𝐒𝐔𝐏𝐄𝐑𝐍𝐎𝐕𝐀 - 𝐤𝐨𝐨𝐤𝐯

𝙲𝚑𝚊𝚙𝚒𝚝𝚛𝚎 𝟹𝟸 - 𝙾𝚛𝚒𝚘𝚗

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-Niki, bouge ton cul, merde ! 

Sans grand étonnement, ce fut la voix de Bangchan qui résonna dans l'air frais du matin. Le jeune blond accourut rapidement, tout transpirant, de lourds sacs sur le dos. Si, la veille, Jeongguk pensait que Niki était le chouchou du chef, il comprenait maintenant que c'était surtout son larbin. Son guerrier le plus fort et le plus jeune, certes, mais son larbin. 

L'aube était vite arrivée, et le commandant de ces lieux n'avait pas manqué une seule seconde pour plier bagage. Bangchan avait accepté l'appel à l'aide de son confrère, et aussi fou que cela pouvait paraître, il avait aussi accepté d'amener ses guerriers avec lui.  À présent, ils étaient tout au plus deux-cent à quitter la ville du roux, armes à la fois modernes et classiques aux mains. 

Jeongguk souriait, victorieusement. 

Avec autant d'individus à ses côtés, il était certain de dépasser Denzel en nombre. Taehyung, lui, se laissait distraire par la brise matinale qui venait caresser sa peau tannée, sous les yeux attentifs de son natif. 

-Tu n'as pas assez de provisions pour une semaine, Bangchan. remarqua le chef du peuple des Montagnes, observant rapidement le contenu des sacs et paniers. 

Le balafré se retourna vers lui, la tête la plus confuse qu'il ait fait de toute sa vie. 

-Qu'est-ce que tu m'racontes encore, Jeon ? 

-Je dis juste que pour un voyage d'une semaine, vous n'allez pas tenir la route. 

-Qu'est-c'qu'il bave... se murmura-t-il à lui-même, plissant ses yeux au possible. Oh non. Moment de réalisation. Me dis pas que tu passes par la forêt pour rentrer chez toi... ? 

Le visage de Jeongguk se ferma, sous le regard curieux de l'argenté, et des autres. 

-Où est le problème ?

Soudain, le balafré explosa de rire, seul. Le reste des gens présents l'observaient, incrédules. Seul Jeongguk serra sa mâchoire, agacé.

-Donc à chaque fois que tu viens, tu mets deux semaines, aller-retour ? se moquait-il, récoltant un énième regard noir du concerné. Jeongguk, tu ne vas quand même pas l'éviter toute ta vie, si ? 

Notez que c'était l'une des seules fois où il ne l'appelait pas par son nom de famille. 

-Je n'y arrive pas. admit le tatoué, détournant le regard. 

Taehyung n'y comprenait plus rien. D'abord, son Jeon semblait pour la première fois penaud. Ensuite, de qui ou de quoi pouvaient bien parler les deux hommes ? 

Sous sa mine plus que circonspecte, ce fut Bangchan, très observateur, qui intervint :

-Et en plus t'as rien dis à ton mec, nan mais je rêve. roula-t-il des yeux, prenant l'argenté par les épaules. Pauvre toi. tapota-t-il fraternellement son dos. 

-Taehyung est au courant. lança sèchement Jeongguk, ne voulant pas parler de cet épisode devant autant de gens. 

-Ah ? Il planta ses orbes claires dans celles opposées du Jeon. Eh ben, t'es pas n'importe qui. lui avoua Bangchan dans l'oreille, et Jeongguk guetta son geste d'un œil noir. Ouai, en gros, il a peur de remettre les pieds dans notre ancien village. lui expliqua-t-il. Sauf que Jeon Jeongguk va porter un peu ses couilles et prendre le chemin le plus court, compris ?! Parce que Bangchan n'a pas, mais alors pas du tout, envie de rajouter quatre jours à son périple ! hurla-t-il pour se faire bien entendre. 

De toute façon, il était impossible de discuter avec le roux. Jeongguk allait devoir prendre sur lui. 

