Quand ils avaient été libérés par Gandalf, Fili avait couru vers Anna mais elle avait tourné les talons après lui avoir jeté un regard méprisant. Il s'était arrêté, la mort dans l'âme. Kili s'était alors approché.
-T'es vraiment débile parfois, tu le sais ça ? lui dit Kili.
-Merci, tu m'es d'un grand secours, ironisa Fili.
-Hey, ce n'est pas moi qui ai voulu joué au malin ! protesta Kili. Tu t'es mis dans cette situation tout seul comme un grand !
Fili s'assit sur un rocher en soupirant.
-Elle ne me laisse même pas l'occasion de m'excuser ! finit-il par lâcher. Ma meilleure amie me manque...
-Meilleure amie hein ? rit Kili. Bofur a raison, vous n'êtes qu'une bande d'aveugles.
Et il planta là son blondinet de frère qui ne comprenait pas, suivant Thorin pour trouver la caverne des trolls. Lorsqu'ils la trouvèrent, Anna eut un mouvement de recul brusque.
-Urgh... Je crois que je vais rester ici monter la garde... Je refuse d'entrer là-dedans !
-Bofur, Gloïn, Nori, Dwalin, avec moi, commanda Thorin.
Les désignés suivirent Gandalf et Thorin dans la caverne dont l'odeur pestilentielle donnait à Anna des envies de vomir. Elle fit quelques pas pour s'éloigner de l'entrée de la tanière sans pour autant disparaître du champ de vision des nains restés dehors. Elle se demanda pour la énième fois ce que Bofur avait voulu dire par « bande d'aveugles ». Ne pas trouver la réponse la frustrait. Elle n'aimait pas quand les autres savaient des choses qu'elle ne savait pas. Perdue dans ses pensées, elle ne remarqua pas que Thorin et les autres étaient ressortis de la caverne.
-Quelque chose approche ! prévint leur leader d'une voix tendue.
Aussitôt Anna bondit se placer près des nains, son épée sommaire en main. Ils entendaient le bruit se rapprocher, resserrèrent leurs poignes sur leurs armes, et faillirent s'élancer à l'attaque lorsque... une luge fit irruption dans la petite clairière.
-Voleurs ! Au feu ! Assassins ! hurla une voix.
Tous les nains regardaient l'intrus avec des yeux ronds.
-Mais qu'est-ce que c'est que ça ? s'exclama Anna, résumant la pensée générale.
Une luge en bois. Tirée par des lapins. Dessus, un homme, tout petit, habillé de guenilles sales et déchirées. Son chapeau étrange rappelait un peu celui de Bofur. Anna grimaça quand elle vit la fiente d'oiseau sur le côté de la tête de l'homme.
-Kili, souffla-t-elle au brun juste à côté d'elle. Ça existe les lutins des bois ?
Ce dernier pouffa. Gandalf les fixa d'un air réprobateur avant de s'adresser à l'entièreté de la compagnie.
-Radagast. C'est Radagast le Brun ! Qu'êtes-vous donc venu faire ici ?
Radagast avait l'air positivement terrifié.
-Je vous cherchais Gandalf, dit-il rapidement. Il se passe des choses. Des choses très alarmantes.
-Mais encore ? répondit tranquillement le magicien gris.
Anna se sentit soudain mal-à-l'aise. Elle avait la nausée, avait l'impression d'étouffer, et qu'un anneau chauffé à blanc enserrait son crâne. Elle tomba à genoux, se tenant la tête entre les mains, gémissant de douleur.
-Anna ! s'écria Kili en se précipitant près d'elle, très inquiet.
Gandalf jeta un coup d'œil à la jeune fille.
-Surveillez-la et donnez-lui du Vieux Toby si besoin. Radagast et moi devons discuter en privé.
Et avec ça les deux magiciens s'isolèrent plus loin. Les nains se regardaient, interloqués. Gandalf laissait donc cette pauvre petite souffrir ? Kili essaya de la prendre dans ses bras mais elle commença à avoir des spasmes, se tenant la tête en criant maintenant. Fili, tétanisé, la fixait sans savoir quoi faire. Dwalin en eut bientôt marre des cris et la souleva par le col avant de lui donner une baffe. Petite, hein, mais une baffe quand même.
-Mais tu es fou ? se révolta Kili en bondissant sur ses pieds.
Seulement Anna avait arrêté de crier. Elle avait du mal à reprendre sa respiration mais semblait normale à nouveau.
-Chacun sa méthode, expliqua Dwalin face aux regards partagés de la Compagnie.
Il aida Anna à s'asseoir sur une pierre et lui donna de l'eau. Elle le remercia une fois qu'elle se sentit un peu mieux.
Thorin faisait les cent pas depuis que les deux magiciens étaient partis.
-Arrêtez, c'est inutile et ça me donne le tournis ! lui lança Anna, exaspérée de son manège.
-Plait-il ?
-Pose ton cul royal sur ce rocher et attend ! Tu me tapes sur les nerfs à faire les cent pas ! Gandalf gère l'affaire, tout va bien !
-Co... Comment osez-vous ?! tonna Thorin, prêt à la décapiter.
-Calme-toi papy, s'exciter c'est mauvais pour le cœur. A ton âge c'est pas très conseillé.
Avant que Thorin puisse laisser libre cours à sa colère, un grognement clairement animal se fit entendre.
-C'était un loup ? demandèrent en même temps Anna – subitement sage – et Bilbo.
-Y'a-t-il des loups dans le coin ? ajouta le hobbit.
-Des loups ? releva Bofur en serrant son arme. Non, il ne s'agit pas d'un loup.
Le grognement retentit à nouveau. Plus proche. Anna se retourna et pâlit en voyant la bestiole au-dessus d'elle. Bestiole qui s'élança vers elle avec l'intention évidente d'en faire son prochain repas. Heureusement Thorin et ses légendaires réflexes de guerrier achevèrent la bête d'un coup d'épée. Kili tira une flèche dans une bête semblable qui arrivait par derrière pour tuer Thorin, et Dwalin acheva le monstre. Anna, livide, tremblante de tous ses membres, serrait son épée comme la dernière ancre qui la rattachait à la réalité.
-Anna ? l'appela Balin, inquiet.
Elle ne répondit pas, les yeux toujours fixés sur le cadavre du loup brun mutant.
-Des éclaireurs wargs ! annonça rageusement Thorin. Ça veut dire qu'une bande d'orcs n'est pas loin !
-Une bande d'orcs ? répéta Bilbo.
-A qui avez-vous parlé de votre quête, en dehors de votre clan ? demanda Gandalf.
-A personne, répondit Thorin.
-A qui l'avez-vous dit ? insista Gandalf, furieux.
-A personne, je le jure ! Au nom de Durin qu'y-a-t-il ?
Gandalf semblait tendu. Non, tendu était un doux euphémisme dans la situation présente.
-Vous êtes pourchassés, annonça-t-il.
-Il nous faut quitter cet endroit, lança Dwalin.
-Impossible ! intervint Ori. Nous n'avons pas de poneys ! Ils se sont enfuis !
Un cri monstrueux retentit alors au loin. Les tremblements d'Anna s'intensifièrent.
-Je vais les lancer à mes trousses, décida Radagast.
-Ce sont des wargs de Gundabad, répliqua Gandalf. Ils vous rattraperont !
-Ce sont des lapins de Rosghobel ! lança Radagast sans se démonter. Qu'ils essaient donc pour voir...
Anna renvoya un regard empli d'admiration au magicien brun. C'était probablement la meilleure réplique qu'elle ait jamais entendue. Et sûrement la dernière, vu qu'ils allaient tous mourir dévorés par des loups mutants – pardon, des wargs – d'ici peu. La vie est géniale.
Radagast partit devant sur son traîneau en provoquant les orcs, les éloignant de la Compagnie pendant que Gandalf les menait à travers la lande en courant. Ils s'arrêtaient parfois derrière des rochers pour rester hors de vue. Anna fut hors d'haleine au bout d'à peine une minute, mais tint bon. Kili lui empoigna la main et courut avec elle. Elle lui envoya mentalement sa reconnaissance, et continua à avancer.
Ils étaient cachés contre un rocher quand un problème arriva en la personne d'un orc monté sur un warg. Ils s'étaient arrêtés sur le rocher contre lequel ils étaient plaqués, et humaient l'air. « Ils nous ont sentis » pensa Anna en commençant à trembler à nouveau. Kili, plaqué contre elle, lui prit silencieusement le visage à deux mains et la força à le regarder. Elle fut hypnotisée par son regard chocolat. Les tremblements s'estompèrent. Il la maintenait consciente et calme par la seule force de son regard. Thorin lui fit signe de tuer l'orc avec son arc. Il lâcha Anna sans la quitter des yeux, banda son arme en silence, et se mit à découvert en lâchant ses flèches.
Sauf que les projectiles ne tuèrent pas instantanément les monstres. Anna poussa un gémissement angoissé quand les cris d'agonie s'élevèrent et résonnèrent dans la plaine. Ils étaient repérés. Le « Fuyez ! Vite ! » de Gandalf la reconnecta à la réalité, et elle reprit avec gratitude la main que lui tendait Kili.
Combien de temps coururent-ils ainsi comme des dératés en ligne droite – se cacher ne servant plus à rien ? Anna avait les jambes faibles, sa gorge était en feu, elle ne parvenait plus à respirer correctement et sa vision se brouillait peu à peu. Elle s'accrochait désespérément à la main de Kili pour ne pas se laisser tomber au sol. Elle devait tenir ou elle mourrait. C'était aussi simple que ça. Elle entendait les wargs se rapprocher. Elle en vit du coin de l'œil. Ils étaient encerclés.
-Kili ! Anna ! Tuez-les ! hurla Thorin.
Les deux concernés empoignèrent leurs arcs et encochèrent leurs flèches. Même s'ils faisaient mouche à chaque fois, ils étaient trop inférieurs en nombre et en munitions disponibles.
-Nous sommes cernés ! cria Fili.
-Comme si on n'avait pas remarqué, lâcha Anna en tirant une nouvelle flèche.
-Ce n'est pas vraiment le moment, répliqua le blond, amer.
-Quand alors ? On sera tous morts dans quelques instants ! Je préfère régler mes comptes tout de suite !
-Tu ne m'en a jamais laissé l'occasion !
-Je ne t'ai jamais vu vraiment essayer ! Si tu avais voulu me parler réellement tu m'aurais forcée à t'écouter !
-Et prendre un couteau bien placé ? Non merci !
-Si on s'en sort je jure sur la tête de mon frère que je me vengerai !
-Les enfants ! intervint durement Dwalin.
Fili et Anna s'échangèrent un bref regard énervé avant que l'archère ne tire une nouvelle flèche, reportant son attention sur les orcs.
-Il faut tenir ! ordonna Thorin.
-Par ici, pauvres fous ! fit la voix de Gandalf.
Anna et Kili continuèrent à tirer sur les wargs, les gardant à distance de la Compagnie.
-KILI ! ANNA ! SAUVEZ-VOUS ! hurla Thorin.
Anna, inexpérimentée des combats, se retourna. Elle vit que Thorin les attendait près d'un rocher. Les autres avaient disparus. Elle démarra un sprint vers leur leader, suivie de Kili. Aucun ne vit l'orc qui avait un arc. Aucun n'aurait pu prévoir la flèche qui partit. Mais Anna sentit la flèche s'enfoncer dans le côté gauche de sa poitrine. Et Kili sentit son sang se glacer dans ses veines quand il entendit le cri à glacer le sang de son amie.
Dans la caverne, tous les nains se regardèrent, très inquiets. Que se passait-il là-haut ? Fili devint blanc comme la craie et voulut remonter, et Dwalin eut toutes les peines du monde à le retenir.
Anna trébucha, essaya d'avancer encore, et se sentit tirée par Kili. Elle fut propulsée en avant, atterrit dans les bras de Thorin qui s'élança dans le trou avec elle, suivi de son neveu. A peine furent-ils en bas qu'Anna roula plus loin en hurlant de douleur. Un cor retentit au loin.
-Anna ! s'écria Kili en se précipitant près d'elle. Anna ! Réponds-moi !
-Kili... Tu vas bien ? murmura-t-elle faiblement en grimaçant.
Il eut un sourire triste.
-Tu viens de prendre une flèche et tu t'inquiètes pour moi ? Tu es vraiment bizarre tu sais ?
-On me le dit... souvent...
Sa tête retomba mollement sur le côté.
-Anna ? s'inquiéta Kili, au bord de la crise de panique. Anna ? Anna ! ANNA !
Il la souleva par les épaules, essaya de la réveiller, en vain.
-Non, souffla-t-il en serrant les dents. Ce n'est pas possible...
Les larmes se mirent à couler sur ses joues. Gandalf s'approcha de la jeune fille et la scanna magiquement. Sa grimace inquiéta tout le monde, et les sanglots de Kili redoublèrent. Fili tremblait de tous ses membres. Il fondit en larmes à son tour, s'écroulant à genoux sur le sol. Il poussa un long cri de rage vers la voûte de la caverne, détruit. Thorin était en état de choc, comme tout le monde. Dwalin secouait sa tête en répétant « Non... Non... Non... », les yeux agrandis d'horreur.
-Vite, ordonna Gandalf. Suivez-moi.
Il partit dans un étroit défilé qui partait de leur caverne. Kili souleva Anna en la serrant contre sa poitrine. Aucun membre de la Compagnie n'osa le contester. Dwalin lui ouvrit la voie, et Fili le suivait, fixant silencieusement les vagues châtain clair qui retombaient sur le bras de son frère, et les yeux aigue-marine à présent fermés. Les larmes dévalaient les joues des héritiers de Thorin.
Pourquoi elle ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi ?
Ces questions tournaient en boucle dans l'esprit de Fili. Quand il avait entendu son cri, il avait cru que son cœur s'était arrêté. Lorsqu'il l'avait vue, blessée et hurlant de douleur, il avait senti l'inquiétude l'envahir. Mais lorsqu'il l'avait vue pousser un dernier soupir avant de fermer ses yeux dans lesquels il aurait voulu se perdre pour l'éternité, son cœur avait été réduit en un tas de cendres. Une rage sourde à l'égard de la créature qui avait fait ça s'était emparée de lui. Il était perdu. Il ne se sentait plus vivant. Il avait crié, pleuré, et les larmes coulaient toujours, mais il se sentait vide. « Les derniers mots que nous avons échangés étaient guidés par la colère. Le dernier regard qu'elle m'a jeté était guidé par la colère. ». Les larmes redoublèrent. « Mahal pourquoi lui avoir donné le bracelet si elle était destinée à mourir si vite ? Pourquoi l'avoir embarquée dans cette quête ? ». Il essuya les traînées sales sur ses joues, mais les pleurs ne cessaient pas. « Je lui ai fait du mal et je n'ai pas réussi à la protéger alors que c'était mon devoir... ». Il continua à pleurer.
Ils atteignirent enfin la sortie du défilé et débouchèrent devant un paysage idyllique, quoiqu'aucun membre de la Compagnie n'avait le cœur à admirer la nature.
-La vallée d'Imladris, annonça Gandalf. Dans la langue commune on la connaît sous un autre nom...
-... Rivendell, compléta Bilbo.
Thorin grimaça mais ne fit pas de commentaire, envoyant un regard soucieux vers son plus jeune neveu, dont les pleurs ne cessaient toujours pas.
Les nains s'avancèrent surs les passerelles aériennes, jusqu'à une esplanade de pierre où ils se regroupèrent. Un elfe vint à leur rencontre.
-Mithrandir !
-Ah, Lindir !
Ils commencèrent à s'entretenir en elfique quand un cor résonna au loin. Des cavaliers elfes arrivèrent et firent un cercle autour des nains, qui se sentant en danger, avaient poussé Bilbo et Kili qui portait Anna au milieu. Lorsque les chevaux furent immobiles, un elfe descendit de monture.
-Gandalf.
-Seigneur Elrond ! le salua le magicien.
Ils parlèrent en elfique pour le plus grand déplaisir des nains.
-C'est étrange que des orcs s'approchent si près de nos frontières. Quelque chose ou quelqu'un doit les avoir attirés par ici.
-Ah, il se peut que se soit nous.
Thorin se détacha alors du groupe.
-Bienvenue Thorin, fils de Thrain, lança Elrond.
-Il ne me semble pas vous connaître, répondit froidement Thorin.
-Vous me rappelez votre grand-père. J'ai connu Thror quand il était roi sous la montagne.
-Ah oui ? Jamais il n'a parlé de vous.
Elrond fixa intensément le nain en parlant en elfique.
-Pas le temps pour les politesses ! cria alors Kili, s'avançant vers Elrond.
Le regard d'Elrond tomba sur Anna.
-Par les Valars, pourquoi n'en avez-vous pas tout de suite parlé ?
Il s'approcha d'elle et jeta un coup d'œil rapide à la flèche.
-Suivez-moi, vite, fit-il à Kili.
Sans hésiter le nain suivit le seigneur elfe à travers les couloirs jusqu'à une pièce toute blanche. Elrond fit signe à l'archer de déposer Anna sur la table en marbre.
-Nous devons faire vite si nous voulons qu'elle vive, marmonna Elrond en posant ses mains sur la flèche.
Kili releva instantanément la tête.
-Elle... est... vivante ?
Elrond hocha la tête, mais son air sombre ne rassura pas tellement Kili. Elrond lui demanda poliment de sortir pour qu'il puisse soigner la jeune fille, et Kili s'empara de la main d'Anna avant de la porter à ses lèvres.
-Tu vas vivre, hein ? Parce qu'on a plein de choses à faire. Je dois t'emmener aux Montagnes Bleues. Tu dois me faire manger de la glace au cassis, même si je n'ai aucune idée de ce que c'est. Alors je vais rejoindre les autres, mais je te promets de revenir vite. Je serais là quand tu te réveilleras, je te le promets. A bientôt...
Sa voix s'était brisée sur les derniers mots, et il partit rapidement, ne voulant pas éclater à nouveau en sanglots devant un elfe.
Chapitre relu et corrigé.