Ceux que la brume ne cache pas - partie 3

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Page bloque sur l'affiche qu'elle a sous les yeux. La bouche entrouverte, le regard fixe, elle n'arrive pas à assimiler ce qu'elle a devant elle. Elle envoie un mail à sa patronne, lui demandant des explications et lui conseillant de venir faire un tour sur son compte insta pour se rendre compte de ce qu'elle et Marc vivent depuis deux jours. Dans sa tête, plusieurs choses se mettent en place et elle craint la conclusion à laquelle elle va arriver.
Elle bégaye.
— M...Marc...
Assis par terre, la tête entre les mains, plongé lui aussi dans des pensées désagréables, il tourne les yeux vers elle. Leurs regards se croisent, elle lui tend son téléphone et attend plusieurs minutes avant de reprendre la parole, le temps qu'il prenne pleinement la mesure de ce que cette affiche implique.
— Je crois qu'on doit retourner à la librairie.
Il lève les yeux vers elle, ses jointures sont blanches à force de serrer le smartphone. Il sait où elle veut en venir, il le jurerait. Elle tend la main dans sa direction, attendant qu'il lui rende ce qui lui appartient, mais il détourne simplement les yeux.
— Je croyais que tu ne voulais plus y mettre les pieds.
— Je n'ai aucune envie d'y retourner... Mais tout ça est trop bizarre. L'endroit où on est, c'est peut-être une sorte de... de dimension parallèle. Si l'accès à la librairie a été bloqué dans notre monde, c'est peut-être parce qu'il cache une sorte de porte entre ici et chez nous.
Elle a laissé ses cheveux retomber en partie devant son visage. Très cartésienne, elle n'aime pas émettre des hypothèses aussi fantaisistes et se sent obligée de se cacher pour les énoncer à voix haute. Elle lui jette un regard par en dessous, s'aperçoit qu'il ne la regarde toujours pas et se sent plus en confiance pour continuer.
— Je sais que c'est absurde, Marc, mais à part un rêve ou admettre que je suis devenue folle, je ne vois pas beaucoup d'autres explications. Et, franchement, je n'ai jamais eu aussi mal dans un rêve. Elle désigne sa jambe du menton puis hausse une épaule. Et si l'une des deux autres suppositions s'avérait être vraie, je n'aurais rien à perdre à y retourner. Donc, quelle que soit la chose qui est en train de se produire, rejoindre la librairie me semble être la seule action qui pourrait faire évoluer la situation.
Marc reste silencieux un long moment, si bien qu'elle se demande s'il l'a vraiment écoutée, mais quand il se relève, il semble plus motivé qu'il ne l'a été depuis qu'ils ont élu domicile dans l'infirmerie.
Il lui rend son téléphone, qui s'est mis en veille.
— Je crois que tu as raison. En fait, j'étais arrivé à peu prés à la même conclusion. C'est là que tout a commencé, c'est là que ça devra se terminer.
L'impression qu'il renvoi en prononçant ses mots ne colle pas du tout à l'énergie qu'il semble dégager. Page pose une main sur son bras, espérant qu'il la regardera, ce qu'il ne fait pas. Elle insiste alors, serrant ses doigts plus fort et le tirant vers elle pour le forcer à se tourner. Il tente de se dégager une première fois et soupire quand il comprend qu'elle ne lâchera rien. Le regard qu'il lui coule, affole Page.
— Tu parles comme si tu avais prévu de mourir là-bas, accuse-t-elle.
Pendant une fraction de seconde, elle croit déceler une lueur de profonde tristesse dans son œil, mais l'instant d'après, il affiche un sourire chaleureux du même genre que celui qu'il sert à ses clients.
— Pas du tout. J'ai encore plein de choses à vivre et je n'ai pas l'intention d'y renoncer à cause d'un monstre ou deux.
Il lui fait un clin d'œil et profite de ce qu'elle a desserré sa prise pour s'en défaire.
— Tu sais, j'ai rencontré une fille il y a quelques semaines. On doit passer le nouvel an ensemble. Elle est marrante, et gentille, et elle gère sa propre boite d'info. Elle a des canards chez elle, t'imagines ? Des canards. Il se met à rire. C'est vrai qu'elle est un peu bizarre des fois, mais je l'aime déjà beaucoup.
Il s'avance jusqu'à l'évier, allume le robinet et s'asperge le visage d'eau avant de se retourner vers Page.
— Je crois qu'on pourrait être heureux ensemble, et je ne laisserais rien ni personne se mettre en travers de mon bonheur.
Ils se défient du regard un instant puis Page approuve d'un bref mouvement de la tête.
— Je préfère ça, se contente-t-elle de répondre sans détourner les yeux.

L'Avent Tuera (calendrier de l'avent 2019)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant