Je lâchais un grognement et tâtais les cicatrices. Peut-être m'étais-je pliée d'une façon particulière, et cela avait tiré dessus ? La gêne s'intensifia, alors je filais dans la salle de bains pour vérifier mon dos.
Je fis glisser mes vêtements et scrutais ma peau, paniquée. Mais rien ne se passait entre mes omoplates. Ça continua de tirer, de plus en plus, avant de brusquement lâcher. J'avais la désagréable impression qu'elles s'acharnaient encore. Je me rendis compte que je les sentais de plus en plus en ce moment.
Comme si quelque chose bougeait sous ma peau. Je m'attendais qu'à tout moment, un Alien sorte de mon corps. Je devais me faire des idées, du moins je l'espérais. Cette désagréable impression ne me quitta pas, même quand je continuais de faire mon sac.
Ma mère me rejoignit, me demandant si je voulais prendre l'option des Scriatés. J'acceptais, puisque tout indice était bon à prendre. Ma mère hocha la tête, d'accord avec moi. Elle pencha sa tête sur le côté, mais ne commenta pas mon ton étrange. Un brin d'espoir s'alluma en moi. Si ça se trouve, j'aurais toutes les réponses à l'académie ? Cela me paraissait trop beau pour être vrai, mais j'espérais au moins quelques indices.
– Pour le reste de la liste, on achètera tout à Light, conclut ma mère.
J'acquiesçais et descendis en bas avec mes sacs. Je jetais un coup d'œil dehors et soupirais. Je voulais faire une dernière ballade avant de partir, car je savais que je ne reviendrais pas avant longtemps. Ni dans quel état je reviendrais.
Si en dix-huit ans ma mère n'avait rien déniché, je n'allais pas trouver la réponse en trois mois. Je temporisais, attendant déjà la fin de Hélios pour faire le point.
Je mis mes bottines et mon manteau, sentant une bonne couche d'humidité dans l'air. J'allais mettre ma main sur la poignée de la porte d'entrée quand ma mère me stoppa net.
– Qu'est-ce que tu compte aller faire au juste ? s'emporta-t-elle. Ne pense pas à sortir, c'est trop dangereux !
– Maman ! protestai-je. Je vais juste dans le parc devant !
Ma mère soupira et m'indiqua ma chambre. J'allais protester, je ne suis plus une gamine ! Enfin, un peu encore. Peut-être. Je ne bougeais pas, obstinée.
Ma mère et moi nous défiâmes du regard un moment. J'avais conscience que c'était dangereux, mais je voulais une dernière fois aller dans ce parc, où j'avais passé toute mon enfance.
Je finis par l'emporter.
– Va au moins prendre Caligo. Je te préviens, si tu sens la moindre personne te suivre ou te regarder de travers, tu reviens ici en vitesse, compris ? fit-elle en me fixant droit dans les yeux avec un regard si déterminé que je ne pouvais pas désobéir.
Je hochais la tête, mais elle me retint encore une fois.
– Si tu devais ne serait-ce que blesser quelqu'un, pourrais-tu le faire ? me demanda-t-elle avec sérieux.
Je la fixais droit dans les yeux sans répondre et quand elle me lâcha, je filais dans ma chambre chercher mon épée. Je la balançais sur mon épaule et passais la porte, observant une dernière fois ma chambre.
Je la refermais, un élan de tristesse me traversant. Il me restait une petite heure avant de partir.
La mise en garde de ma mère me faisait un peu peur, mais je pouvais voir le parc depuis chez moi. De toute façon, je savais me battre et j'avais une épée ! J'eus un petit rire nerveux, tandis que je jetais des coups d'œil autour de moi. La période où la seule chose dont je me souciais étaient les examens me paraissait lointaine. Non, maintenant il fallait que j'ai peur pour ma propre vie.
Je dévalais les escaliers, sous le regard soucieux de ma mère qui hésitait encore à me laisser partir. Mais j'avais survécu pendant dix-huit ans, je devrais bien pouvoir survivre encore une heure !
Certes, avant je n'étais pas au courant que des gens souhaitaient ma mort. Je sortis de la maison et descendis les marches du perron. Je me dirigeais vers l'autre côté de la route,croisant les doigts pour qu'il ne pleuve pas. Je passais la grille du parc, jetant des coups d'œil nerveux malgré moi.
Pas grand monde. En même temps, ce coin paumé n'attiaite pas. Le parc était un petit bout de verdure clôturé dans lequel on pouvait trouver toutes sortes d'animaux. Je m'y étais toujours sentie à l'aise. Dès que je pleurais ou que je me sentais mal, j'y allais.
Je traversais un peu l'herbe en jetant des œillades discrètes autour de moi. Je ne tenais pas à mourir aujourd'hui, une sensation désagréable de peur me tracassait. Sauf qu'on m'avait affirmé que les Ombres ne devraient pas tenter quelque chose juste après l'agression.
Je mis ma capuche sur ma tête, afin que l'on ne voit pas mes yeux, seule description disponible. Je finis par me poser sur une balançoire solitaire. Seuls trois enfants jouaient dans un bac à sable, sous la surveillance de leurs parents enlacés sur un banc.
La petite fillette brune enterrait la main de son grand frère roux, alors que l'autre garçon écrivait sur une feuille, les pieds dans le sable. J'observais les enfants avec envie.
Je m'étais toujours demandée ce que cela faisait d'avoir un père, un frère ou une sœur. Lucy m'avait certifié qu'avoir un père était moins cool qu'il n'y paraissait et que cela faisait deux parents sur votre dos.
Bien sûr, je savais qu'elle ne pensait pas ça au fond d'elle, mais qu'elle me le disait pour me remonter le moral. C'était ce que j'appréciais beaucoup chez Lucy, sa gaîté de cœur et sa façon de tourner les choses pour les rendre plus positives.
J'aimerais bien être comme elle, optimiste dans toutes les situations. Malheureusement, je n'y arrivais toujours pas, malgré de nombreux efforts. Je vis le mari murmurer quelque chose à sa femme qui me reluqua avec un œil méfiant.
A cause de mes yeux peut-être ? Ah non, que suis-je bête. Une fille qui devrait être en cours, capuche sur la tête et épée sur le dos, c'est tout-à-fait banal. J'avais oublié de refermer la housse de Caligo, on voyait donc le manche ainsi que le coutelas accroché. Une belle dégaine de psychopathe.
Je refermais le bout de la housse le plus discrètement possible, mais pas assez visiblement. La femme se leva et indiqua à ses enfants qu'il était temps de partir. La petite fillette brune me fixa et je lui souris discrètement.
Cela aurait pu être moi petite, cette enfant jouant avec son frère. Mais mes parents me compliquaient la vie avec toute cette histoire de Clans et de disparition. La petite famille quitta le parc, la fillette me suivant du regard.
J'enlevais ma capuche et lui fis un petit signe de la main. Elle sembla d'abord étonnée par mon visage, avant de me rendre la pareille avec sa petite main. Les parents me regardèrent d'un mauvais œil, tenant fermement leurs enfants par la main. Je soupirais et me balançai doucement.
Un bruit plus loin attira alors mon attention. Je tournais la tête, essayant de détecter une présence derrière les maigres buissons. Je me levais brusquement, paniquée.
–Qui est là ? m'écriai-je, bien que le seul bruit persistant soit le vent entre les quelques arbres.
Je n'obtins aucune réponse. Je continuais d'observer les alentours, et fus persuadée d'entrevoir une silhouette masculine, très loin derrière la route. Le cœur battant, je voulus m'approcher, convaincue que je le connaissais. Mais avant que je ne puisse faire quoi que ce soit, une voiture passa, et l'ombre disparut. Je me laissais tomber dans la balançoire, persuadée d'avoir rêvé. Alors pourquoi mon cœur continuait de battre si fort ?
Soudainement, je sentis la housse de mon épée glisser de mon épaule, et je me levais brusquement en me retournant.
Benjamin et sa petite bande m'avait prit Caligo. Je m'avançais pour la récupérer mais l'un des garçons se posta derrière moi et me bloqua.
– Alors ? railla Benjamin. On sèche les cours ?
– Vous aussi, répondis-je du tac au tac. C'est trop compliqué pour vous j'imagine ?
Benjamin émit un grognement, plutôt bestial, ce qui lui correspondait bien, et enleva la housse de mon épée. Il écarquilla les yeux devant l'arme et la retira de son fourreau en sifflant.
– Je ne sais vraiment pas où tu l'a eu mais je vais la garder !
– Pas question ! m'écriai-je en bondissant vers lui.
Mais avant que je ne puisse l'atteindre, Benjamin l'avait déjà lâchée. Il criait, observant sa main brûlée avec stupéfaction.
– C'est quoi ce bordel ! jura t-il en donnant un coup de pied dans l'épée.
J'en profitais aussitôt pour la récupérer et la brandis devant eux, menaçante. Mon instinct me soufflait d'en finir rapidement, car ils étaient plus nombreux que moi. Benjamin stoppa net quand je mis la lame sous sa gorge, et l'une des filles derrière lui poussa un cri d'épouvante.
– C'est bon, calme toi ! Je plaisantais ! déclara Benjamin en faisant un signe de la main.
Je compris ce qu'il signifiait au moment où deux garçons m'attrapèrent les bras chacun de leur côté. Mais je ne me laissais pas faire et écrasais un pied sur ma gauche, avant de donner un coup de coude sur ma droite. Je me retournais rapidement, décrivant un arc de cercle avec l'épée pour les menacer.
Malgré ce que j'essayais de faire paraître, mes mains tremblaient de peur. Pourquoi ? J'avais beau fuir la plupart du temps, je savais me battre et je n'avais jamais hésité à le faire. Je me rappelais alors les paroles de ma mère « Si tu devais ne serait-ce que blesser quelqu'un, pourrais-tu le faire ? ».
Je n'avais pas donné de réponse, mais je me rendis compte que pour le moment c'était non. Même si je pouvais leur infliger des coups, je fuyais dès que possible. Même Lucy avait réussi battre quelqu'un essayant de me tuer.
Depuis toujours, je fonçais mais j'abandonnais rapidement. Depuis toujours, je fuyais la plupart du temps. Tête brûlée peut-être, mais lâche. Je me promis alors d'acquérir de l'assurance, car peut importe la guerre, clanique ou non, j'allais devoir apprendre à faire reculer des gens bien plus menaçants que cette bande d'ados.
Je me persuadais que blesser n'était pas grave, ça se réparait. Mais qu'arrive-t-il quand on doit vraiment le faire ? Et si jamais en essayant simplement de le faire fuir, on touchait un point vital de l'adversaire ?
Ce n'était même pas de la légitime défense avec Benjamin et sa bande, ils n'avaient pas essayé de me tuer ! Seulement me prendre la seule chose qui me relie à mon père, cette personne qui paraît si proche même si je ne l'ai jamais rencontré.
Alors la colère monta en moi, me donnant un courage et une détermination nouvelle. Une chaleur inconnue parcourut mes membres, me donnant de la force alors que je brandissais mon épée devant les garçons. Ils poussèrent un cri, effrayés devant mon expression menaçante.
Je me retournais et m'apprêtais à régler le compte au reste de la bande, quand l'un des garçons cria « Elle est folle ! ». Les filles s'éloignèrent aussi, dégoûtées, même si elles paniquaient moins que les garçons.
Ils disparurent derrière les arbres et je me retrouvais encore une fois seule. Je chancelais, lâchant mon épée et me maintenant au portique de la balançoire. Tout le stress accumulé était en train de revenir en moi d'un seul coup et je n'arrivais pas à l'arrêter.
C'était pour cela que j'avais peur.
Il fallait bien que ça sorte d'une façon où d'une autre, alors je restais plantée là, laissant quelques larmes couler, exprimer le torrent d'émotions qui me parcourait depuis quelques jours.
Ces larmes représentaient à la fois toute ma peur, ma joie de savoir que mon père était sûrement en vie, les stress de m'être fait attaquée. Si les Ombres m'avaient attaqué à l'instant, aurais-je fait le poids ? Non. Il faullait que je sois plus forte. Je ne pouvais plus reculer devant les combats en m'enfuyant.
Lucy et ma mère m'avait décrit un monde où la force et l'intelligence permettaient de gagner. Il me fallait donc acquérir plus de force, d'intelligence et de détermination. Une fois calmée, je ramassais en douceur Caligo en jetant un coup d'œil sur le manche. Il n'était pas chaud.
Je fis soudainement le lien avec le manuscrit. La cordelette me brûlait, donc je n'étais pas destinée à ouvrir cette lettre ? A moins que je n'ai pas le bon outil.
Je soupirais en décidant que je réfléchirais à ça plus tard et mis l'épée dans son fourreau, puis le tout sur mon dos. Mes mains s'étaient arrêtés de trembler, et je me sentais mieux. J'essuyais mon visage, et patientant que l'heure décisive arrive. Je partis en direction de la maison, écouteurs enfoncés dans les oreilles pour me vider la tête.
Une voiture rouge attendait devant chez moi. Lucy bondit vers moi, mais s'arrêta en voyant mon visage, et le sien devint grave.
– Je te raconterai plus tard, chuchotai-je en enlevant ma capuche.
Ma mère vit que j'avais pleuré mais ne fit aucun commentaire. Bastien attendait dans la voiture et je lui fis un signe de la main avant d'aller chercher mes sacs, flanquée de Lucy. Nous installâmes le tout dans la voiture, avant de grimper à l'arrière, ma mère à l'avant.
Lucy releva discrètement la vitre qui séparait l'avant de l'arrière, souriant à son père d'un air « on papote entre filles de trucs qui ne vous regardent pas ! ».
Bastien leva les yeux au ciel et démarra la voiture. Je jetais un dernier coup d'œil à ma maison, tandis qu'elle disparaissait au loin. Puis je regardais Lucy et observais comment elle s'était habillée.
Un pantalon noir bien chaud, des grosses bottes montantes marron, et son manteau en laine blanc. Comme moi, elle avait opté pour le confortable et le pratique. Je vis également qu'elle avait une sorte de grosse ceinture étrange, composée de deux lanières.
L'une autour du bassin, le reste partant en diagonale sur sa cuisse, auquel était attaché son carquois rouge plein à ras bord. Je repérais son arc, attaché à son sac à dos rempli de bouquins.
Avant que Lucy n'ouvre la bouche, je la coupais.
– Joyeux anniversaire ! lui souhaitai-je. Tu as vraiment dix-huit ans maintenant.
Elle me remercia, mais après quelques secondes, son visage redevint sérieux. Je soupirais et racontais ce qu'il s'était passé. Le fait que j'ai juste évacué tout le stress et la peur, et que je manquais de courage pour affronter quelqu'un, même pour sauver ma vie. Je passais la silhouette sous silence, quasiment persuadée que mon imagination m'avait juste joué des tours.
– C'est parce que tu n'as jamais tenu d'arme dans une situation réelle, m'expliqua Lucy. Et tu devais être bourrée à l'adrénaline et au stress des évènements. Ne t'inquiète pas, la première fois que je suis allée au centre d'entraînement et que l'on m'a dit de combattre quelqu'un, je ne l'ai pas touché une seule fois. Tu acquerras de l'assurance à l'académie, je te le promets.
– Si tu le dis, soupirai-je. Mais comment faire si un Ombre m'attaque et que je ne peux pas riposter ?
– Tu ne seras pas dans cette situation avant de sortir de l'académie. Ta mère te protégera, et au sein de l'école il est impossible de se faire attaquer. Tu l'a vu toi même, on ne peut même pas communiquer avec l'extérieur pendant cinq mois.
Je hochais la tête et Lucy mit ses écouteurs sur ses oreilles. Je fis la même chose et fermais les yeux. Dans pas moins de quelques heures, j'allais arriver à Light, où beaucoup de réponses m'attendaient.
Je l'espérais.
***
Chapitre six ! J'aimerais savoir, est-ce que vous pourriez blesser quelqu'un, si votre vie où celle d'un proche était en danger ? Si non, quelle serait votre réaction ?