jusqu'à la cuisine.
Pendant qu'elle préparait les pancakes, je coupais deux bananes, une vingtaine des fraises et sortis quelques myrtilles du frigo. Une fois fait, je séparais mes tas en deux, en gardant la moitié pour manger avec les pancakes.
Avec l'autre moitié, je préparais deux milk-shakes, un à la banane pour ma mère et un à la fraise et à la myrtille pour moi.
-C'est prêt !
Elle disposa une pile de pancakes sur chaque assiette puis j'y ajoutais les fruits avant de tout mettre sur un plateau et de l'emporter sur la table basse. J'allumais la télé puis m'asseyais sur le canapé.Attrapant la télécommande, je zappais en quête d'un programme sympa pour accompagner notre petit-déjeuner de luxe.
-Qu'est-ce que tu vas faire aujourd'hui ? demandai-je.
-Un peu de ménage ce matin, à midi je déjeune avec Johanna et cet après-midi je vais voir une exposition. Peut-être que ça me donnera quelques idées pour mes élèves.
-Tu as deux mois pour y penser !
-Oui, et deux mois ça passe vite, ma chérie. Et peu importe où je suis et ce que je fais, je veux un compte rendu détaillé du déjeuner de ton oncle avec Anne-Lise.
-Lennie !
-Ah oui, désolée !
Après notre petit déjeuner de Reine, j'aidais ma mère à faire le ménage,musique à fond. Tout ce qui nous tombait sous la main fit office de micro. Les voisins devaient avoir envie de nous la faire fermer,surtout quand Angel mêlait ses aboiements à nos voix, mais nous étions simplement joyeuses et l'espoir nous portait. Si Gabriel et Lennie pouvaient se retrouver comme ça, alors tout pouvait arriver,et j'étais certaine qu'elle se disait exactement la même chose.
Une heure plus tard, j'allais prendre ma douche puis allais m'habiller.
J'avais envie de mettre quelque chose de discret, histoire de pas me faire griller lorsque je suivrais mon oncle jusqu'au restaurant. Je choisis donc un short en jean et un débardeur gris, le genre de tenue passe partout, puis fis raccourcir mes cheveux, les colorais en roux et mes yeux en noisette avant de modifier légèrement mon nez et mes lèvres. Je n'aurai plus qu'à cacher ma signature et Gabriel ne me verrait pas !
On avait souvent joué à ce jeu dans les endroits de grande foule.L'exercice consistait à me cacher parmi les humains afin de pouvoir un jour échapper à un ange si besoin était. Au début, Gabriel me trouvait à tous les coups, puis en grandissant, je devins plus maline, et il ne réussit plus jamais à me trouver, même si j'étais juste sous son nez.
Ma mère sursauta lorsque je sortais de ma chambre sous ma nouvelle apparence.
-Tout vas bien maman ! Il faut que je puisse suivre Gabriel incognito!
Elle secoua la tête puis entra dans la salle de bain.
Je pris donc mon sac à main puis sortais. J'avais envie de faire une petite balade avant de me rendre au restaurant. J'allais donc faire un tour au centre commercial, mais n'ayant besoin de rien, j'en ressortais à peine une heure plus tard. Je n'avais plus qu'à aller au restaurant pour attendre nos deux tourtereaux !
J'entrais donc et demandais une table -bien précise la table - et par chance elle était libre. Je m'y installais donc et envoyais un SMS à Alice.
Salut,je suis en mission d'espionnage. Je te tiens au courant de ce qu'il se passe !Thalia.
Génial! Merci ! Fais attention à ne pas te faire repérer, Alice.
Je souriais et rangeais mon téléphone.
Lennie fut la première à arriver et s'installa à la table d'à côté.Elle était très jolie, ses longs cheveux blonds étaient retenus en queue de cheval sur sa nuque et ses doigts étaient tachés de peinture. Comme ceux de ma mère, avant.
Quelqu'un vint s'asseoir en face de moi en souriant. Malgré son déguisement aussi bon que le mien, je le reconnus immédiatement. Mon père avait l'air adolescent, mais blond, et plus mince qu'il ne l'était. Une paire de lunettes devant ses yeux nouvellement bruns, il avait un nez trop long et les lèvres légèrement de travers.
-Pas mal ! Comment tu as su que c'était moi ?
-Je te surveille de loin, je t'ai vu sortir comme ça.
-Pas cool ça...
-Mais si ! dit-il en souriant.
Il avait caché sa signature, lui aussi.
Gabriel arriva alors, et fut stupéfait de trouver Lennie à ma place.Néanmoins, il prit place en face d'elle avec un sourire. Il était beau, vraiment beau.
-Bonjour, dit-il assez timidement.
-Laissez-moi deviner, sourit Lennie. Alice et votre nièce ?
-Il faut croire que oui. Je suis vraiment désolé de leur comportement. Mais maintenant qu'on est là, que diriez-vous de déjeuner ensemble ? Sur leur note, bien entendu.
J'ouvrais la bouche sur le point de répliquer avant de me souvenir que ce n'était pas possible. Mon père étouffa un rire et prit la carte pour se cacher derrière.
-Ce n'est pas drôle, râlai-je.
-Oh que si !
Je levais les yeux au ciel.
-Je suis partante ! Ça leur apprendra.
Ils s'entendaient super bien, ils étaient juste adorables. Ils discutèrent de plein de choses durant le repas, notamment des peintures de Lennie.
-Comment savez-vous cela ? demanda-t-elle.
-Il s'avère que la grand-mère de ma nièce tient le Thali'Art. Elle a été étonnée de me voir peint comme ça.
-Ce que c'est gênant ! gémit-elle. Je vous jure que je ne savais même pas que vous existiez avant de vous voir l'autre matin. J'ai juste ... Je n'en sais rien, ce sont des images que je vois dans mes rêves.
-Vous croyez à la réincarnation ?
Je jetais un regard perdu à mon père. Nous en étions au dessert, tout comme eux. Il n'allait pas ... ? Si ?
Mon père me regarda, lui aussi, mais il souriait. Il n'avait aucunement peur de ce que pourrait dire son frère, et je pense qu'il avait raison. Après tout, ils étaient faits l'un pour l'autre, depuis le commencement.
-Je n'en sais trop rien. J'imagine que oui. On dit bien qu'il y a une mort pour une naissance, alors je pense que ce n'est pas forcément impossible.
-Donnez-moi votre main.
Lennie obéit en levant un sourcil, curieuse de savoir ce qu'allait lui faire Gabriel.
Je sentis son pouvoir avant de voir quoi que ce soit. Il lui montrait.Il lui montrait tout : leur première rencontre, leur aventure, son exécution. Son secret.
-Oh mon dieu ... murmura-t-elle, les larmes coulant sur ses joues.
-Si tu ... Si c'est trop dur je peux les reprendre.
Il avait le regard si triste que ça me brisa le cœur. Et comme Lennie ne disait rien, il leva une main vers sa tempe pour lui reprendre ses souvenirs.
Une larme coula sur ma joue, c'était injuste !
-Non !
Elle recula si vivement qu'elle tapa ma chaise, mais je m'en fichais pas mal.
-Non, répéta-t-elle plus doucement. Si jamais tu t'avises de faire ça je te fais bouffer tes plumes!
Elle le fusilla du regard en le pointant du doigt en signe de mise en garde, il éclata alors de rire. Ils se levèrent en même temps et s'enlacèrent longuement, et moi je pleurais de joie. J'étais tellement heureuse pour eux ! Elle l'avait quand même menacé de lui faire manger ses plumes, ce que je trouvais hilarant. Eux deux, ça allait être du sport !
Il se retourna alors vers nous en souriant de toutes ses dents.
-L'addition est pour vous !
Il prit la main de Lennie et ils sortirent du restaurant, nous laissant tous deux bouche bées. Mon père paya alors l'addition puis nous sortions pour aller faire un petit tour tous les deux. Je repris mon apparence normale, de même que mon père.
-Thalia ... J'aimerais qu'on parle de quelque chose, dit enfin mon père après quelques pas.
-Oui ?
-Je viens de comprendre quelque chose. Gabriel a été malheureux durant les derniers siècles, et ce que j'ai vu dans ses yeux tout à l'heure ... Je crois que ça vaut tout ce qui existe sur cette Terre.
-Ouais, je ne l'avais jamais vu sourire comme ça. Hé ! Tu crois qu'il va me remplacer par Alice ?! paniquai-je.
-Ça, ça m'étonnerai ! rit-il.
-M'ouais ...
-Pour en revenir à notre conversation... Je pense que je vais dire à ta mère que je veux revenir. Je veux partager le reste de sa vie mortelle. Je ne peux plus me passer d'elle encore ... Ni de toi.
Je m'arrêtais de marcher et lui souriait. J'avais attendu ça toute mon enfance. Je rêvais de cette famille unie comme on en voit à la télé. Comme les parents de Teddy.
-Tu ferais de moi la petite fille la plus heureuse du monde !
Il me sourit à son tour et me serra dans ses bras.
- Je suis vraiment heureux que tu aies eu Rufus et Gabriel dans ta vie.
-Moi aussi, souris-je. Quand est-ce que tu comptes lui dire ?
-Demain ? Tu m'aiderais à la ... rencontrer ?
-Bien sûr ! Demain j'ai des petites choses à faire, mais viens pour dîner.
Il me serra dans ses bras pis j'entendis aussi distinctement que lui une voix de femme l'appeler, comme en écho.
-Ariel ! Par l'ange répond !
-Qui c'est ? demandai-je.
-Maya.
-Va la rejoindre alors.
-Il vaudrait mieux, avant qu'elle ne se ramène. Elle est assez ... tu verras par toi-même quand tu la rencontreras. A demain alors ?
-Bien sûr ! Va voir ce qu'elle veut.
-Tu sais pourquoi je l'ai accepté de la prendre sous mon aile ?demanda-t-il soudain.
-Non, pourquoi ?
-Elle est l'âme sœur de Noémie. Je l'ai senti tout de suite. Comme je peux le sentir avec Gabriel et Lennie.
-Je ... Pardon ?!
Il sourit puis s'envola retrouver sa protégée.
J'avais toujours cherché à savoir comment on reconnaissait des âmes sœurs.Le concept m'était connu, c'était la pratique que je ne connaissais pas. Mais en regardant celle de mon père, je sus. Elle était en tout point semblable à celle de ma mère. Platon a assez bien expliqué le concept aux humains.
Il y a des millions d'années, les hommes n'étaient pas ... Comme nous.Ils ressemblaient à des créatures, avec deux têtes, quatre bras et autant de jambes. Ils étaient devenus puissants et avaient essayé de prendre les cieux. Pour les punir, Dieu les avait coupé en deux.Chacun se retrouva alors avec une tête, deux bras et deux jambes,partageant la même âme. Ils ne pouvaient pas vivre l'un sans l'autre, et ils passèrent leur vie à chercher leur moitié. Puis la tâche leur fut plus compliquée quand Adam et Eve péchèrent et furent déchus, apportant sur eux et sur les hommes de multiples problèmes qu'ils ne connaissaient pas alors. En se rendant compte que beaucoup finissaient par mourir, on leur donna le don de fertilité.
Alors comme ça, l'âme sœur de ma tante était un ange ... Ma famille devait être folle. La plupart des gens, en fait 90% des gens, sont des âmes sœurs humaines. Mais quand je vois mon oncle, ange à l'âme sœur humaine, ma mère et ma tante, humaines à l'âme sœur angélique ... Je me disais que quelque chose avait vraiment dû foirer quelque part.
-Salut belle inconnue.
Je me retournais pour voir un Caleb souriant. Il était avec Ethan.
-Salut les garçons. Vous allez bien ?
-Ouais et toi ? demanda Caleb.
-Tout vas bien ! Qu'est-ce que vous faites ?
-On allait à la boutique de jeux vidéo. Tu veux venir ? demanda son frère.
-Non merci, il faut que je rentre. Mais on se voit bientôt !
J'allais partir quand Caleb m'attrapa le poignet.
-Demain dix heures au kiosque ?
Je hochais la tête en souriant et rentrais chez moi. Il fallait que je fasse un compte rendu total à ma mère.
Je lui racontais tout ce qui s'était passé, et évidemment elle éclata de rire lorsque je lui racontais comment Gabriel m'avait démasqué et fais payer l'addition de leur repas.
-Vraiment hilarant, raillai-je.
-Oh que oui ! Mais je suis heureuse qu'ils se soient retrouvés de cette manière. Des âmes sœurs ne sont pas sensées rester loin l'un de l'autre aussi longtemps.
Je vis les larmes remplir ses yeux et la serrai dans mes bras.
-Tu verras, tout va s'arranger
-J'ai l'impression de toujours sentir son odeur ces temps-ci. J'ai cru le voir l'autre jour, alors j'ai couru comme une folle de l'autre côté de la rue. Un bus est passé, et il avait disparu. C'est comme si je l'avais halluciné.