C'était ainsi qu'ils partirent en direction des Montagnes, le cheval de Jeongguk en tête de file. Derrière suivaient d'autres montures, parfois des ânes et des mules afin de transporter les lourdes armes que ramenait Bangchan avec lui. Après avoir parlé de plusieurs choses entre eux, les deux chefs en avaient conclu qu'il fallait ramener des armes modernes, mais également des effectifs. 

Le roux n'avait pas vraiment hésité. Il semblait pris d'une haine incontrôlable, celle qu'on ne voyait pas en premier lieu, mais qui était bien là, encrée et mijotant dans l'ombre. Au premier abord, Bangchan ne semblait pas avoir changé. Il était toujours aussi emmerdant, mesquin, taquin. 

C'était ses prunelles bleues qui le trahissaient. Car au fond, on pouvait y apercevoir cette même étincelle de vengeance qui grandissait. Plus le temps passait, plus il comprenait combien il s'était fait berné, aveuglé par son amour pour Denzel. 

Secouant sa tête, le roux chassa bien vite sa colère grandissante. Il ne fallait pas qu'il explose maintenant, à deux petits mois du combat. 

Rapidement, il s'installa à bord d'un quatre-quatre revisité. La tribu de Bangchan était bien connue pour utiliser des objets de l'Ancien Monde : les voitures en faisaient évidemment parties. Son véhicule n'était qu'une espèce de structure métallique montée sur quatre roues motrices, pourtant, bien qu'on pourrait croire que ce tas de ferraille ne fasse même pas cinquante mètres, il roulait plutôt bien. Avec cet équipement tout terrain, il était sûr d'atteindre le village des Montagnes bien plus vite qu'à cheval. Hélas, la voiture avait besoin de recharger ses batteries assez fréquemment grâce à l'énergie solaire, ce qui prenait en contrepartie un temps fou. Mais Bangchan avait décidé de ramener son véhicule car il avait une capacité de chargement énorme comparé à une monture. Et au vu du nombre d'armes qu'il apportait, il allait en falloir, de la capacité de chargement. 

Le sol filait vite sous leurs pieds, si bien qu'après déjà trois heures de route, les voilà arrivés sur les anciennes terres où vivaient la famille Jeon, et toute leur ancienne tribu. Un coin escarpé, entre deux collines verdoyantes, des forêts de bambous, de grands pins, et une rivière. Il y avait là de quoi rester épanoui pour le restant de ses jours. 

Taehyung observait les environs toujours avec ses grands yeux de biche, émerveillé par la beauté simple et brute de la nature. 

Les chevaux étaient désormais au pas, le Jeon ayant volontairement ralenti afin d'observer lui aussi ce qui était son chez-soi, à l'époque. Revoir son ancien lieu de vie ne lui fit pas tant de mal que ça. Il commençait même à ressentir de la nostalgie, à chaque recoin qu'il reconnaissait, une multitudes de souvenirs lui revenant. Un fin sourire vint même se loger sur ses lèvres.

Lui qui en faisait des cauchemars, le voilà de retour sur les terres de son enfance, et ce, sans boule au ventre. Étrangement, il était apaisé. Peut-être que l'agréable senteur de son argenté y était pour quelque chose, aussi. 

-Et tu vois, là-bas ? J'avais un poney, à l'époque. Il s'appelait Bam, il adorait venir brouter ici. montrait Jeongguk à son protégé, d'un coup de menton. 

Bangchan les regardait du coin de l'œil, simplement curieux. Jeon n'avait pas menti, ces deux-là étaient follement amoureux. Il n'y avait qu'à voir le regard que Taehyung posait sur le natif, et la manière dont Jeongguk se livrait à l'argenté. 

Puis, alors qu'ils avançaient tranquillement entre les ruines de cet ancien village, Jeongguk descendit de son cheval, sans dire un mot. En fait, ça faisait plusieurs dizaines de minutes qu'il ne pipait plus mot. 

Une énorme dalle de pierre leur faisait face, parsemée de mauvaises herbes, et un peu éloignée des autres ruines. Le tatoué s'inclina alors une première fois devant cette construction, après  l'avoir simplement observé longuement, laissant encore une fois Taehyung pantois. 

Jeongguk se releva, avant de s'incliner encore plus bas dans la seconde qui suivait. 

-Il t'explique jamais rien, hein ? lança Bangchan au grisé. 

La mine circonspecte de Taehyung lui répondit, tandis que le Jeon s'était maintenant agenouillé au sol, baissant son visage vers ses jambes. L'argenté crut être le seul à remarquer les légers tremblements du chef des Montagnes. 

Il pleurait, en silence. 

Jeongguk pleurait. 

-C'était son ancienne maison, là où vivait tous les Jeon. murmura le roux, pinçant ses lèvres entre elles. 

Lui aussi, avait visiblement compris la tristesse de son camarade. Il n'en fit cependant aucune remarque, se contentant de poser un regard étonnament calme sur les lieux. 

Taehyung, tout en descendant doucement de leur monture, détailla plus intensément l'endroit, remarquant des vieux restes de bois consumé, sur le côté. 

Alors c'était là, où son noiraud avait vécu. Il imaginait alors une énorme maison faite de bois, se dresser devant lui. De jolies plantes longeant la façade et des fleurs colorées qui seraient ensevelies sous la neige l'hiver venant ; un feu de camp à trois pas qui viendrait réchauffer les habitants de la maison ; des arcs pour chasser posés contre un escalier en pierre menant à la cuisine... Hélas, son imagination débordante ne ramènerait jamais ce que Denzel avait brûlé, des années plus tôt. 

L'enfance de Jeongguk, Denzel l'avait brûlé, ça aussi. 

Cet acte horrible avait non seulement emporté la vie de ses proches, mais également tous les souvenirs que le noiraud partageait avec cet endroit. Tout était parti en fumée ce jour-là, littéralement.  

Avec toute la tendresse du monde, Taehyung s'approcha de son bien-aimé, sans faire un bruit. Il ne fallait pas lui casser ce moment de réconciliation avec lui-même, ni briser le calme ambiant. Si Taehyung aimait parler, Jeongguk préférait les gestes aux paroles. Alors l'argenté ne dit rien, se contentant de s'agenouiller à ses côtés, une main sur son dos prit de soubresauts. 

Par sa simple présence, il lui intimait qu'il était parfaitement normal de se laisser aller.

-On lui fera payer, Jeongguk. 

Ce n'était pas Taehyung qui avait parlé, mais bel et bien Bangchan, qui s'était approché. 

Assis sur le capot de son véhicule, il regardait face à lui avec désinvolture, ne posant jamais son regard sur la figure impuissante du Jeon. Comme s'il voulait lui laisser toute l'intimité qu'il lui fallait pour verser ses larmes, sans le juger. Bangchan passait au-dessus de ce moment de faiblesse que Jeongguk avait d'abord tenté de cacher. 

Parce que c'était ce que les amis faisaient. 

-Tu... Tu l'aimes, Chan. murmura-t-il sur un ton à peine audible, relevant sa tête sans pour autant montrer son visage. 

La prise de parole de Bangchan étonna d'autant plus Jeongguk, qui avait mis du temps à répondre. 

Taehyung observait en silence ses joues rebondies striées de larmes, son nez rouge, ses yeux gonflés. Il avait l'air d'un enfant, comme ça. En fait, c'était son enfant intérieur qui pleurait, pas lui. Toutes ses peurs, ses craintes, ses douleurs, tous ses remords, ses regrets s'envolaient enfin devant ce lieu rempli de sens, et de souvenirs. 

-Je l'aimais. contredit le roux, un long silence plus tard. 

-Alors qu'est-ce qui explique ta colère envers moi depuis toute ces années, et le fait que tu veuilles le tuer pour moi ? Un sanglot oral le prit. C'est évident, tu l'aimes encore malgré toi. Il baissa le visage vers les hautes herbes qui chatouillaient ses coudes. Et malgré moi, je reproduis son schéma. Je ne suis qu'un abruti pour t'avoir impunément demandé de m'aider, en appuyant là où ça faisait mal. Ça ne te causera qu'encore plus de torts, Bangchan, c'est... Le tuer ne résoudra rien, ni pour moi, ni pour nous tous. Je suis désolé, tu peux repartir, j-je-

-Jeon. l'appela-t-il, et si avant son nom de famille était utilisé à mauvais escient, Jeongguk savait que désormais ça n'avait rien de méchant quand il était prononcé par le balafré. Je l'aimais, et lui m'aimait pas. Je crois même que je l'aimais pas lui, mais le fait de croire que lui aussi pouvait m'aimer. Et ça, je viens seulement de le réaliser. Les deux jeunes hommes l'écoutaient silencieusement énoncer ces faits cinglants. Je t'en ai voulu, et je dis pas que je t'en voudrais plus, parce que t'as brisé mon moi adolescent. Mais j'ai grandi. On a tous grandi, avec nos passés, nos peurs, nos joies, et nos illusions. 

Il fit une pause, apparaissant actuellement comme l'être le plus imperturbable et calme de cette planète. 

-T'as grandi en te berçant dans l'illusion que ton bourreau était mort, que t'étais tranquille à vie. J'ai grandi en me berçant dans l'illusion qu'il m'avait été arraché par ta faute. Aujourd'hui, je comprends non seulement qu'il m'a pas été arraché, mais aussi que je le détenais pas. Alors si tu veux... La haine que je lui voue actuellement, elle est étrange. Je sais pas si je veux le voir mort parce qu'il ose poser toute son attention sur toi, ou parce qu'il a même pas daigné me chercher toutes ces années, ou tout simplement parce qu'il m'a menti à propos de ses sentiments à mon égard. J'sais pas. 

Une énième pause, et Bangchan semblait se perdre dans ses pensées. 

-En fait, je crois surtout que je le déteste non pas parce que je l'ai aimé, mais parce que j'aurais pu être du côté de mes amis depuis tout ce temps.

Jeongguk comme Taehyung ne s'attendaient certainement pas à cette prise de parole de sa part. Le noiraud lui découvrait une part de sa personnalité qu'il ne lui connaissait pas. 

-Bangchan... Tu peux partir à tout moment si tu changes d'avis. Je ne te retiendrais pas. 

-Quoi qu'il en coûte, Jeon, je tiendrais parole. 

Pas plus de mots ne furent échangés dans l'après-midi. 

Jeongguk se calma, reprit la route sans un mot de plus, Taehyung le rassurant pas sa simple présence. 

Tard dans la nuit, ils s'arrêtèrent enfin pour faire un feu, manger et se reposer, avant de reprendre rapidement la route avant l'aube. 

-Et là, v'là pas la petite Soyeon qui arrive vers nous en chialant, parce qu'elle avait vu Namjoon galocher sa copine de l'époque ! racontait Bangchan, un grand sourire aux lèvres sous les gloussements des autres, autour du feu. 

-Pour qu'elle pleure, elle n'a pas dû voir que ça. ajoutait Jeongguk, un fin sourire aux lèvres. 

-La pauvre. Le roux fit les gros yeux, enfournant un bout de carpe grillé dans sa bouche grande ouverte. Elle a dû la voir, pas possible autrement. 

-La ? 

-On la surnomme l'anaconda. plaisanta-t-il sur un faux ton mystérieux. 

Taehyung mit sa main devant sa bouche, riant aux éclats. Il trouvait ce Bangchan vraiment drôle, en plus d'avoir un très bon fond. 

La soirée s'était déroulée dans la joie et la bonne humeur, tous s'adonnant aux conversations diverses et variées autour d'un feu et de plusieurs poissons fraîchement péchés. Le Jeon renouait même de forts liens avec Bangchan, ce camarade qui le détestait, pas plus tard qu'il y avait quelques jours. 

Taehyung en était plus que ravi. Voir que pour une fois, le chef du peuple des Montagnes se détendait en compagnie d'autres personnes que les membres de sa tribu, lui réchauffait le coeur. Jeongguk semblait enfin baisser sa vigilance, et profiter des moments que la vie lui offrait. 

-Oh putain, c'est quoi ça, là-haut ?! 

Le jeune Niki pointait le ciel du doigt, et tous suivirent du regard ce qu'il montrait avec empressement. L'argenté, qui s'émerveillait devant le sourire éclatant de son noiraud, perdit son expression sereine. 

Une boule de feu s'approchait dangereusement de la Terre. Et ce n'était pas une étoile filante. 

-Le peuple du Ciel. Ils sont là.

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