15 ans que je n'ai plus mis les pieds dans cette maison, sur ce domaine. 15 ans depuis la dispute avec ma grand-mère, celle qui a tout déclenché.
Enfant, je m'entendais bien avec elle, notre relation était plutôt belle, je crois même que ma mère en était jalouse, elle qui a toujours eu peur de la femme tyrannique qu'était la vieille dans ces jeunes années. Mais avec moi, elle était tendre et drôle. Je l'aimais beaucoup. Puis est venue l'adolescence, et les conflits ont éclaté. Pour un oui ou pour un non. Elle n'était jamais d'accord avec mes décisions, et ça me pesait. Un soir, l'été de mes 16 ans, poussée par la curiosité, l'ennui, et aussi un peu un désir de rébellion, inutile de le cacher, j'ai bravé l'interdit ultime. J'ai volé son trousseau de clefs et suis entrée dans la réserve attenante au garage. Mon frère et moi avons toujours eu l'interdiction totale de nous y rendre. Vers 12 ou 13 ans, j'ai interrogé ma mère, mais même elle n'y avait jamais mis les pieds et ignorait complètement ce qui se trouvait derrière la porte peinte en vert.
On la voyait parfois y entrer, rester à l'intérieur quelques heures, puis en ressortir comme si de rien n'était. Qu'elle soit à l'intérieur ou à l'extérieur de la pièce, la porte en était toujours verrouillée et nous avions tous été dressé à ne pas chercher à savoir ce qui s'y cachait. Même mon grand-père l'ignorait, ce qui est absurde vu qu'il semblait n'y avoir aucun autre secret entre eux, à part ça.Je me souviens d'un été, alors que je devais avoir 6 ans et mon frère 15, il avait pris l'habitude d'essayer la poignée à chaque fois qu'il passait devant la porte. Au début, il faisait attention, et ne le faisait que quand ma grand-mère n'était pas dans les parages. Mais au bout de 15 jours de vacances et de plusieurs essais par jour, le mouvement était devenu un automatisme et il avait fini par le faire sous le nez de ma grand-mère. Jamais ni lui, ni moi, ne l'avions vue se mettre dans une telle fureur. Elle lui a fait la leçon plus d'une heure durant, lui a tiré la tête pendant une bonne semaine et ne lui a refait confiance qu'au bout de plusieurs mois. Il en a été très affecté et je pense qu'autant lui que ma grand-mère s'attendait à ce que cette sanction me serve également de leçon. Car s'il fut rapidement évident que j'étais la plus curieuse des deux, il ne fallait pas non plus être extra-lucide pour comprendre l'affection que j'avais pour la vieille et qu'une telle dispute entre nous m'aurait anéantie.
Néanmoins, ne pas savoir était frustrant, et, ce soir-là, j'ai profité qu'elle était tombée endormie devant la télé, pour escamoter les clefs qu'elle portait attachée à sa ceinture, tel un gardien de prison.
J'ai filé au garage, ai essayé quatre clefs avant de tomber sur la bonne, et suis entrée dans la pièce aveugle avec une déférence qui m'était jusqu'alors inconnue.
J'ai tâtonné un moment avant de trouver l'interrupteur et, pendant tout ce temps, je m'imaginais ce que j'allais découvrir. Était-ce ici que la vieille entreposait toute sa fortune ? Ou peut-être était-elle une tueuse en série et allais-je tomber sur les corps momifiés de ses victimes. Je me préparais aussi à l'idée que j'allais peut-être juste tomber sur un bureau tout à fait ordinaire. Même si, plutôt qu'ordinaire, je préférais supposer qu'il serait rempli de romans qu'elle aurait écrit et qui raconteraient dans le détail l'exaltante vie d'agent secret qu'elle aurait vécue étant plus jeune.Le spectacle qui m'attendait n'avait pourtant rien d'extraordinaire. Une simple pièce de 3 mètres sur 4 aux murs blancs et au sol gris. Une vieille chaise en bois posée dans un coin prenait la poussière et une porte recouverte de peinture rouge écaillée faisait face à celle que je venais de passer.
La première déception passée, je me dis que la chose d'intérêt, quelle qu'elle soit, devait se trouver derrière cette seconde porte. Je m'en approchais donc, posais une main dessus, les clefs dans l'autre, prête à toutes les tester, quand la voix de ma grand-mère me fit me retourner. Jamais je ne l'avais vue si furieuse, pas même la fois où elle avait vu mon frère tenter d'ouvrir la porte. Elle respirait fort et ses cheveux étaient vaguement ébouriffés, signe qu'elle venait de se réveiller et qu'elle avait du courir dans la maison et les escaliers pour m'empêcher d'ouvrir la porte. Elle m'avait ordonné de lâcher la poignée et, dés que je m'étais exécutée, elle m'avait attrapé le poignet et m'avait jetée hors de la pièce. La dispute qui s'en était suivie m'avait amenée à fuir la maison de rage. J'avais trouvé refuge chez une amie qui habitait à quelques kilomètres de là et, dés le lendemain, mon père débarquait dans sa vieille bagnole cabossée pour me ramener chez nous.

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L'Avent Tuera (calendrier de l'avent 2019)
Short Story25 jours de nouvelles, souvent terrifiques, sur le thème de Noël, de l'hiver, de l'avent. Avec de vrais morceaux de psychopathes, de vampires, de zombies et de p'tits vieux. Des nouvelles tantôt trash, tantôt gores, tantôt amusantes. Peu de guimauv...