Peu de lumière et beaucoup d'eau.
Ainsi vivait Nashoa.
De l'épave d'un navire en bois, elle avait fait sa maison.
Se nourrissant de plancton et d'algues, elle vivait libre, loin de sa communauté.
Rejetée après être tombée sous le charme d'une statue aux traits d'être humain.
Loin au Nord, elle s'était exilée. Seule et fatiguée, elle était arrivée. Après, sur des kilomètres, avoir transporté la statue de l'Homme aimé.
Sur le pont, elle l'avait installé, pour qu'il puisse la protéger.
La prévenir en cas de danger.Mais pour une sirène peu de menaces subsistent. Surtout pour celles qui, déjà, n'ont plus rien à perdre.
Seule. Isolée. Abandonnée
Ses nageoires d'un bleu profond, elle agitait pour respirer. Et, des heures durant, nageait pour exister.
Quel destin funeste que le sien. Dévorée par un amour de marbre.Quand, un jour, poussée par l'envie de revoir le ciel, elle remonta à la surface. Juste quelques minutes, chéri. Le temps de te dire que ton monde existe toujours.
Mais, quand elle aperçut le bateau, en heures se muèrent les minutes.
À son bord, un homme. Un vrai.
Si différent de ce qu'elle avait pu imaginer. Sa peau rose, ses cheveux gras, les blessures à ses doigts.
Et l'odeur de mort que charriait son navire.
Était-ce là l'odeur des Hommes ?
Elle resta à l'observer sans se montrer. Longtemps. Découvrit qu'il y en avait un autre. Le préféra au premier.
Plus jeune, plus vaillant. Moins arrogant. Il lui semblait qu'il s'excusait en permanence d'oser chevaucher ainsi le Dieu Océan.
Bientôt, les heures se muèrent en jours. Et un soir, enfin, il la remarqua.
Elle ne se cachait plus. Son allégeance avait changé.
Quitte à aimer un humain, autant qu'il soit en mesure de respirer.
Elle l'appela, lui cria son amour. Elle n'avait jamais su faire dans la demi-mesure.
Mais il prit peur. Il cria à son tour. Et couru se réfugier dans les cales.
De tristesse, le cœur de Nashoa se gela. Et la mer autour en fit autant.
De son cœur meurtri, sortirent des épines de glace qui gelèrent tout sur leur passage.
Ainsi vont les pouvoirs des filles de l'eau.
À la surface, l'eau s'arrêta. Le bateau resta prisonnier. Et au bout de quelques semaines, alors que Nashoa pleurait aux pieds de son seul aimé, les pécheurs périrent. De faim et de froid.Bien des années plus tard, alors que la surface s'était rouverte, libérant le navire fantôme depuis longtemps, Nashoa, dont le cœur s'était réchauffé, fut à nouveau amenée à remonter.
Alors qu'elle pourchassait un pingouin pour tromper l'ennui, un courant violent vient la heurter.
Curieuse, elle le pourchassa et émergea bientôt dans le sillon d'un navire bien plus gros que celui de la dernière fois, ou même de celui dans lequel elle vivait.
À son bord, trop, beaucoup trop, d'êtres humains. Et tout autour, cette même odeur de mort que la première fois. Mais en pire. C'était donc bien cela l'odeur des Hommes.
Ne se rappelant que trop le froid qui l'avait engourdie des mois durant, la sirène hésita. Elle ne voulait pas retomber sous le charme d'une de ses créatures. Pourtant, sa curiosité la poussait à ne jamais trop s'en éloigner.
Au bout de plusieurs jours, elle remarqua qu'ils ne remontaient pas de poisson. Les pensant plus sensés que les deux pêcheurs, elle s'exposa.L'un d'eux la remarqua tout de suite. Encore jeune, grand et brun de peau. Il était très différent de son Amour Marbré, très différent des pêcheurs. Et son cœur de concombre de mer s'emballa.
Ses cris avaient inquiété le pécheur. Que pouvait-elle faire pour ne pas effrayer celui-ci ?Mue par une envie soudaine, elle ouvrir la bouche. Non pour crier cette fois, mais pour chanter. À son grand étonnement, le son qu'elle produisit lui sembla des plus horribles. Sous l'eau, sa voix était pourtant fort acceptable. Elle faillit se taire, mais remarqua que le jeune homme était comme ensorcelé par son chant. Loin de fuir, comme le fit le fils du pêcheur, celui-là s'approchait au contraire du bastingage. Bien vite, il l'enjamba et se jeta à l'eau pour la rejoindre.
Nashoa ignorait si les Hommes étaient ou non de bons nageurs. Elle cessa immédiatement de chanter et se porta au secours de l'Homme. Juste au cas où.
À l'instant même où le chant s'arrêta, le mousse se rendit compte de ce qu'il venait de faire. Le froid de la mer le frappa. Ses membres se raidirent. Il hurla pour appeler ses camarades au secours, mais ses poumons s'étaient vidés de tout oxygène.
L'apparition qui sortit de l'eau devant lui le pétrifia soudain. La créature, celle qu'il avait cru voir depuis le bateau, se trouvait devant lui. Ballottée au grès des vagues.Le visage était presque humain, si on omettait de spécifier les trois balafres rosées qui s'ouvraient de chaque côté de son cou, comme d'horribles blessures infligées par un quelconque fauve sauvage. Sa peau bleutée inquiétait quant à son état de santé. On aurait dit qu'elle était restée dans l'eau glacée depuis trop longtemps. Au bout de ses bras tout en muscles s'ouvraient d'étranges mains aux doigts palmés.
Le marin avait peur. Qu'était donc cette créature des enfers ?Quand elle ouvrit la bouche, il aperçut des dents acérées et eu un mouvement de recul qu'elle ne prit que pour une réaction à une vague plus forte.
Nashoa ne voulait pas le mordre, bien sûr. Et si elle ouvrit la bouche, ce fut pour lui parler. Lui dire à quel point elle le trouvait beau, qu'il pourrait devenir son nouvel Amour si le cœur lui en disait. Et s'il était plus attentif et amoureux que l'actuel.
Elle voulait vraiment lui dire tout cela, et même plus, mais le son qui sortit d'entre ses lèvres bleutées était une torture pour l'oreille humaine.
Le jeune marin hoqueta plus qu'il ne cria, et se couvrit les oreilles des mains. Se faisant, il se retrouva la tête sous l'eau et pu enfin voir le bas du corps de l'apparition.
Son torse, comme ses bras, était en partie humain, quoiqu'il soit presque entièrement recouvert de petites écailles bleues. Mais en lieu et place des jambes, se tenait une queue de poisson. Deux grandes nageoires fluides tout en bas, quatre plus petites sur les côtés.
Il avait beau naviguer depuis plusieurs années, il n'avait jamais ni vu ni entendu parler d'une créature pareille. Il voulut crier, encore, mais ne réussit qu'à avaler un peu plus d'eau salée.Nashoa n'était pas sure de comprendre ce que faisait l'homme, mais s'il s'immergeait entièrement, cela voulait sûrement dire qu'il pouvait respirer sous l'eau, tout comme elle. D'un mouvement de queue joyeux, elle exécuta un bond hors de l'eau et attrapa l'homme par le torse quand elle replongea. Peut-être que sous l'eau sa voix passerait mieux.
Elle l'entraîna dans son sillage, prenant ses débattements pour des tentatives de nage.
Il n'était pas très doué. Mais elle lui apprendrait.
Quand il arrêta de bouger, elle prit ça pour un encouragement. Il avait compris qu'il ne s'y prenait pas bien et la laissait désormais mener la barque. Elle accéléra donc. Pressée de lui faire découvrir la nouvelle maison qu'il partagerait avec elle. L'épave du bateau.En arrivant, elle le lâcha. Lui indiquant les diverses choses qui peuplaient désormais le pont principal. Elle omit de lui présenter son Amour. Elle aurait bien le temps de lui expliquer son histoire plus tard.
Quand elle remarqua qu'il ne faisait non seulement pas attention à ce qu'elle lui racontait, mais qu'en plus il ne bougeait plus du tout, affaissé au bastingage recouvert d'algues et de coquillages, elle prit peur.
Elle tourna autour de lui, lui demandant s'il allait bien, s'il avait envie de remonter à la surface. Mais rien ne se passa.
Craignant subitement pour sa vie, elle l'étreignit et les remonta tout aussi vite que le lui permettaient les battements de sa longue queue.

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L'Avent Tuera (calendrier de l'avent 2019)
Short Story25 jours de nouvelles, souvent terrifiques, sur le thème de Noël, de l'hiver, de l'avent. Avec de vrais morceaux de psychopathes, de vampires, de zombies et de p'tits vieux. Des nouvelles tantôt trash, tantôt gores, tantôt amusantes. Peu de guimauv...