Saint of the Dead - partie 1

Depuis le début
                                    

Sortant vainqueur du combat, bien qu'un peu inégal le combat, Nicolas faisant 30 bons centimètres de plus que l'autre homme, Nick se relève, sa crosse en or à la main.
— Sacré vin dju, Hans, ne r'fait p'us ça. Si l'patron s'n'aperçoit, l'est foutu de me faire tout r'commencer.
Bien sur, Hans le sait, mais il trouve idiot d'avoir offert une crosse magique à Nicolas si c'est pour l'empêcher de s'en servir quand le besoin s'en fait vraiment sentir. Comme par exemple, à deux jours de la tournée et alors que rien, ou presque, n'est près.

Quoiqu'il en soit, il aide Nicolas à empiler les friandises sur le dos du petit âne et repart avec lui jusqu'à la réserve.
Il n'y a pas que la crosse qui est magique, évidemment. Myre aussi possède son lot de pouvoirs étranges. Dont celui, bien pratique, on en conviendra, de pouvoir transporter de très lourdes charges sans peine. Il peut également voler si le besoin s'en fait sentir, et plutôt vite, en plus. Après tout, il parvient chaque année à terminer la tournée en moins d'une nuit, et ce, malgré le nombre ahurissant de maisons abonnées au service.

Pendant deux jours et deux nuits, ça n'arrête pas. Les âmes charitables se font exploiter, Hans et Myre font des aller-retour entre les fours et la réserve, et Nicolas hurle sur tout le monde car rien n'avance assez vite à son goût.
Au soir du 5 décembre, la réserve déborde de sucreries, mais leur nombre est toujours insuffisant, si bien que Nicolas donne quelques discrets coups de crosse dans l'air pour en augmenter la quantité. Et, quand l'heure du départ sonne, c'est un Hans habillé d'une chemise et d'un pantalon digne d'un jongleur du Moyen-Age, les tresses planquées dans un chapeau bouffant et une perruque frisée, qui l'attend, debout à coté de Myre, portant sur son dos deux gros paniers à fonds magiques, débordant de spéculoos, massepains et autre biscuiterie.
Le costume est ridicule, et Hans ne serait pas contre l'idée de le moderniser un peu, mais le Grand Patron n'est pas trop porté sur la modernisation.
Nicolas arrive, pile à l'heure, la mitre sous le bras, la crosse dans la main, habillé comme tous les jours. Il n'est pas obligé de s'habiller ainsi toute l'année, mais depuis qu'il l'a fait réviser par un styliste célèbre, la tenue lui plaît beaucoup plus qu'avant et il ne la quitte plus. Il se poste de l'autre coté de l'âne.
— Toujours aussi professionnel, glisse-t-il au troubadour.
— Faut bien qu'au moins l'un de nous le soi
TAK TAK TAK. Il frappe trois fois sa crosse sur le sol devant lui et FIOUP ! Ils ont disparu.
Bien des kilomètres plus loin, sur Terre, un petit tourbillon de neige se forme sans raison apparente au milieu d'une rue. Quand il se dissipe, deux hommes et un âne se sont matérialisés.
— C'est différent des autres années, non ? S'inquiète Hans et voyant la petite rue jonchée de détritus, certaines fenêtres et portes condamnées par des planches en bois, d'autres simplement explosées.
— Hmm... Nicolas fronce ses sourcils blancs. C'est pas faux. Me souviens pas qu'une guerre aie été prévue ici.
Il sort un petit calepin de sa poche et le feuillette jusqu'à la date du jour.
— Affirmatif. Pas d'problème signalé. On commence par la 22.
Alors qu'il crochète habituellement la serrure, Nicolas peut, cette fois, entrer sans son matériel du parfait petit voleur vu que la porte du numéro 22 est tout simplement manquante. À l'intérieur, une odeur d'œuf pourri et de lait rance agresse le nez, mais il n'y prête pas plus attention que ça. Les humains sont parfois tellement étranges et sales.
Toutes les maisons de la première rue étant dans le même genre d'état, cette partie de la tournée va très vite. Nick ne s'inquiète pas, trouve au contraire même ça plutôt reposant. Ce qu'il aime le moins dans le job, ce sont les gamins qui le guettent et qui finissent inexorablement par le mettre en retard. Or, ce soir, il n'en a encore repéré aucun. C'est plutôt un très bon début de soirée.
Hans, en revanche, est plus circonspect. Cela fait des années qu'il accompagne Nick dans sa tournée, au début il devait punir les enfants méchants, mais Nicolas aime tellement le faire lui-même, qu'il a fini par plutôt s'occuper de l'intendance, gérant les stocks de friandises et veillant sur Myre entre les différents arrêts. Des 6 décembre, il en a donc vu passer plus souvent qu'à son tour, et aujourd'hui, vraiment, il y a quelque chose qui cloche.
Il ausculte la route dans laquelle ils viennent de déboucher, elle est dans un état proche de celle qu'ils viennent de quitter. Pire, toutes celles qu'ils ont croisés étaient pareilles. Ce n'est pas du tout normal.
— Nick... Y a vraiment un truc bizarre ici. On changerait pas de quartier ? Nicolas lui lance un regard qui, s'il peut paraître assez neutre à un néophyte, signifie sans aucun doute « T'es pas sérieux ? On vient de commencer, là ». On repassera après, mec. Mais faut savoir ce qui se passe. T'es en train de laisser de la bouffe dans des maisons ou plus personne n'habite.
Nicolas sort son carnet et le tend vers le visage de Hans, ne s'arrêtant qu'à quelques millimètres de son nez. Il semble prodigieusement agacé.
— Là. T'vois bien que c'quartier est s'r la liste. Y a des gosses qu'habitent ici, et des sages en plus.
Hans écarte le calepin d'un rapide geste de la main, l'air anxieux et désormais aussi un peu exaspéré.
— Mais je te dis pas de nous casser pour aller boire une binouze. Je veux juste m'assurer de comment va le quartier. Y a un truc pas normal ici. Aussi égoïste et égocentrique que tu sois, tu peux pas ne pas le voir.
Nicolas soupire en regardant autour de lui. Non, vraiment, il ne voit pas le problème. Les Hommes aiment vivre dans des bidon-villes, et grand bien leur fasse. Cette ville est moche, certes, mais il a déjà vu bien pire. Néanmoins, se prendre le chou pour ça n'apportera rien si ce n'est du retard sur la tournée. Et déjà, il voir Myre faire part de son impatience en grattant le sol de son petit sabot. Il capitule. TAK TAK TAK. Trois coups de crosse et les voilà transportés à plusieurs kilomètres de là. Le décor est identique, maisons en ruine, détritus qui volent au vent, pas un chat dehors. Un seul regard du côté d'Hans lui suffit à savoir que l'homme veut en voir encore plus.
TAK TAK TAK. Les maisons sont plus classes, moins détruites, mais l'ambiance est toujours la même. TAK TAK TAK. Un chemin boueux, des fermes des deux côtés. Ici, pas vraiment de casses, pas d'ordures à même le sol, juste l'odeur rance des déjections animales qui s'entassent derrière les étables. Mais aucune lumière dans les maisons, aucune décoration aux fenêtres, aux toits ou dans les jardins. Nick commence à trouver la situation vexante. Depuis quand est-ce que plus personne ne prépare la Saint-Nicolas dans ce bled ?
— Une dernière fois, annonce t-il.
TAK TAK TAK. Ce coup-ci, il a choisi une grande artère dans une grande ville. Les autres années, il s'en occupe en tout dernier, dans les toutes petites heures du matin, histoire de minimiser les risques de rencontres avec des passants. Mais là, il sent qu'il n'y a qu'en lui montrant l'animation de la ville, qu'Hans cessera de lui lancer ces regards pressants. À peine ont-ils mis les pieds, et les sabots, dans la rue commerçante, que Nicolas lève sa crosse, prêt à frapper encore.
— C'bon c'te fois ? T'as vu ce que t'voulais voir ?
Il frappe. TAK TAK... La main de Hans se referme sur la crosse, l'empêche de frapper une troisième fois. Le Saint se retourne vers lui, l'air courroucé. Jamais son assistant, car on ne peut décemment plus parler d'un ami dans de telles circonstances, ne s'est permis de l'interrompre pendant un déplacement.
Il est sur le point de l'invectiver, mais Hans le prend de cours.
— Nick... Regarde...
Les yeux grands ouverts, la mâchoire pendante, on jurerait qu'il vient de voir un revenant. Ce qui n'est pas tout à fait exacte, puisque son lieu de résidence, le Paradis, n'est finalement peuplé que de ça.
Nicolas daigne enfin regarder la rue où il les a conduits. Elle aussi est vide. Enfin, vide de vie. Car, que ce soit sur la route ou les trottoirs, les déchets s'empilent, les voitures sont à l'arrêt, abandonnées par leurs occupants, seuls quelques néons clignotent encore mais à part eux, toute la rue est plongée dans le noir.
Nick-la-déconne sait bien que sa fête perd chaque année un peu plus de partisans, tout ça au profit du gros bouffi. Mais là, même lui n'a pas droit à ses guirlandes lumineuses ou à ses sapins sur tous les ronds-points.
— T'as p't'être raison. Y a comme un truc qui cloche.
Alors qu'il scanne toute la portion de la ville qu'il a sous les yeux, Nicolas repère enfin du mouvement. Il l'indique à son compère.
— Allons voir. On s'f'ra passer pour un faux moi et un faux toi. Ouais, et un faux Myre, ajoute-t-il en secouant sa main après que le petit âne lui ai mordu un doigt.

L'Avent Tuera (calendrier de l'avent 2019)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant