Daniela
31 décembre.
Il ne faisait pas vraiment froid ; le vent s'engouffrait dans mon manteau ouvert et dans mes cheveux, agréable et frais. Je marchais d'un bon pas vers le bâtiment de OG, les bureaux d'Alessio, pressée de le retrouver. Le soleil s'était couché alors que j'étais encore à la SAF. J'avais passé une bonne journée et je me réjouissais de la soirée qui nous attendait, Alessio et moi.
J'allais traverser la rue, lorsque je vis Alessio surgir en haut des marches menant au trottoir. J'allais lui faire signe, surprise et heureuse de le voir, quand soudain, une queue de cheval blonde entra dans mon champ de vision.
Chloé souriait à Alessio dans son trench Burberry. Un sourire timide, affecté. Il lui dit quelque chose d'un air las, elle haussa les épaules. Et tout à coup, son regard croisa le mien.
Elle me fit un sourire en coin, se pressa contre Alessio et l'embrassa droit sur la bouche.
Mon cœur explosa dans ma poitrine. Tout à coup, je n'entendais plus la circulation, ni les conversations des passants autour de moi. Je n'entendais plus rien.
Alessio repoussa Chloé, la maintenant à bout de bras, et lui dit quelque chose, l'air contrarié.
Contrarié. Pas indigné. Pas en en colère.
Pire encore : pas surpris.
Je restai figée sur le trottoir tandis que le vent de décembre m'envoyait mes cheveux à la figure. Le feu passa au rouge, les véhicules s'immobilisèrent sur la chaussée ; tout à coup, je repris mes esprits. Au ralentis, je me vis appeler Alessio.
Il sortit son téléphone de la poche de sa veste, regarda brièvement l'écran et décrocha, s'éloignant d'un pas de Chloé, qui me fixait toujours avec ce sourire moqueur à vomir.
─ Allo, ma chérie ?
─ Vous faites un couple adorable, dis donc.
Ma voix était méconnaissable.
Alessio regarda partout autour de lui, effaré, et son regard percuta le mien, de l'autre côté de la rue. Je le vis blêmir à dix mètres de distance.
─ Dani..., souffla-t-il, estomaqué.
Juste derrière lui, Chloé m'adressa un petit geste de la main. La rage m'arracha un hoquet étranglé.
Naturellement, Chloé savait que la vengeance est un plat qui se mange froid. Elle jubilait. Ses projets prenaient vie : j'avais vu ce qu'elle voulait que je découvre.
─ Je comprends mieux pourquoi tu es rentré si tard, l'autre jour, dis-je tout doucement à Alessio, la voix tremblant dans le combiné. T'as passé la nuit dans son lit, c'est ça ?
─ Non, Dani, je...
Je lui raccrochai au nez, pivotai et descendis l'avenue à grands pas, mes talons aiguilles claquant bruyamment sur le trottoir. Je jetai un œil par dessus mon épaule et je vis Alessio traverser au feu repassé au vert sans même regarder, plantant une Chloé furieuse devant les escaliers de son boulot. J'entendis un brusque coup de freins, une voiture klaxonner longuement et violemment, puis le pas précipité d'Alessio derrière moi. Il me courrait après et était déjà juste là. Impossible d'accélérer sans me casser une cheville. Foutues godasses !
─ Dani !
Alessio m'attrapa vivement par le bras pour que je m'arrête ; il m'obligea à lui faire face. Il était essoufflé, moi aussi. On se dévisagea, nos nez à quelques centimètres l'un de l'autre. Je déglutis douloureusement.
Il avait de si beaux yeux bleus.
Quel gâchis.
─ Dani, laisse-moi t'expliquer...
─ Lâche-moi, crachai-je, et je lui arrachai mon bras. Va la retrouver, ta Clochette !
─ Dani ! Attends, c'est pas ça, je...
Je lui collai une gifle magistrale. Comme ça, en pleine rue. Il en resta bouche bée.
Je m'enfuis.
Alessio me rattrapa de nouveau, quelques mètres plus loin. Il me poussa sous une porte cochère. Je me mis à le rouer de coups, à le griffer comme une véritable furie. Il attrapa mes poignets et les maintint dans mon dos, puis il me cloua contre la porte avec ses hanches.
─ Salaud ! Enfoiré !
Ca dû lui faire mal autant qu'à moi, peut-être. C'était la première fois que je pensais des choses pareilles à son encontre.
─ Arrête ! cria Alessio à son tour, le visage tout rouge. Laisse-moi t'expliquer. C'est pas du tout ce que tu crois.
─ Quoi, que mon mari me ment pour voir son ex adorée dans mon dos ? C'est pas ça ?
Le visage d'Alessio se décomposa. Il me lâcha, et je me mis à pleurer comme un veau en pleine rue. Non. Je ne voulais pas pleurer devant lui ; je séchai furieusement mes larmes, mais elles revinrent de plus belle.
─ Dani... oh, ma chérie.
Sa voix était horrifiée. Alessio ne supportait pas de me voir pleurer.
─ Je savais bien que tu me cachais quelque chose ! m'écriai-je, tremblante. Je sentais bien que je n'étais plus ta priorité.
Alessio prit mon visage entre ses mains, suppliant.
─ Tu ES ma priorité. Laisse-moi t'expliquer, s'il te plait, écoute-moi... ma mère voulait que je lui parle, c'est vrai, j'ai accepté, mais... je voulais qu'elle arrête de m'appeler, mais... elle a débarqué à mon boulot et... oh, Dani... je t'en prie... tu es tout mon monde, tu le sais bien.
Il parlait à toute vitesse, et j'entendais la panique dans sa voix, mais je secouais la tête, incrédule.
─ Ta mère ? répétai-je, n'en croyant pas mes oreilles, et je partis d'un rire hystérique. Non mais je rêve ! Ta mère t'a demandé de passer du temps avec elle et tu as accepté ???
Alessio se mordit la lèvre.
─ J'ai accepté parce que ma mère m'a proposé de faire un effort avec toi en échange. C'était mieux que rien...
─ Qui t'a dit ça ? Je t'ai rien demandé, Alessio ! Evidemment que c'est pire que rien !! Ta mère essaie simplement de te rabibocher avec Chloé, tu ne vois pas ?!
─ Et qu'est-ce que j'étais censé faire ? Refuser ? Tu étais malheureuse qu'elle ne veuille pas te parler...
Qu'est-ce que Sophie était forte.
Très forte.
Elle me haïssait. Oh, c'était bien joué. Elle savait bien qu'avec tout ça, je serais furieuse contre Alessio. Elle savait aussi qu'Alessio tenait à Chloé. Elle faisait d'une pierre deux coups avec ses manigances, l'air de rien.
Tout s'alignait parfaitement pour elle.
La froideur de Sophie ne cessait de reculer, de prendre des hauteurs dont je ne revenais pas.
Sophie ne voulait pas de ce mariage, pas pour son fils.
Sophie ne voudrait jamais de ce mariage, pas pour son fils.
─ Bien joué, Alessio, sanglotai-je, le frappant de nouveau sur la poitrine. Maintenant je pourrai plus jamais croire un mot qui sort de ta bouche. Lâche-moi, je n'ai pas envie de te voir.
Je le bousculai et m'éloignai, séchant furieusement mes larmes.
─ Dani, supplia Alessio, m'emboitant le pas. Je... j'ai été maladroit. Dani. Excuse-moi. Je ne savais pas quoi faire. Je ne savais pas quelle était la bonne chose à faire. Entre ma mère, Chloé et toi, je...
─ Me parler, Alessio. Te confier à moi, voilà ce que tu devais faire. Pas agir dans mon dos. Tu n'as rien compris au mariage, Alessio, rien. Tu te crois assez mature pour être mon mari ? Tu agis comme un adolescent. On s'est trompé, visiblement.
Alessio écarquilla les yeux, l'air blessé. Mon cœur se serra. Alors même que j'étais hors de moi, furieuse après lui, ça me fit mal de lui faire mal.
Le bus arrivait à l'arrêt, en sens inverse. Je me remis à courir pour monter dedans, juste avant que les portes ne se referment. Je croisai le regard désespéré d'Alessio, toujours debout sur le trottoir, et détournai la tête.