Partie de Hémon - Chapitre 3

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2 février


Hémon et Agnès ont toujours eu une relation fusionnelle. Je ne l'enviais pas, cependant j'en voulais à ma mère de se laisser berner par des sourires factices. La violence de Hémon transparaissait parfois sur mon corps mais je devais mentir et dire que c'était des collégiens qui m'avaient infligés ces blessures. Agnès se servait de mes mensonges bancals pour se créer une réalité confortable dans laquelle Hémon était un fils sans défauts et un frère

(un frère aurait été suffisant, je ne demandais qu'un frère)

.

Elle savait pertinemment ce que Hémon me faisait subir. Elle refusait de le voir et de le reconnaître, mais elle le savait. C'est quelque chose que je ne lui pardonnerai jamais. Elle cherche avec hypocrisie à m'aimer mais si elle pleure Hémon, alors elle ne peut avoir une once d'affection pour moi. Agnès verse des larmes pour un fils qui ne devrait plus en être un. Si elle acceptait la cruelle vérité à propos de Hémon, elle cesserait de geindre. J'espère qu'elle arrêterait, parfois j'ai l'impression que même si je lui hurlais chaque chose que Hémon m'a dite et faite, elle ne ferait que détourner les yeux en disant :

« Ce n'est que ça, mon dieu. »

Ou encore :

« Tu es sûre que tu n'exagères pas un peu ? Ça n'est pas son genre. »

Ou encore :

« Je suis sa mère et je le resterai à jamais et je ne pourrai me défaire de ce lien et je ne veux pas m'en défaire. »

Elle ne me tuerait qu'une seconde fois. À l'enterrement quand j'ai dû la soutenir j'ai cru que j'allais mourir. Agnès incapable de se tenir debout seule hurlait à la mort pour un monstre. Ses mains crispées autour de mon bras, son corps tordu à côté du mien, tous ces contacts qu'elle m'imposait parce que Hémon reposait dans un cercueil où il ne pourrait plus faire de mal à personne. Sa souffrance manifestement atroce ne me touchait pas. J'y étais étranger, j'y étais étrangère.


Si Agnès voyait son fils à ses côtés comme je le vois, peut-être souffrirait-elle moins. Pourquoi ne vas-tu pas la hanter elle, Hémon.


4 février


Je ne fais qu'effleurer les violences. Il faut que je raconte lentement pour ne pas trop en souffrir. Si je racontais l'accident et les plus terribles disputes et les fois où je me suis opposée à lui je m'effondrerais ; et à mes côtés il soupirerait avec agacement :

« Antigone. Pourquoi c'est toujours moi qui suis en tort ? »

Je ne fais qu'effleurer les violences. Tout a du sens dans ma tête mais dans ce journal ça ne veut rien dire. Je voudrais ne plus savoir je voudrais oublier je voudrais ne plus comprendre. Je voudrais être comme ma mère, que lorsque mon esprit me hurle ce que Hémon m'a fait, je puisse répondre un sirotant un café :

« Ce n'est que ça, mon dieu. »

Et que je le ressente ainsi : que ça ne soit que ça, mon dieu.

Agnès m'a demandé pourquoi je ne me maquillais plus. Je lui ai répondu abruptement que c'est parce que je me hais trop. Chaque fois que j'approche le tube de rouge à lèvres de ma bouche, Hémon derrière moi s'esclaffe.

« Antigone, tu ne vas quand même pas essayer d'être belle ? »

Je ne trouve rien à répondre et je me fige. Hémon avec son odeur écœurante me retire le tube et ajoute pour paraître agréable :

BoygirlOù les histoires vivent. Découvrez maintenant