Partie de Hémon - Chapitre 2

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20 janvier


Le pire c'est d'être si triste alors que je devrais être heureuse. Rien n'a changé. Je suis toujours avec Claire. Elle m'aime comme avant, et moi aussi, presque aussi fort, j'ai juste peur. Nous nous voyons régulièrement encore

(comme je vois Hémon derrière toutes les portes)

. Je lui mens quand elle me demande si tout va bien. Je ne sais pas pourquoi je n'ose pas lui dire que lui prendre la main et la tenir dans mes bras et être touchée par elle me fait souffrir. C'est certainement parce qu'alors il faudrait parler de

(.)

et je ne veux pas, et je ne peux pas, parler de

(.)

.


Pour l'instant même désespérée je ne songe pas à me tuer. Il faut que je me raccroche à cela, à n'importe quoi pour ne pas mourir. Si je me suicide je détruirai Claire. Elle me maintient en vie parce que je la maintiens en vie. C'est un risque que nous prenons en ayant tant besoin l'une de l'autre. Je devrais être heureuse mais je suis dévastée. Je suis pétrifiée. Je suis dans cette salle de bain et la porte s'ouvre avec brutalité. Je suis dans ces vestiaires.


(il faudra que je raconte un jour, bien sûr, mais peut-être jamais)


Depuis mes onze ans j'avais envie de mourir et Hémon le savait. C'était notre secret j'imagine, un mystère parmi d'autres. C'était quelque chose à garder précieusement caché. Je me souviens encore, quelques soirs, à la porte de ma chambre : « Antigone, il ne faut pas que maman le sache. Elle a d'autres problèmes. », ou encore : « Antigone, tu n'as pas vraiment envie de mourir, arrête de faire ton intéressante et de tout ramener à toi. » Il a ri de moi et mes pensées suicidaires jusqu'à ma première tentative. Il savait pertinemment à quel point je voulais me tuer, mais il a tout fait pour m'y pousser en me provoquant, en m'assurant que je n'essaierais jamais, que je ne réussirais pas. Après ma première tentative de suicide, il a cessé ce petit jeu. Je crois qu'il a eu peur.


(il faudra que je raconte)


Il y a tellement de choses à dire à propos de Hémon, mais je suis terrifiée. Il se penche au-dessus de moi, il lit par-dessus mon épaule ce que je suis en train d'écrire et il me susurre :

« Antigone, confier tout cela ça ne te sera jamais utile. Ça ne te soulagera pas. Ça n'effacera rien ; au contraire ça l'ancrera. »

Et je voudrais ne pas le croire, mais sa main s'abat comme une serre sur mon crâne pour me couber l'échine, pour me briser la nuque.


23 janvier


J'ai de moins en moins la force de vivre et de plus en plus envie de mourir. Au lycée Valentin a senti ma faiblesse. Mon attitude contraste avec celle des derniers jours. Même physiquement je ne suis plus la même. Je garde la tête baissée et les épaules voûtées. Toute mon énergie passe dans le petit mensonge que je sers à Claire. Ça n'est pas grave si les autres savent que je vais mal, tant qu'elle pense que je vais bien. Ça m'anéantit seulement mais ça pourrait anéantir Claire. Je tiendrai jusqu'à trouver une autre solution.

Valentin s'est amusé à m'insulter et il m'a simplement rappelé à quel point Hémon l'a toujours surpassé. L'emprise qu'il voudrait avoir sur moi n'est pas du niveau de celle de Hémon. Ses coups sont cent fois moins forts que ceux de Hémon. Je ne crains pas ces gens. Je ris amèrement devant leurs poings et leurs moqueries puériles, je souffle sur leurs regards hautains pour qu'ils s'envolent. S'ils voulaient me faire véritablement souffrir ils ne m'appellerait pas Boygirl, mais Antigone.

BoygirlWhere stories live. Discover now