Fille de l'Océan - partie 2

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Quand elle émergea avec son fardeau, le beau visage aux traits carrés était bouffi, les yeux exorbités, la langue pendante. Elle le lâcha en poussant un cri. Qu'était-il arrivé à son bel Amour ? Était-il beaucoup plus vieux qu'elle ne l'avais initialement cru ? Était-il habituel pour un Homme de mourir ainsi, sans signe avant-coureur ?

Soudain, sur le pont du bateau, un cri retenti. Puis deux. Puis trois. Les marins les avaient repérés, elle et son nouvel Amour. Mais ils ne semblaient pas prendre conscience de la tristesse qui animait son cœur à cet instant. Ils hurlaient. Lui criaient des mots qu'elle ne comprenait pas. Ne pouvaient-ils la bercer ? La réconforter ?
Elle allait replonger, pleurer seule sur son malheur, dans son épave, quand une douleur horrible la prit au flan. Un harpon avait été lancé sur elle et lui avait déchiqueté une partie des côtes.
Hurlant de douleur, déçue par les Hommes et leurs âmes perfides, son cœur se glaça à nouveau, mais cette fois d'une haine jusque-là inconnue des êtres de l'océan. Toute l'eau autour d'elle se changea irrémédiablement en glace à son tour. Les vagues se figèrent dans leurs mouvements. Le corps mort du marin remonté à la surface fut transpercé de 1000 pics de glaces, dévoilant une forme d'intimité que personne ne souhaite voir exposée. La coque du bateau se perça elle aussi, sous la pression exercée par l'eau gelée. Sur plus de 20 kilomètres l'océan se voila, emprisonnant les créatures voguant à sa surface.

La sirène pris juste le temps de s'enfoncer à nouveau sous l'eau et referma le trou par lequel elle avait disparu.
Son flan labouré la faisait atrocement souffrir. Et un nouvel élan de haine gela également le trou béant dans ses chairs. La douleur l'accompagnerait désormais pour toujours. Mais au moins n'oublierait-elle jamais à quel point l'être humain est abject.

Arrivée dans son épave, elle envoya un rai d'eau gelée sur la statue de son Amour, qui se fendit et se disloqua en petits morceaux. Lui non plus n'était certainement pas un être bon. Qu'il aille rejoindre les autres en Enfers.

Elle se terra ensuite. Pendant très, très longtemps. Ne sortant plus que pour se nourrir de temps en temps.

Des dizaines d'années passèrent avant que la douleur ne l'autorise à remonter à la surface. Douleur psychique. Douleur physique. Quand elle émergea près du grand bateau qu'elle avait condamné à l'immobilité, elle découvrit que les hommes avaient péris sous son maléfice. Plusieurs statues de glace étaient encore visibles, accrochées aux bastingages, dans de ridicules postures tantôt épouvantées, tantôt furieuses. Poncées par la pluie rare, elles laissaient apercevoir par transparence leur macabre contenu.

N'ayant plus rien à faire à cet endroit, la sirène repris son voyage. Cette fois, elle abandonnait l'épave. Elle abandonnait cet endroit monstrueux où tant de choses absurdes s'étaient déroulées.
Elle nagea plusieurs jours avant de tomber sur un endroit habité par une colonie de phoques.

Elle connaissait ces créatures, même si elle les avait un peu oubliées dans sa course à l'Homme. Elle choisit de se poser sur un rocher et de les observer un moment avant de repartir. Il y en avait des vieux, qui se doraient au soleil sans trop bouger. Des adultes, trop occupés à surveiller leur progéniture d'un œil pour pouvoir faire la sieste en paix. Et des jeunes. D'adorables boules de poils blanches qui s'égaient un peu partout dans la colonie. C'était reposant de voir tous ces êtres vivres tranquillement. S'amuser. Se reposer. Se faire la cours pour ceux qui étaient en âge de le faire. Pour un peu, cette ambiance familiale et amicale, lui aurait manqué.
Mais elle ne souhaitait plus s'installer nulle part. Ni se faire des amis. Elle n'aspirait qu'à voguer seule. En toute tranquillité. Avec sa douleur.
Son flan ne s'était jamais refermé. La blessure était restée figée dans la glace, identique au premier jour. Pour qu'elle se souvienne, toute sa vie durant, des atrocités dont les Hommes sont capables.
La douleur initiale s'était faite moindre au fil des années, mais celle de la peau gelée se rappelait en permanence à elle.

L'Avent Tuera (calendrier de l'avent 2019)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant