L'empire de la nuit

By LaurentVanderheyden

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#Lauréat des Wattys 2016 dans la catégorie "Coup de cœur du QG"# La paix dure depuis vingt ans ou peu s'en fa... More

Carte
Prologue
Chapitre I
Chapitre II
Chapitre III
Chapitre IV
Chapitre V
Chapitre VI
Chapitre VII
Chapitre VIII
Chapitre IX
Chapitre X
Chapitre XI
Chapitre XIII
Chapitre XIV
Chapitre XV
Chapitre XVI
Chapitre XVII
Chapitre XVIII
Chapitre XIX
Chapitre XX
Chapitre XXI
Chapitre XXII
Chapitre XXIII
Chapitre XXIV
Chapitre XXV
Chapitre XXVI
Chapitre XXVII
Chapitre XXVIII
Chapitre XXIX
Chapitre XXX
Chapitre XXXI
Chapitre XXXII
Chapitre XXXIII
Chapitre XXXIV
Chapitre XXXV
Chapitre XXXVI
Chapitre XXXVII
Chapitre XXXVIII
Chapitre XXXIX
Chapitre XL
Chapitre XLI
Epilogue
Principaux personnages
Dates importantes

Chapitre XII

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By LaurentVanderheyden

Ils arrivaient de l'Est et face à eux le crépuscule baignait la cité de rougeoiements flamboyants.

Nous entrons en Lyval, songea Artemus.

Saint-Marrigan était une petite ville prospère, sise à la croisée de la route qui reliait Havre-Noble à Belcastel et de celle qui reliait Clairbourg à la frontière chorysienne. Le bourg était juché sur une colline trapue à l'Ouest du fameux carrefour qui avait fait sa richesse et dominait une plaine de bocages. Au gré du temps, il avait débordé de son enceinte de pierre et de petites maisons bien tenues tapissaient à présent le flanc de la colline et le bord des routes. Dans les lueurs incendiaires du jour déclinant, les bannières dorées frappées du château hersé rouge de la maison Orcroix chatoyaient.

« Le château des bannières a l'air plus gros que celui de la ville, remarqua Lyren. Y en aurait-il un autre plus loin sur la route ?

-Non, tu as raison, répondit frère Gabriel, mais un étendard se doit d'en imposer. L'ironie ne s'arrête toutefois pas là, car voilà longtemps que les Orcroix n'ont plus de château ailleurs que sur leur blason. Comme cela arrive parfois, il a été confisqué par leur suzerain Belcastel à l'occasion d'une guerre au cours de laquelle ils avaient choisi le mauvais parti. Par amour si ma mémoire ne m'abuse...

-Voilà une histoire de fesses qui leur aura coûté cher, observa sœur Estrella. Sans doute encore un homme qui n'aura pas su garder son haut de chausses. »

Gabriel eut une moue amusée et jeta un regard en biais à la Rose de Fer. « Tout surprenant que cela puisse vous paraître, ma sœur, je crois bien que c'est une certaine dame Florine qui perdit le fort. Mais l'histoire ne dit pas si elle portait haut de chausses. »

Et de fait, en approchant de la ville, ils purent constater que c'était bien un Lys Belcastel qui flottait au faîte du donjon.

« Des maisons, des tavernes, de la vie, enfin ! s'exclama Artemus. Je sens d'ici les fumets de viandes rôties, les bouquets des tonneaux de vin mis en perce, les feux de bois dans les cheminées... l'odeur de la vie.

Sœur Estrella pouffa. « Et les effluves d'ordures du caniveau qui couvrent tout cela, tu les sens ?

-Oui, ils flattent mes narines eux aussi... un délice ! »

Et le vieux templier huma, huma, s'en emplit les poumons jusqu'à satiété, et jusqu'à provoquer les rires de ses compagnons. Il constatait avec plaisir que Lyren était détendu, et même heureux, malgré l'éloignement de son foyer. Il avait craint ce retour vers la civilisation, vers les villes, vers des hommes sans manteaux blancs. Mais le jeune homme d'ordinaire si méfiant abordait Saint-Marrigan sans appréhension. Et même, à la surprise d'Artemus, il avait d'emblée accepté Estrella comme l'une des leurs, lui avait accordé sa confiance, s'entretenait longuement avec elle tandis qu'ils chevauchaient.

Depuis leur départ du monastère, depuis qu'il avait appris qu'une menace se tapissait parmi eux, quelque part, peut-être partout, Lyren était inquiet et dormait mal. La journée il somnolait en selle et la nuit il ne parvenait pas à fermer l'œil, ou alors son sommeil était troublé d'horribles cauchemars. Estrella l'avait pris en pitié, avait su trouver les mots capables de le rassurer et, depuis quelques nuits, le jeune homme pouvait à nouveau dormir.

C'est ainsi qu'elle avait réussi à gagner son affection naturellement, sans artifice, ainsi qu'elle savait si bien le faire. Comme elle avait su le faire avec lui, autrefois. C'est ainsi qu'il doit en être. Et de vieux souvenirs de son premier voyage en Terre Sainte lui revinrent.

« Bon, un lit et un ragoût sont bien les moindres exigences que peut se permettre d'avoir un barbon tel que moi !

-Même si c'est un templier ? demanda Estrella.

-Surtout si c'est un templier ! Porter de la maille tout le jour durant, à force, ça use ma vieille carcasse.

-Eh bien tu n'as qu'à prendre exemple sur moi. Une simple veste de cuir, un zeste de diplomatie et une rapidité apte à esquiver les mauvais coups lorsque la diplomatie ne suffit plus. Tu aurais moins de maux de dos, c'est garanti. »

Elle appuya sa saillie d'un clin d'œil et d'un sourire.

« Ton zeste de diplomatie et ta rapidité ne te dispenseront ni de manger ni de dormir cette nuit, bougonna Artemus. Il faut bien l'avouer, nous avons tous besoin d'une bonne auberge. Ce soir, nous ne regarderons pas à la dépense. »

Deux semaines qu'ils voyageaient en rase campagne, par monts et par vaux, préférant les chemins fermiers et les sentes à gibier aux grands axes. Deux semaines qu'ils ne croisaient plus que de rares voyageurs, des chasseurs, des paysans et quelques voyous aussi, évitant autant que possible les vagues de pèlerins en route pour Eterna. Un jour, deux gredins étaient tombés sur Artemus, croyant avoir affaire à un vieillard sans doute. Lorsque les autres s'étaient pointés et que le templier avait tiré l'épée au clair, ils s'étaient littéralement pissés dessus. Estrella avait voulu s'en débarrasser, par sécurité disait-elle, mais Artemus les avait laissés filer avec un avertissement et son fameux regard courroucé. Deux semaines de campements, de viande séchée, de pain rassis, au mieux une grange et un tapis de paille, une fois un lapin attrapé par frère Gabriel et partagé à quatre. Et ils avaient rangé leurs manteaux dans leurs paquetages. Toutes précautions prises pour quitter Chorys, afin d'échapper aux yeux du Cénacle, malheureusement nécessaires en vue d'épargner l'Ordre.

Artemus avait d'emblée imposé la plus grande prudence : « Je ne voudrais pas qu'il arrive malheur à Estrella, avait-il dit, mais, si les mauvaises personnes nous trouvent ensemble, notre sort ne vaudra guère mieux que le sien. » Et Estrella de répondre : « Mais c'est ainsi que je vis au quotidien depuis une trentaine d'année, mon vieil ami. » Une trentaine d'années ! Qu'avait-elle donc eu pour une vie ? Une vie de paria, une vie d'angoisses et de soucis, à craindre le feu des bûchers, sans jamais pouvoir dormir sur ses deux oreilles. Ce uniquement parce que quelques coincés mitrés avaient déclaré leur ordre hérétique.

En abordant les premières demeures le long de la route, Estrella se tourna vers lui. « Il semble qu'il y a du monde ici. Je n'aime pas trop ça. Plus il y a de monde, plus il y a d'yeux... et de bouches pour susurrer ce qu'ils ont vu. »

En effet, la ville était animée. Des commerçants rangeaient leurs étals, des femmes légères arpentaient le pavé ici et là, des paysans et des soldats se dirigeaient vers les tavernes, des soldats portant des livrées aux couleurs nombreuses et variées. Il y avait aussi un prêtre entouré de toute une clique, serviteurs, acolytes, escorte, et les quatre cavaliers empruntèrent aussitôt une rue de traverse.

« Saint-Marrigan est toujours animé. Beaucoup de passage, de commerce, de pèlerins. Mais tu as raison, donne-moi donc ton épée, une femme avec une arme attire l'attention. Tu seras mon épouse si on t'interroge.

-Elle est déjà enveloppée dans ma couverture... »

Mais Artemus lui tendit la main. « Je te la rendrai lorsque nous serons suffisamment loin de la frontière et des yeux du Cénacle. »

C'est de mauvais gré que la Rose de Fer se sépara de sa lame.

« Je me sens comme si j'étais toute nue. En fait non, je préférerais encore ne pas avoir de vêtements je crois.

-Mais pour le coup, tu gâcherais notre tentative de rester discrets.

-Et nous ? demanda Lyren. Devrons-nous mentir aussi ? Serai-je votre fils ? »

Le Vieux Lion se tourna vers lui. Il ne pouvait s'empêcher d'éprouver un soupçon de honte à l'idée d'abuser les gens. « C'est pour la bonne cause, mon garçon. Et oui tiens, tu seras notre fils. Après tout, tu ressembles à ta mère avec ta peau mate et tes yeux sombres. Et Gabriel sera un pieux cousin qui a entrepris ce pèlerinage à Eterna avec nous. Nous serons bientôt de retour dans notre foyer, à Blédorval.

-J'ai toujours rêvé d'avoir un fils, déclara Estrella. J'ai de la chance qu'il soit si beau, c'est vrai qu'il me ressemble. »

Elle était soudain rayonnante et ne semblait pas du tout blaguer.

« Ça tombe bien, dit frère Gabriel, j'ai quant à moi toujours rêvé d'être un pieux cousin. Puis-je cependant suggérer de chercher une auberge à l'extérieur des remparts ? Pas besoin de traverser toute la ville ni d'être trop vus malgré ces puissants subterfuges. »

Ils se mirent aussitôt en quête d'un établissement. Mais Artemus exigea de dénicher un endroit qui propose au moins une chambre pour eux quatre. « Pas de dortoir bondé, de sous-sol moisi ni de grange pour ce soir ! À la limite une mansarde avec quatre paillasses, si possible le fin du fin : des lits sans puces. »

Personne n'y trouva à redire. Toutefois ils déchantèrent rapidement. Il n'y avait que deux auberges dans les faubourgs, L'Escarcelle et L'Etalon Gourmand, toutes deux combles. Oh, elles accueillaient bien les habituels marchands de passage, les voyageurs, les mercenaires, les dévots... mais il y avait aussi là un nombre inhabituel de chevaliers, d'officiers et même de seigneurs venus de l'Ouest, des gens richement vêtus éventuellement accompagnés de valets ou d'écuyers.

« Mais qu'est-ce que tout ce beau monde est venu faire ici ? s'enquit Artemus auprès du gras tenancier de l'Etalon.

-Eh bien m'sire, c'est qu'le roi est en visite, et 'vec lui tout un cortège de belles gens et d'soldats. Voilà deux jours qu'y sont là, 'zont beaucoup marché et ils font comme qui dirait escale, mais paraît qu'ils repartent bientôt.

-Et ils logent tous à l'auberge ?

-'Zont un campement de l'autre côté d'la ville, dans un champ du vieux Paul. La pâture est fichue, pour sûr, mais l'aura bien été dédommagé. Mais c'est pour la piétaille, voyez ? Par contre les sieurs et les sires, y préfèrent tous un lit, et l'château peut accueillir qu'le roi et les siens. L'sire Malvaux, lui, s'loge dans la demeure d'Orcroix, il s'est comme qui dirait invité. Mais les autres... Pas l'choix, tous rabattus sur nos honnêtes commerces. Tout cas j'vous souhaite bonne chance pour trouver une piaule. »

Quelle déveine !

C'est passablement irrité qu'Artemus quitta les lieux, suivi des autres. Sitôt en selle, il prit la direction des portes de la ville.

« Que fais-tu ? demanda Estrella. Ne devrions-nous pas chercher une ferme à l'écart ou installer un camp un peu plus loin ?

-Je n'ai pas dit mon dernier mot, je veux mon lit. Je connais quelqu'un en ville. Il... il m'est redevable. Et si même lui ne peut pas nous aider... je crois que j'empoigne un de ces chevaliers un peu trop épris de duvets et de bons vins et que je nous libère une chambre par la force. »

Ils arrivèrent à la porte de la ville, mais personne ne parut faire attention à eux. Les gardes se disputaient les faveurs d'une demoiselle peu farouche au corsage délacé, pour quelques picaillons elle leur laissait y glisser la main et tâter la marchandise, tandis que leur capitaine papotait avec un chevalier arborant une clé d'or sur un tabard vert. Les quatre cavaliers passèrent sous la herse et s'enfoncèrent dans la ville. Artemus leur fit presque aussitôt quitter la rue principale pour en emprunter une autre, à peine moins large, mais bordée de maisons en encorbellement. Il faisait sombre ici, et les odeurs évoquées un peu plus tôt avec délices y étaient plus lourdes.

Le vieux templier arrêta sa monture sur une petite place agrémentée d'un puits, face à une bâtisse de belle taille. Le rez-de-chaussée était en pierre, avec de petites fenêtres à croisillons, les premier et second étages en torchis et colombages, le dernier mansardé sous un toit d'ardoises. Un bel établissement, probablement le plus important de la bourgade, et situé juste au pied du château. L'enseigne disait : Le Coq au Chant d'Or.

Une jeune fille, mince comme une pique, avec encore une frimousse de gamine et un nez piqueté de boutons d'acné sortit les accueillir. « Mes excuses voyageurs, mais si vous comptiez loger nous sommes combles.

-Eh bien je vais quand même tenter ma chance et en discuter avec ton père, si tu le permets », répondit Artemus en démontant.

Les yeux de la jeune fille s'agrandirent et elle vint se jeter dans ses bras. « Artemus ! Ça fait plaisir de vous revoir ! Je ne vous avais pas reconnu sans votre vieux manteau.

-Tu dois être... Émeline ? Dieu que tu as poussé ! Ça ne fait pas si longtemps que ça pourtant. 

-Vous êtes passé il y a quelque huit mois en compagnie d'un certain frère Mathias, la dernière fois. Mais c'est bien vrai, père dit que je pousse comme de la mauvaise herbe. « Tu t'allonges mais tu ne prends pas de gras », qu'il dit. Mais laissez-moi prendre soin de vos chevaux.

-Merci. Mais chut, je suis ici dans le secret. »

Il lui adressa un clin d'œil et son sourire s'élargit. Elle appela une autre fillette, plus jeune, qui réserva le même accueil au vieux templier, puis elles conduisirent les quatre montures et le cheval de bât derrière l'auberge. Un signe et les autres suivirent Artemus à l'intérieur.

En entrant, Estrella s'approcha de lui. « Tu as choisi la plus grosse auberge de toute cette fichue ville ? C'est ça ton idée de la discrétion ?

-J'aurais opté pour L'Escarcelle ou L'Etalon aussi si nous avions eu le choix. Mais réflexion faite, nous côtoierons ici des gens venus de l'Ouest, des gens venus de là où nous allons. C'est peut-être l'occasion de commencer à investiguer. Peut-être quelqu'un aura-t-il entendu ou vu quelque chose. En outre, qui donc se souciera de nous au milieu de cette foule ? »

Mais Estrella n'avait pas du tout l'air à l'aise. « J'espère que tu as confiance en ces gens qui semblent si bien te connaître. »

Il y avait là un fameux espace réparti en deux grandes salles communes. L'une disposait d'un comptoir de bois massif, elle était remplie de clients, surtout des soldats. Quelques marches menaient à l'autre, un peu plus bas, face à un grand âtre orné d'un coq sculpté au regard creux. Des pierres avaient dû y être enchâssées autrefois, des gemmes peut-être. Couvrant certains murs et les boiseries, des gravures, usées par endroits, représentaient des scènes de chasse. Et si le lustre d'antan s'était terni, tout indiquait que c'était là l'ancienne demeure d'un noble. Il est des lieux comme ça qui semblent immuables, songea Artemus en retrouvant l'auberge familière.

Il se dirigea vers le comptoir et un homme robuste, le poil brun et abondant, la barbe en broussaille, vint l'accueillir avec un large sourire. « Revoilà déjà l'ami Artemus !

-Eh oui, Gus, que veux-tu, on m'envoie toujours arpenter les routes, sans le moindre égard pour mes vieux os.

-Quel bon vent t'amène cette fois ?

-Non, cette fois ma venue n'augure rien de bon, malheureusement. Je viens voir si tu aurais quelques lits ou une paillasse pour moi et mes amis. »

Gus soupira et désigna la salle remplie. « Le roi est de passage. Je loge trois de ses vassaux, sept chevaliers et des dames, des écuyers, un chanteur et même un magister. J'ai dû déplacer un riche marchand, un bon client pourtant, afin de libérer mes meilleures chambres. » En dépit de quoi il sourit et ajouta, sur le ton de la confidence : « Mais il est deux ou trois des chevaliers qui ne valent guère, des gens sans terres qui font partie d'une suite ou l'autre. Ton autorité de frère d'Argent devrait pouvoir les faire déguerpir. Ils ne se retrouveront pas sans toit, ils ont un camp à l'Ouest de la ville tu sais.

-À vrai dire, je n'aimerais pas trop avoir à crier haut et fort que je suis templier.

-Oh, je vois. C'est pour ça que tu as tombé le manteau ? » Il haussa un sourcil hirsute. « Alors les rumeurs évoquant les sombres secrets de la Confrérie d'Argent ne sont peut-être pas totalement dénuées de vérité, dit-il, une lueur d'amusement dans les yeux. Bon, dans ce cas tu n'as qu'à prendre ma chambre, mon lit est grand, trop grand pour moi seul de toute façon. Je dormirai avec les filles et je ferai installer deux matelas supplémentaires.

-Tu n'es pas obligé, ta cave par exemple... »

L'aubergiste leva la main pour l'interrompre. « Pas de ça avec moi. Tu es ici chez toi, tu le sais. Au fait, Lélia sert les clients aux tables. Tu devrais aller lui dire bonjour pendant que je prépare votre chambre. Elle sera ravie de te voir. »

Artemus lui prit la main et la serra. « Merci, vieil ami. »

Ensuite il se détourna pour observer la salle. De nombreux soldats vêtus de surcots aux couleurs vives étaient installés aux tables et au comptoir. Il pouvait reconnaître l'aigle royal, bien sûr, mais également le lys Belcastel, le cygne Malvaux, la clé Ronceval, mais il y en avait d'autre aussi dont il ne connaissait pas les maisons. Ils faisaient un de ces boucans. La plupart d'entre eux arboraient le blason de leur seigneur, mais ne portaient ni maille, ni cuir, ni aucune protection. L'armée était en relâche.

Puis l'aînée, Lélia, émergea de cette foule d'hommes colorés, ses cheveux blonds attachés dans la nuque, vêtue d'une simple robe de laine écrue. Elle portait un plateau rempli de chopes vides. Son visage s'illumina lorsqu'elle l'aperçut. Artemus l'embrassa et la détailla. « Par la Sainte Croix ! Tu es plus belle à chacune de mes visites.

-Merci, vieux charmeur. »

Mais ce disant, elle porta la main à sa joue, où serpentait une vilaine cicatrice. Le vieux templier retint sa main et lui fit une caresse du bout des doigts. « Il en faudrait bien davantage pour t'enlaidir, crois-moi.

-Tu n'es décidément jamais avare de compliments. Si tu n'étais frère d'Argent, tu peux être certain que tu aurais l'embarras du choix pour prendre femme. »

Il s'approcha pour lui parler au creux de l'oreille. « Je ne suis pas ici en tant que templier et j'aimerais que cela ne s'ébruite pas. Traite-moi donc comme un client normal, comme un pèlerin en voyage avec sa famille, si tu veux bien. »

Elle acquiesça. « Je suis heureuse de te revoir, vraiment. S'il vous faut quoi que ce soit, appelez-moi. Je m'excuse, mais j'ai beaucoup de travail ce soir, je dois y retourner. Je viendrai prendre de tes nouvelles plus tard. »

Le tenancier vint bientôt les chercher pour les mener à leur chambre. Située au premier étage, elle était modeste, ni grande ni petite, un plancher de bois, un coffre de rangement et, dessus, un grand bac d'eau pour se rafraîchir. Le lit était tout de même une pièce de valeur, en bois sculpté de têtes de coqs, avec un matelas de plumes. Deux autres matelas, de plumes également, avaient été étendus par terre avec des couvertures.

« Et voilà, ce n'est pas la chambre d'un seigneur, mais vous serez malgré tout mieux logés que la plupart des gens qui dormiront à Saint-Marrigan cette nuit.

