Partie d'Agnès - Chapitre 12

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[TW mention de mort] [TW blessures/violence physique] [TW yeux crevés]

[Et je ne sais pas comment le dire autrement mais : TW personne qui mange et vomit du verre]


Je crois que je ne parviendrai jamais à rentrer dans cette chambre. Le journal d'Antigone y sommeillera, infiniment, comme elle a pu le faire. Je sais que c'est trahir Claire, Isidore et Adel. Je sais que c'est peut-être la trahir elle. Mais je suis incapable de revenir dans cette chambre. C'est un tombeau monstrueux. Je m'arrête devant chaque soir et chaque soir je repars en pleurant. Cette nuit j'ai oublié de le faire, alors je me réveille à cinq heures du matin en sursaut. Antigone hurle de mille voix :

« Entre ! Entre ! Entre ! »

Partout dans la maison. Elle résonne et elle tinte contre les meubles. Ses timbres s'entrechoquent. Je descends de mon lit pour me rendre devant la porte, pour y appuyer mon front, pour effleurer de mes doigts la poignée. Cependant, alors que la voix de mon enfant morte se répercute sur tous les murs, quelque chose a changé. Je fais quelques pas dans le couloir vide et m'aperçois que le bois de la porte de sa chambre est couvert d'un large miroir. Les cris d'Antigone cessent soudainement. Je m'approche avec une curiosité nauséeuse. Je sursaute en réalisant que mon reflet ne se trouve pas dans la glace, mais que mon Antigone s'y est nichée. Elle a une dizaine d'années, elle me fait face, debout, elle lève la tête vers moi. Elle est seule. Elle sourit et s'amuse à imiter mes gestes, sans mon expression émerveillée et terrifiée à la fois. Elle ne peut pas être là et pourtant, elle me fixe. Baissant les yeux sur nos doigts qui se rencontrent, je pose ma paume contre la sienne. Je m'attends à sentir la surface froide et dure du miroir sous ma main, mais la chair de ma fille se plaque contre la mienne. Quand je relève la tête, Antigone me regarde déjà, avec une haine affreuse. Je recule précipitamment. La glace se craquelle autour de ses doigts qu'elle tient toujours écartés devant elle. Antigone se déforme imperceptiblement puis atrocement alors qu'elle bondit à travers le miroir. Des éclats se parent de la lumière hideuse de l'ampoule du couloir, puis s'écrasent au sol dans une pluie crissante. Antigone les transperce, éraflée elle se jette contre moi. Elle a quinze ans. Elle agrippe mes épaules et me plaque au sol. Elle est en pleurs, un spasme la projette à moitié en avant. Elle hurle :

« Entre ! »

Avant de vomir des éclats de verre sur ma poitrine. Terrorisée, je profite de ce moment de faiblesse pour la repousser. Elle tombe en arrière dans un bruit sourd. Je cours m'enfermer dans la salle de bain. Je pousse le verrou et m'assois au milieu de la pièce. Je pousse un profond soupir. Je tremble. Je préférais le manège et les roses tachées de rouge plutôt que ça. Je me relève pour asperger mon visage d'eau. Ça n'est pas réel. Pourtant quand j'ouvre le robinet je m'aperçois que c'est ma petite fille dans le miroir. Elle sourit. Elle n'a plus rien de celle qui rôde dans le couloir. Elle m'imite encore, ça me fait rire et pleurer, je la salue, je tourne sur moi-même. Elle prend mes gestes comme les siens. Je voudrais caresser sa joue mais mes doigts se heurteraient au miroir. Je la vois si heureuse, si jeune, si insouciante. Un sanglot m'écrase. Je pose mon front contre la glace, mais encore une fois, c'est le sien que je sens chaud contre ma peau. Je m'écarte aussitôt, horrifiée. Antigone reste figée, le front contre le miroir qui éclate lui aussi. Elle plante dans mes yeux un regard assassin, avec un haut-le-cœur elle se précipite hors de la glace. Elle se métamorphose en adolescente terne, le verre la taillade, elle vient saigner sur moi qui rampe pour lui échapper. Elle crie nauséeuse :

« Entre ! »

Et déverse dans un crissement affreux des éclats de verre sur le carrelage. Elle tenait ma cheville dans sa main osseuse et je la lui retire, je me redresse et cours à la porte. Je sors en la verrouillant derrière moi.

BoygirlWhere stories live. Discover now