Partie d'Agnès - Chapitre 11

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[TW mention de mort/suicide] [TW deuil]


Le jour de la mort de Hémon, et ceux qui ont suivi, je me levais en me disant que c'était j'avais passé le pire. Que la prochaine journée ne pouvait être plus éprouvante que la précédente. Que toute cette douleur allait bien s'éteindre à un moment – pourtant ça n'en finissait pas. Hémon n'en finissait pas de me manquer. Quand je me suis réveillée le jour de ses funérailles, j'ai pensé que ça serait plus facile ensuite. Que le voir dans sa tombe comme dans un berceau rendrait les choses moins dures. Avec mon fils si loin sous terre, comment pourrais-je encore ressentir son absence ?

Antigone s'est habillée en noir mais porte un foulard rouge autour du cou. Je ne lui fais aucune remarque parce que c'était la couleur préférée de Hémon, et je pense futilement que ça lui fera plaisir de voir sa sœur vêtue ainsi. Il était du genre à dire qu'il ne voulait pas d'un enterrement triste où l'on s'apitoierait sur son sort, mais c'était avant de savoir qu'il allait mourir à dix-neuf ans. Antigone suit mon regard et rajuste le nœud de son foulard. Elle tend son bras vers moi alors que ça fait des années que je n'ai plus le droit de la toucher. Elle se raidit quand je m'accroche à elle, mais ne se dégage pas. Nous sortons de la maison. Le mois d'août nous enrobe d'une chaleur qui ne me ressemble pas. Antigone se dresse à mes côtés, elle me surplombe. Elle m'apparaît comme plus forte que moi et je resserre mes doigts sur elle. À ce moment-là, j'oublie qu'elle a perdu un frère parce que j'ai perdu un fils.

Après un court trajet en voiture pendant lequel elle conduit, nous suivons toutes les deux le cercueil qui renferme Hémon. J'en ai peu de souvenirs. J'ai peu de souvenirs de ces jours que je croyais être les pires avant que le lendemain ne me fasse démentir. Je ne sens plus mes jambes. Je ne sens plus mes bras. Mon corps entier divague. Il n'y a plus que des larmes et une inspiration impossible à prendre puisque mon fils lui, ne respire plus. Antigone me porte presque sur des centaines de mètres, jusqu'au cimetière. Elle ne pleure pas. Elle m'aide à me tenir debout quand on met le cercueil en terre. C'est une cérémonie rapide mais elle me paraît durer aussi longtemps que la vie de Hémon. Je n'ai pas l'impression d'y assister, parce que j'ai oublié d'apporter des fleurs. Ça me terrasse. Mes jambes se dérobent sous moi, Antigone me soutient. J'ai oublié les fleurs pour mon fils. Il meurt déjà fané. Il meurt simplement enseveli. Je préfère me blâmer pour n'avoir pas pensé aux fleurs, plutôt que me haïr pour d'autres choses. J'ai oublié les fleurs pour mon fils. J'avais rêvé de roses rouges mais on m'avait dit que les chrysanthèmes seraient plus adéquates. J'avais refusé. Hémon mérite toutes les roses du monde sur sa tombe, et aucune autre fleur, aucune autre plante. Il est encore mon enfant même dans ce tombeau et je ne veux pour lui que le plus beau ; cependant j'ai oublié ces roses. Je me redresse, m'accroche lourdement à l'épaule d'Antigone pour lui susurrer à l'oreille :

« Antigone, j'ai oublié les fleurs pour Hémon, Antigone. »

Des spasmes me secouent et me font lâcher prise. Je manque de tomber ; encore une fois ma fille me relève. Elle ne me répond pas. Elle se contente de me maintenir debout sans me jeter un regard. Je répète plus fort et plus inconsolable :

« J'ai oublié les fleurs pour Hémon ! »

Je tremble toujours. Des larmes épaisses irriguent mes joues, autour de moi le cimetière se tord comme s'il était sous l'eau.

« Antigone ! J'ai oublié les fleurs pour Hémon ! »

Je voudrais la secouer, mais mes membres ne répondent plus, et elle ne bouge pas. Elle pousse un profond soupir et m'intime d'attendre un peu, comme si j'étais une enfant impatiente. Je me tais. Le reste de l'enterrement est enfoui dans mes sanglots et ma douleur et ma tristesse. Antigone se charge poliment de remercier les gens présents. Antigone a l'air fatiguée mais on l'excuse comme on me pardonne. Antigone acquiesce en recevant les condoléances. Antigone déclare que nous allons rentrer parce que c'est éprouvant pour moi d'être là. On lui fait remarquer avec une certaine appréhension :

BoygirlNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