Âgée de vingt-deux ans, je travaille dans ce café, Le Passe-Temps. Rosalie Moreau de mon nom complet. Je n'ai pas vraiment de famille. Ma mère m'a élevée seule, je n'ai jamais connu mon père. Il est parti à ma naissance, je n'ai jamais su pourquoi.
Denise, ma mère, est décédée il y a quelques années. Cela a été un véritable choc pour moi. Elle était malade, mais je ne me sentais pas prête à la perdre si tôt. Mon monde s'est effondré et j'ai perdu tous mes repères. J'ai commencé à perdre pied, à divaguer complètement. Cigarettes et drogues s'accompagnaient d'alcool et de soirées sans fin. Je ne suis pas fière de cette période de ma vie, mais je ne peux pas la renier pour autant : elle m'a construite.
Je n'ai pas continué mes études après la mort de ma mère. Je n'en ai eu ni la force ni le courage. Celui qui m'a donné l'opportunité de pouvoir avancer est Jacques, le patron du café où je travaille. J'aurais pu finir à la rue si cet homme n'avait pas été présent à mes côtés. Il s'approche rapidement de la retraite, mais, sa femme nous ayant quittés, ce bistrot représente tout ce qu'il lui reste. L'ambiance qui y règne appâte des clients réguliers.
Il s'agit d'un établissement modeste, mais je m'y sens chez moi. Lorsque je n'avais pas les moyens de me payer un loyer, j'avais l'autorisation d'y dormir. Très honnêtement, je ne sais pas ce que je serais devenue sans lui. Ma mère n'était pas riche, sans être pauvre non plus. Alors, même si j'ai touché un héritage, je n'avais pas suffisamment pour vivre sans travailler.
Mes amis ont tous fini par m'oublier. Ils sont partis étudier dans de grandes villes et ils y sont restés. En même temps, quel jeune déciderait de vivre à Collioure ? Certes, c'est un joli village. Il y a du monde l'été, mais, l'hiver, les touristes se font plus rares. À dire vrai, je préfère la période froide à celle estivale. J'y vis beaucoup mieux ma solitude, pouvant me retrouver face à moi-même.
Ma vie, déjà bien mouvementée, va connaître un nouveau tournant.