-C'est plus que ce que nous aurions pu espérer, mon ami, dit Artemus. Je te paierai bien pour ça. Et n'oublie pas, nous n'avons rien à voir avec la Confrérie d'Argent. »

Gus lui adressa un clin d'œil. « J'ai compris. Et pas la peine de dépenser ton argent, les affaires marchent bien tu sais. Mon auberge ne désemplit pas et ces clients que m'a amenés le roi ne lésinent pas sur la dépense. On dirait qu'ils concourent.

-Ce n'est pas vraiment mon argent, c'est celui de l'Ordre.

-Garde-le, il sera sans doute plus utile à autre chose. »

Le propriétaire quitta la pièce et Artemus posa ses affaires pour aller s'asperger le visage et les mains d'eau fraîche.

« Vous avez l'air de bien vous connaître, fit remarquer Estrella.

-Voilà longtemps que je passe par là lors de mes voyages. Toutefois, pour tout dire, ça ne fait que quelques années que nous sommes amis. Mais ne vous inquiétez pas, c'est comme si je les connaissais depuis toujours, on peut leur faire confiance. »

Mais la Rose de Fer ne paraissait pas en avoir fini. « Tu disais qu'ils t'étaient redevables ? » insista-t-elle.

Le vieux templier s'ébroua bruyamment et soupira. « Ce n'est pas une dette « sale » si c'est ce que tu veux savoir.

-Alors qu'est-ce que c'est ?

-Tu veux quoi au juste ? Une jolie histoire ? Parce que ce n'est pas très joli à entendre, crois-moi. »

Elle le foudroya du regard. « J'aime savoir où je mets les pieds, voilà tout. Ce n'est pas un excès de curiosité, c'est un réflexe de survie. »

Voilà trente ans qu'elle vit ainsi, se rappela Artemus.

« Ne nous disputons pas, intervint frère Gabriel. Ta méfiance est compréhensible, ma sœur, mais nous sommes ici à présent et si mon frère juge... »

Artemus leva la main et parla d'une voix radoucie : « Écoutez, je vous avoue que je n'aime pas trop y repenser, mais je veux bien essayer de vous expliquer sans évoquer les détails sordides. Après tout, nous sommes tous les quatre dans le même bateau n'est-ce pas, et je suppose que vous êtes en droit de savoir... eh bien où vous mettez les pieds, comme tu l'as dit Estrella. »

Il s'essuya le visage, déglutit, chercha en lui le courage de remuer les souvenirs douloureux. « Les frères d'argent sont encore régulièrement appelés à servir de bouclier au petit peuple. On nous accorde encore ce crédit. À vrai dire, il s'agit souvent de faire rempart entre les nobles et les petites gens, qui n'ont pas vraiment d'autre recours. En l'occurrence, si l'on en croit Gustave, il s'agit plutôt de noblesse déchue, mais c'est du pareil au même. Sa famille n'a plus aucun pouvoir, plus aucun titre. « Qui se souvient encore des Coqs ? » ainsi qu'il le dit lui-même.

« Et voilà, c'est une histoire somme toute banale. Il y a quelques années de ça, je leur ai épargné les trop grands appétits d'un trop grand seigneur... enfin, j'ai essayé, disons que j'ai interrompu la fête. Ce n'était pas n'importe qui, c'était un Belcastel voyez-vous. Le propre beau-frère du roi. Mais je ne pouvais pas laisser faire et fermer les yeux...

-Le duc Godfroy ? demanda Estrella. On prétend que c'est un porc, qu'il n'aime rien tant que la guerre et les femmes. »

Artemus grimaça. « Un porc, oui, mais un porc riche et puissant. Je me suis malgré tout interposé. Je ne sais pas si l'on doit appeler ça de l'audace ou de la folie. Ce n'était pas de la sagesse en tout cas, j'ai agi sans réfléchir. Bref, ensuite je les ai soustraits comme j'ai pu à ses envies de revanches. Heureusement que je n'étais pas un jeune bleu, car je subodore ne devoir ma réussite qu'à ma réputation. Ils auraient tout aussi bien pu me tuer, moi aussi. »

Le Vieux Lion, au moins ça aura servi à quelque chose. Mais la mère... je n'ai pas pu sauver la mère.

Estrella lui adressa un regard plein de compassion et se mordit la lèvre. « Je n'ai pas besoin d'en savoir plus, dit-elle. En vérité, je te fais confiance, et si tu es sûr d'eux ça me suffit. Je ne voulais pas te contrarier. Je vois bien que tu souffres.

-Pareil pour moi, abonda frère Gabriel. Je n'ai pas besoin d'être convaincu. »

Lyren, lui, se contenta de lui sourire. Le gamin ne connaissait pas cet aspect de la vie des templiers. Tout du moins des troufions. Frère Gabriel, en qualité d'officier archiviste, n'avait pas dû côtoyer beaucoup la misère, lui non plus. Les champs de bataille, mais pas la misère. Et c'est parfois pire... J'ai peut-être trop voulu préserver Lyren, préserver son innocence. Il est temps qu'il apprenne. Mais je sais qu'il en est capable.

Il délaça sa maille pour la retirer. Ensuite il se rasa la barbe par mesure de précaution. Le Vieux Lion serait ainsi moins reconnaissable.

Lorsqu'ils se furent installés et rafraîchis, ils redescendirent dans la salle commune. La nuit était tombée et de petites lanternes avaient été disposées sur les tables. Le ventre d'Artemus criait famine.

Il y avait plus de monde encore que tout à l'heure et les deux salles étaient pleines à présent, mais celle en contrebas, face à l'âtre, accueillait une clientèle plus prestigieuse. Là-bas on ne se marchait pas sur les pieds et les gens étaient mieux vêtus. Gus leur avait libéré une table dans une alcôve de la salle proche du comptoir, la plus bondée des deux. Parfait, nous y serons moins visibles et moins audibles.

Par-dessus le bastingage qui délimitait les deux espaces, Artemus détailla les seigneurs et chevaliers confortablement installés en contrebas. L'un d'eux attira plus particulièrement son attention. Svelte, les cheveux courts et châtains, il était vêtu d'un pourpoint de satin blanc, de bottes grises doublées de fourrure et portait au cou une lourde chaîne d'argent incrustée de saphirs et ornée d'une licorne. Malgré son rang, il disputait une partie de dés avec de simples chevaliers. Le fils de sire Lorathän, reconnut-il. Lucas, si ma mémoire est bonne. Ce garçon de haute noblesse avait été l'écuyer du roi, il avait été le plus jeune maître de la ligue chevalière à entrer en fonction et son comportement héroïque en croisade en avait fait l'un des proches conseillers de la couronne. Pourvu qu'il ne me reconnaisse pas, songea le vieux templier, qui avait combattu avec lui et tenu le rang au Gué Sanglant.

Il passa la main sur son menton à présent lisse comme fesses de bébé. La sensation était étrange, désagréable. Trop doux, décréta-t-il, enfin bon, ça repoussera. Mais le jeune seigneur ne lui prêta pas attention. Artemus décida de se détendre. Il commanda une tournée de bières, se bourra une pipe et fit quelques ronds de fumée en attendant le souper.

Frère Gabriel s'absorba dans la lecture d'un volume qu'il avait emporté avec lui d'Archenval : La Chronique Humaniste : De la chute de l'empire à nos jours, un point de vue affranchi de l'influence d'une doctrine, par l'historien philosophe Henrick Alsten du conservatoire d'Ascalia. Un ouvrage interdit par l'Église, mais la Confrérie d'Argent étant relativement indépendante et ayant visité plusieurs fois la Terre Sainte, sa bibliothèque recelait forcément quelques perles aux relents de soufre. Et l'officier archiviste n'avait pas négligé d'en lire une seule. De son point de vue, toute théorie était intéressante et pouvait aider à construire une réflexion, pour autant, bien sûr, qu'on ne boive pas le moindre mot sans un minimum d'esprit d'analyse. Artemus ne l'avait pas choisi par hasard pour entreprendre ce voyage... et admettre la présence parmi eux d'une Rose de Fer.

Lyren but une rasade de sa bière et les observa tous les trois par-dessus la mousse. « Me voilà bien entouré dites donc, observa-t-il d'une voix amusée en reposant sa chope, entre un féru de lectures illicites, un vieux rebelle à l'autorité du Cénacle, et une franche opposante à l'Église. Je me demande ce qu'en dirait notre brave frère Ovatt.

-Je ne me définirais pas comme une franche opposante à l'Église », rétorqua Estrella, un peu brutale, mais sans élever la voix et vérifiant tout de même que nul ne prêtait attention à leur conversation. Toutefois, l'alcôve les isolait quelque peu de la salle. « Ce n'est pas parce que nous ne reconnaissons pas l'autorité du clergé que nous sommes hostiles à tout ce que représente le Tristanisme. Je pense que la plupart des gens ont besoin de repères et de valeurs communes pour vivre ensemble. »

Le jeune frère scruta le contenu de sa chope, l'air un peu embarrassé. « Je ne voulais pas t'offenser. À vrai dire, je n'imaginais pas vraiment les Roses de Fer comme ça. Comme toi je veux dire. »

Estrella se radoucit, mais une lueur espiègle demeurait dans ses yeux. « Ça ne m'étonne pas. Tu devais te figurer des folles dansant toutes nues autour d'animaux égorgés, peut-être avec des langues fourchues et des yeux de chat ? Les prêtres ont toujours été doués pour exciter l'imagination de leurs ouailles. » Lyren ne sut que répondre. Artemus s'en amusa et lâcha un bel ovale de fumée au-dessus de la table. « Tu sais, poursuivit-elle, il fut un temps où nous cohabitions, l'Église et mes sœurs, avec méfiance mais sans animosité. Nous avons rendu des services au Cénacle, nous avons partagé nos connaissances. En dépit de cela, des esprits bornés mais influents ont décidé un jour d'excommunier notre ordre, d'en faire aux yeux de tous un repaire de monstres impies. S'ils ne pouvaient nous employer comme un outil dont on use à sa convenance, nous devenions une menace. L'Église pourrait être un guide d'une inestimable valeur si elle n'était pas elle-même gangrenée par les pires travers de l'humanité : l'orgueil, l'ambition, l'égoïsme...

-Il existe tout de même quantité de gens de foi honorables, des prêtres qui consacrent leur vie au bien de leur communauté, des moines en quête d'équilibre et de spiritualité, des ordres dévoués aux pauvres ou aux malades. Je connais nombre de confrères templiers épris de justice et d'équité.

-C'est la tête qui est pourrie bien souvent, le sommet de la hiérarchie. Le pouvoir corrompt. Peu d'hommes y sont insensibles et imagine-toi que peu de rois peuvent se targuer d'être aussi puissants que l'archecclésiarque. Un tel pouvoir ne devrait pas dépendre d'un seul homme. Mais à bien des égards les templiers sont différents. Ils ne sont pas soumis au Cénacle, ils ont mieux conservé leur aspect originel. Ils élisent leur grand maître et peuvent le destituer s'il ne convient pas. Pourquoi un archecclésiarque est-il élu à vie ? Pourquoi devons-nous nous accommoder de vieillards séniles ? Nous avons connu trop de mauvais pontifes. » La Rose de Fer haussa les épaules. « En outre, les templiers ont beau être des soldats, la liberté leur est laissée de prendre part ou non à des conflits, individuellement. C'est ainsi que la plupart d'entre eux n'ont pas participé à la guerre du Roi-Loup en Helmdal, n'y voyant qu'une nouvelle tentative du Saint Siège d'accroître son pouvoir. Il est à regretter que les frères n'en aient pas fait autant pour les croisades. »

Les narines d'Artemus laissèrent échapper des volutes dignes d'un dragon tandis qu'il se redressait pour prendre part à la discussion. « Et voilà le sujet qui fâche, dit-il.

-Les croisades ? s'étonna Lyren. Je croyais qu'il s'agissait de protéger le tombeau du martyr, de le défendre des païens. N'est-ce pas là l'une de nos prérogatives ? Nous sommes nous-mêmes des héritiers de Tristan en quelque sorte.

-En théorie, oui, répondit Artemus. Les pèlerinages vers Achelön et le tombeau de Tristan étaient nombreux dès avant les croisades et le décret de Terre Sainte. Puis les Elmyréens décidèrent de faire payer l'accès du tombeau aux fidèles. De l'argent facilement gagné... Cependant le Cénacle estima que le sanctuaire ne leur appartenait pas. Peut-on vraiment leur donner tort ? Enfin, certes, ça ne valait pas un bain de sang. »

La moue que fit Estrella exprimait un profond dégoût. « Ce n'est pas un secret, le Saint Siège lorgnait sur Achelön depuis longtemps. Et de quel droit ? Parce que la dépouille d'un saint homme, méprisé par l'Église de son vivant, faut-il le préciser, y est enterrée ?

-La dépouille du Fils de Dieu. Mais bon, c'est vrai quoi, pourquoi a-t-il fallu qu'il retourne à sa terre natale ? N'auraient-ils pas pu l'inhumer quelque part par ici, bon sang ? »

Le ton du vieux templier était badin, mais Estrella ne perdit rien de son sérieux. Le sujet lui tenait par trop à cœur. « Peu importe, lorsque Hamrald Ier lança son appel à la première croisade, il n'avait d'autre objectif que le lucre. La dîme que réclamèrent bien plus tard les Acheloniens pour accéder à la tombe ne fut qu'un prétexte bienvenu pour tenter une seconde fois la conquête. Il faut avant tout se rappeler du contexte. Albar Ier avait vidé la trésorerie pour mener grand train de vie et faire d'Eterna un temple de la décadence, et Théodorus III, son successeur, sauta sur cette occasion de remplir à nouveau les coffres de l'Église. Avec un succès retentissant cette fois. Il faut au moins lui reconnaître ça. Et, Ô ironie, l'Église peut dire merci aux courageux païens helmïns, sans lesquels la seconde croisade aurait été à peu de choses près aussi désastreuse que la précédente. Un ramassis de rois, de seigneurs et de prélats incapables de s'entendre, à la tête d'une horde d'ignares sanguinaires persuadés d'œuvrer à une noble cause. Que voulez-vous qu'il en sorte de bon ? »

Lyren en resta sans voix.

« C'est très résumé, pas tout à fait objectif, mais pas vraiment faux non plus, lâcha frère Gabriel de derrière son livre.

-J'ai eu le même genre de réaction que toi la première fois, confia Artemus à son jeune protégé. Elle est persuasive n'est-ce pas ? C'en est presque révoltant. Nous étions si jeunes à l'époque... Enfin, tu sais maintenant comment j'ai appris à dire non à tous ces pompeux culs bénis assis sur leurs chaires d'ivoire. Elle a sa part de responsabilité dans ma subversion, pour mon bonheur comme pour mon malheur. »

Il ne put s'empêcher d'en rire. Estrella sourit elle aussi mais paraissait plus amère. « Je suis navrée pour toi, tu le sais bien. Je ne réalisais pas encore les conséquences alors, j'étais trop jeune. Et j'ai insisté, insisté, jusqu'à ce que tu deviennes un révolté... jusqu'à ce que tu me ressembles. Je t'ai mis en danger.

-Nous avons déjà eu cette conversation. Oublie ça. Mes choix, je les ai faits moi-même, en connaissance de cause. Cesse de te tourmenter.

-Non, ce n'est pas juste. Tu aurais pu devenir l'un des meilleurs grands maîtres qu'ait jamais eu la Confrérie. Ces fichus ecclésiarques ne respectent rien et pervertissent tout. » La lanterne jetait sur son visage des éclats où flamboyait la passion de la révolte. Elle haussa les épaules et se retourna vers Lyren, comme si elle reprenait une leçon. « Même les choses qui peuvent paraître les plus sacrées. Par exemple, jusqu'au nom du martyr, prétendument fils de Dieu, qu'ils ont travesti pour mieux correspondre à la culture et aux langues occidentales. T'a-t-on jamais dit que le martyr, né de parents, de culture et de langue elmyréens, s'appelait en vérité Dresthan ?

-Eh bien, Artemus m'en a parlé, oui.

-Mais je ne suis pas tout à fait d'accord avec toi là-dessus Estrella, intervint son vieil ami. Bon, il n'est peut-être pas né d'un rayon de lumière ainsi qu'il est écrit dans le Saint Tome, soit, mais si Dresthan est devenu Tristan, c'est davantage dû à la prononciation et à la méprise de son entourage, occidental justement. Sa mère, Adlya, a subi le même sort et tous les chœurs de la tristienté chantent les louanges de la Très Sainte Adulie.

-Dans ce cas pourquoi ne l'enseigne-t-on pas aux fidèles ? Pourquoi persiste-t-on dans cette erreur jusque dans les Écrits Sacrés ?

-Peut-être simplement parce que tout le monde les a connus et appelés ainsi depuis lors. Les gens ne changent pas facilement leurs habitudes tu sais. Penses-tu qu'il serait si facile d'évoquer tout à coup la dresthienté et de rebaptiser la moitié des cathédrales « Sainte Adlya » ? On pourrait aussi bien dire aux fidèles d'adresser leurs prières à Dédé plutôt qu'à Dieu. » Il parvint enfin à dérider Estrella. « Mais je persiste à dire que tu te tracasses bien trop, surtout pour moi. Je suis un grand garçon, tu sais, grand et vieux de surcroît. La seule chose qui devrait nous préoccuper pour l'heure c'est quand et de quoi nous allons souper, car j'ai vraiment une faim de loup. »

La conversation autour de la table finit par se détendre et Lélia ne tarda pas à leur servir leur repas. Du lard et des oignons frits, une potée aux carottes et aux navets, la simplicité mise au service des ventres creux. Voilà qui changeait de la maigre pitance des derniers jours. Artemus se régala et ne refusa pas une seconde assiette.

Enfin repu, le ventre lourd, il étendit les jambes sous la table et sirota une nouvelle chope. La bière ici était bien brune et épaisse, un peu surette, un régal. Elle lui rappelait celle que brassaient ses frères, au monastère. C'était là qu'il avait appris à l'apprécier d'ailleurs, car là d'où il venait, en Peledraq, on ne buvait jamais que d'infâmes tord-boyaux, des trucs forts à vous arracher le gosier. Son père, ainsi que ses gens et chevaliers, avaient ri de lui la première fois qu'il lui avait fait goûter une diavka, un alcool de racine, une spécialité de Reynaldborg. Il ne devait pas avoir plus de huit ans à l'époque. Il était devenu rouge et la moitié du breuvage lui était repassée par le nez. Dieu que c'est loin tout ça.

Il ne repensait presque jamais à son ancienne vie, à son enfance privilégiée dans la noblesse. Les Reynaldt étaient les plus importants vassaux de ce qu'il restait du royaume, les seuls à entretenir leur fortune, grâce au port, malgré la malédiction morganienne. Mais on lui avait volé son héritage. À la suite de l'épidémie de fièvre grise, du décès de son père, son oncle lui avait tout pris. Je n'étais encore qu'un gamin. En fin de compte, il n'avait plus aucune attache là-bas et cette vie-ci lui convenait parfaitement. Il observa ses compagnons autour de la table. Quoi de mieux que de voyager avec des amis ?

Estrella lui rendit un regard affectueux. Avait-elle lu dans ses pensées ? « Tu comptes vraiment commencer ton enquête ici ? demanda-t-elle. Parce que pour ma part, j'irais volontiers profiter de ces lits de plumes que tu nous as dégotés.

-Eh bien ça ne coûte rien de poser quelques questions. Les soldats sont souvent au courant des rumeurs et rechignent rarement à parler lorsque leur chope est pleine. Par contre je connais ce jeune seigneur qui arbore une licorne sur son col, là-bas dans l'autre salle. Je ne sais pas s'il se souvient de moi, mais je ne tenterai rien de ce côté-là. Mieux vaut ne pas prendre de risques. »

Elle fit la moue. « Tu ferais bien de t'y mettre avant qu'ils ne soient trop saouls pour être d'une quelconque utilité.

-Très bien. Va donc te reposer. Je ne compte pas m'éterniser de toute façon.

-Pas question. Je reste ici et je garde un œil sur toi. »

Elle avait une mine farouche. Rien ne la ferait changer d'avis. Elle semblait pourtant épuisée. Il vida sa chope d'un trait, se leva comme s'il portait encore son haubert, tout engourdi aux encoignures, et s'étira. Puis il prit la direction du comptoir, où de nombreux soldats discutaient et riaient et buvaient.

Il se joignit à quatre d'entre eux, un vieux, vétéran, le visage couturé du front au menton en passant par le nez, deux jeunes recrues, n'ayant sans doute jamais goûté à la guerre, et un homme dans la force de l'âge, noiraud, barbu, avec un sourire carnassier et une livrée verte frappée d'une d'un soleil blanc et d'une rose rouge.

Ce dernier tenait le crachoir. Il racontait comment il était devenu capitaine à la suite d'actes de bravoure sur le Gué Sanglant. Encore cette fichue bataille. À l'entendre, l'armée croisée n'avait dû son salut qu'à son héroïsme. Pourtant Artemus ne se rappelait pas l'avoir jamais vu. Mais ce jour-là, à vrai dire, personne n'a vraiment compris ce qu'il se passait. Ça criait, ça courait, ça tombait, ça mourait partout à la fois, tout ça dans des gerbes d'écume et de sang. Tout ce dont il se souvenait clairement, c'était un soleil cuisant dans un ciel céruléen et lui et ses frères dessous, aux prises avec l'ennemi à la sortie du gué, grattant laborieusement chaque pas au prix de précieuses vies et refusant de céder le moindre pouce de terrain. Et puis le grondement de tonnerre annonçant la fameuse charge de lord Varoskahr qui rompit les rangs elmyréens. La délivrance, enfin...

Le souvenir dansa un instant devant ses yeux, comme une eau agitée de remous, bientôt dissipé par la voix pleine d'assurance de l'officier. « ... et j'ai porté l'seigneur Florhélion hors des combats, disait-il, avec son écuyer pour veiller dessus. Puis j'suis retourné vers la mêlée en portant son étendard et en criant « De feu et d'audace ! » pour encourager ses hommes et alors ils m'ont suivi. Et comme enfin la rive Ouest tenait bon, lord Varoskahr m'a regardé, à travers la ventaille j'ai lu dans ses yeux la gratitude, et il a rassemblé ses chevaliers pour foncer vers l'est, où les rangs partaient en morceaux et où les frères d'Argent tombaient les uns après les autres. »

Les jeunes buvaient ses paroles, mais le vétéran ne s'en laissa pas conter. Il émit un grognement qui pouvait passer pour de la perplexité autant que pour de la moquerie. « Alors comme ça t'as des couilles plus grosses que les autres ?

-En tout cas moi je m'suis battu. J'ai pas filé la queue entre les jambes, je m'suis pas planqué derrière les autres.

-T'étais p'têt' pas au même gué qu'moi, ni avec le même lord Varoskahr. » L'autre lui lança un regard qui l'aurait tué sur place s'il avait été fait d'acier. « Moi j'ai rien vu d'tout ça, juste des hommes qu'essayaient de survivre. Y avait des gars qui tuaient, d'autres qui se faisaient tuer. Y en a aussi qui pleuraient, certains avaient trop la trouille même pour bouger, un paquet qui se sont noyés en reculant où c'tait trop profond, ou broyés sous le galop d'leurs propres alliés. J'sais même plus combien j'en ai tué moi-même, mais j'étais poisseux d'sang. L'manche de ma hache glissait dans ma main. J'ai failli attaquer un copain qu'avait perdu son arme et ramassé une de ces épées courbes qu'ils utilisent, et qu'était tellement couvert d'sang et d'boue qu'y pouvait aussi bien être un païen à vue d'nez. J'sais pas pourquoi j'suis toujours là, bien vivant, c'tait p'têt' pas mon heure voilà tout. Mais c'est foutrement pas grâce à mon courage, toujours. Les braves, y sont morts comme les autres.

-Et à ton avis, comment on a gagné alors ?

-J'crois bien qu'les païens ont été les premiers à en avoir marre de s'faire tuer pour rien. En même temps, nous, on n'avait pas fort le choix. Toute retraite coupée, fallait s'battre ou mourir, sinon on s'rait rentré chez nous plus tôt qu'prévu si ça s'met. Va savoir. » Les deux cadets ne disaient mot, mais Artemus pouvait lire plus que de la stupéfaction, une sorte de frayeur sur leurs traits. Eh oui, la guerre, ça ressemble plus à ce qu'a dit le vieux les enfants. « C'est p'têt' la charge de Vlad Varoskahr qu'a achevé l'boulot, poursuivit le vétéran, mais quand la bataille s'est terminée, on reconnaissait plus les couleurs de grand monde sous la couche de sang et d'crasse. Et les manteaux blancs des templiers étaient loin d'être les moins sales. J'vous l'dis. »

Tout à coup le Vieux Lion le trouva fort sympathique, ce soudard avec sa trogne pleine de cicatrices. Il s'immisça parmi eux. « Moi on m'a raconté que vous avez tous été héroïques ce jour-là, dit-il. Je peux payer à boire à de valeureux croisés ? » Ils l'observèrent tous les quatre, et il y avait de la méfiance dans les yeux du capitaine avec son soleil et sa rose, malgré ce sourire toujours figé dans sa barbe. « Gus, mets-moi donc cinq chopes, veux-tu ? Il n'y a pas de raison que les jeunes nous regardent boire n'est-ce pas ?

-Merci l'ami, dit le vétéran. Moi c'est Henri.

-Et moi c'est Firmin, dit le capitaine en lui tendant la main. Je viens de Clairbourg. Et vous ? Votre tête me dit quelque chose. Nous nous sommes déjà rencontrés ? »

Artemus serra la main tendue. « Moi c'est Ambrose. Et non, je ne crois pas que nous nous soyons jamais rencontrés.

-Vous en êtes certain ? Vous n'avez pas participé à la croisade ?

-Non, je m'en souviendrais. »

Le fameux Firmin plissa les yeux et le détailla de haut en bas. « Je vous ai vu rentrer tout à l'heure. Vous portiez de la maille. »

Sait-il que je mens ? Sait-il qui je suis vraiment ? J'ai beau ne pas me rappeler de lui, peut-être qu'il m'a reconnu. Artemus ne se laissa cependant pas intimider. « Je ne voyage jamais désarmé. J'ai été mercenaire, dans une autre vie. J'ai fait la guerre du Roi-Loup, voilà longtemps déjà, et la seconde croisade, il y a plus longtemps encore. »

Le capitaine Firmin retroussa les babines, comme s'il allait mordre. « La guerre du Roi-Loup dites-vous ? Mais dans quel camp ? Car par ici, on l'appelle la guerre du Roi-Bâtard.

-À ma connaissance, intervint Henri, not' camp a été le seul à recruter des mercenaires. Ç'a été une sale guerre. Rien à voir avec la Terre Sainte. Là-bas tout s'est réglé en une bataille pour ainsi dire. Ouais bon, un vrai carnage. Mais contre les helmïns, sûr qu'on en a bavé et ç'a duré une éternité. Même en plein hiver, y s'arrêtent jamais. Ces gars-là, j'préférais les avoir d'not' côté au Gué Sanglant. »

Pour la seconde fois, l'officier se faisait rabattre le caquet. C'est de mauvais gré qu'il choqua les chopes avant de boire la première rasade. Artemus s'essuya la bouche du revers de la main et la claqua dans le dos d'Henri. « Sûr que tu dis vrai pour les Helmïns, de vraies bêtes au combat. Certains d'entre eux courent nus au-devant de la mort.

-Oui da, j'l'ai vu moi aussi. Paraît qu'y s'donnent du courage ainsi.

-Je sais pas, mais ils ne craignent pas la mort comme les bons tristiens en tout cas. Mais dites-moi, je voulais vous demander, vous venez bien de l'Ouest pas vrai ? Havre-Noble je suppose ?

-Oui, pour la plupart.

-Bien, vous êtes passés près de chez moi dans ce cas. Pour ma part j'y retourne, mais j'ai entendu de drôles de rumeurs. Vous auriez pas remarqué quelque chose d'étrange, par hasard, en passant par là ? »

Le capitaine au soleil et à la rose ricana. « C'est-à-dire ? Des putes qui baisent pour pas un rond ? »

Les jeunes pouffèrent. Artemus sourit, mais répondit sans humour. « Non, plus inquiétant, malheureusement. J'ai croisé voici deux jours un marchand qui me parlait de disparitions. Des trucs louches. Je ne voudrais pas tomber sur des coupe-jarrets ou quoi que ce soit.

-Y m'semble que des coupe-jarrets, y dépouillent les corps, mais les gens disparaissent pas, remarqua le vétéran. Par contre j'ai ni entendu parler d'maraudeurs, ni de disparitions, brave monsieur. À mon avis, c'est qu'des racontars, vous pouvez voyager tranquille.

-Ouaip, ça se peut. Je préfère ouvrir l'œil quand même. Si jamais vous entendiez quoi que ce soit avant mon départ demain, vous pourriez peut-être m'en informer ? Je passe la nuit ici.

-J'y manquerai pas. J'poserai même deux trois questions autour de moi si vous voulez. »

C'est alors qu'un jeune homme émergea parmi eux et vint agrandir leur cercle. Il était roux, robuste et vêtu de la livrée de la maison Malvaux, un cygne blanc sur champ violet. « Bonsoir, dit-il, sieur Roban Briard, pour vous servir. Il paraît qu'on paie à boire aux valeureux croisés ici.

-Bien sûr chevalier, dit Artemus en réclamant une nouvelle pinte. Vous avez connu le Gué vous aussi ?

-Non, le seigneur Malvaux, le fils, car le père était resté au pays, avait pour consigne de rester soutenir la garnison de Nassan. Je suis resté avec lui. Mais j'ai participé au débarquement et mon épée a contribué à lever le siège de la ville.

-Une fameuse bataille aussi, paraît-il. »

Ce débarquement avait été un désastre, Artemus s'en souvenait. Arrivées à Nassan, les armées croisées avaient constaté que la ville était assiégée par les païens insurgés. Les navires s'étaient vidés de leurs troupes dans un chaos total, les forces de seigneurs et de royaumes différents s'étaient trouvées mélangées, des hommes avaient péri dans les flots ou brisés entre les coques des vaisseaux. Les croisés avaient encore de l'eau jusqu'à la taille qu'ils étaient cloués sur place par les traits des païens. C'est le jeune Lucas Lorathän ici présent, dans l'autre salle, qui a réussi à rassembler les Lyvaliens en portant haut ses couleurs. Et le reste a suivi. Ça avait aussi été le baptême du feu pour Lyren. Il avait été blessé et Artemus avait insisté pour qu'il restât à Nassan. Oui, je me suis peut-être montré trop protecteur. Mais s'il avait été à mes côtés au Gué Sanglant, en serait-il revenu ? Tant d'hommes de valeur y sont morts, tant d'amis.

« Une fameuse bataille ? grogna le vétéran. Peuh ! Jamais rien vu de tel. Les seigneurs commandeurs se sont même pas concertés. L'a suffi qu'un imbécile fonce vers la plage et c'était fait. Tous, z'ont couru à la boucherie, comme pour avoir l'honneur d'être l'premier à s'faire tailler en pièces. Et l'prince Aymerad qui savait plus quoi faire.

-Attention à ce que tu dis, prévint le rouquin nouvellement arrivé, le prince n'est pas loin. Et il a beaucoup d'amis, notamment mon seigneur.

-Tout cas j'peux vous dire que ça serait pas arrivé si not' roi avait été là. »

Le chevalier sourit puis se tourna vers Artemus. « Je n'ai pu m'empêcher de vous entendre. Vous parliez d'étranges disparitions. Vous en savez plus ? Où ça se passe ? Qui ça pourrait être ? Pourquoi ?

-Eh bien non, pas vraiment. À vrai dire c'est un peu confus et j'espérais en apprendre davantage moi-même. Tout ce que je sais, c'est que les rumeurs proviennent de la région de Ronceval, Brethan, le Nord de la capitale... dans ce coin-là. Et comme vous en venez, je me disais que vous aviez peut-être entendu quelque chose. J'ai même entendu parler d'esprits, de spectres... mais les gens, vous savez, ils raconteraient n'importe quoi plutôt que d'avouer qu'en fait ils n'en savent pas plus que vous.

-Oui, comme vous dites. » Le chevalier Briard but un long trait de bière. « Je ne sais pas pour les rumeurs, je n'ai rien entendu. Mais l'un des nôtres a disparu, ça oui, et c'est pas juste une rumeur. »

Artemus le regarda, mais il n'avait pas l'air de blaguer... ni de mentir. En fait, il paraissait mal à l'aise. « Comment ça ? Qui a disparu ?

-Un autre chevalier, sieur Sorande, aussi au service de mon seigneur. Nous bivouaquions à côté d'une auberge entre Ronceval et Brethan, pas loin du bord de l'Ondevin. Le soir encore, nous mangions ensemble. Et le matin il n'était plus là. Sa monture, ses affaires, tout était encore au camp, mais pas trace de lui.

-Et personne n'a rien vu ?

-Une sentinelle dit l'avoir vu se diriger vers les bois, pour pisser il pensait. Puis plus rien. On a cherché après lui le lendemain, on a fouillé l'orée, on a appelé. Mais le roi ne voulait pas perdre de temps et nous sommes partis sans lui. Le seigneur Eugène a envoyé deux hommes poursuivre les recherches avec trois montures. Ils devaient nous rattraper en cours de route, mais ils sont revenus bredouilles. J'ai pas trop envie de croire à ces histoires de spectres non plus, vous voyez, mais qui irait s'en prendre à un chevalier du royaume, pas un tendre en plus ? Un type qui voyage avec une véritable armée ? Tout ça pour rien, sans rien voler qui ait vraiment de la valeur. »

Ils s'observèrent les uns les autres. Les deux cadets avaient l'air aussi impressionnés par ce que venait de dire sieur Briard que par les récits de bataille. Le capitaine prenait plutôt ça à la rigolade, l'air de ne pas y croire. « Ou alors, votre type, y s'est perdu ou l'est tombé dans un ravin, dit-il. L'avait peut-être trop picolé. »

Artemus l'ignora. Ça ne voulait peut-être pas dire grand-chose, ça n'était rien de vraiment concret, mais c'était déjà une piste, son instinct le lui criait. « C'est quoi au juste le nom de cette auberge dont vous parliez ?

-Je ne sais plus. Attendez, quelque chose avec Rouge... Le Rouge... Le Rouge Royaume, je crois bien que c'est ça. C'est sur la grand route, vous pouvez pas la manquer. »

Le Rouge Royaume... Se pourrait-il que cette auberge soit le fameux nid dont parlait Estrella ? Le repaire des nosferatus ? En tout cas c'est sur notre route. C'était plus qu'il n'avait espéré. Artemus connaissait à présent leur prochaine destination.



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