Partie de Claire - Chapitre 9

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[TW cadavre] [TW mention de mort]



Je sors tôt des cours et je prends les transports en commun pour me rapprocher le plus possible du petit local de boxe dans lequel Boygirl m'avait emmenée un jour. Je sais qu'elle est encore là, à me hanter, et peut-être que nous rendre dans ce lieu me permettra d'en savoir plus sur le premier bleu. Je suis en train de devenir folle et ça me fait rire. Antigone est morte mais je lui parle et je la vois et je l'entends surtout, je l'entends. « Pas là » et les « a » traînent macabres.

Je continue à pied, le paysage est dévasté par la misère. Les bâtiments sont morts et bétonnés. Quelques graffitis tentent de les ressusciter. Les trottoirs se déroulent inlassablement, cabossés et décolorés. D'imposants nuages gris étouffent le ciel. Il fait frais pour une fin de mois de mai. En arrivant devant le local, j'ai la chair de poule – cependant la température ambiante n'en est peut-être pas entièrement responsable. Je saisis la poignée, qui s'enfonce sous ma main. La porte est lourde mais je parviens à l'ouvrir. Elle claque derrière moi. Je me retrouve dans un petit hall. L'endroit est très calme, assez sombre. L'écho de mes pas vient troubler le silence alors que j'avance dans un couloir aux murs jaune délavé. Je finis par arriver dans les vestiaires. Je pousse la porte de ceux des filles. Je frappe sans savoir pourquoi, alors que je sais qu'il n'y a personne. J'entre. Il y a quelques affaires accrochées aux porte-manteaux ou jetées sur les bancs. Je reste immobile. Nous étions venues ici après qu'elle m'ait montré un peu comment me battre – elle m'avait enseigné deux ou trois coups dans la salle. Je lui avais demandé une fois en sueur pourquoi elle ne frappait pas ceux qui la harcelaient, pourquoi elle ne se défendait pas contre eux alors qu'elle en avait largement les capacités. Elle avait haussé les épaules.

« Je ne boxe plus. Je perdais tout le temps, de toute manière. »

Je n'ai jamais su véritablement interpréter cette phrase. Elle a recommencé à me montrer comment frapper. J'avais bien aimé ce moment et je crois qu'elle aussi. Elle souriait un peu parfois. Retrouver la boxe lui a fait du bien. Elle m'a entraînée vers les vestiaires. On ne se tenait pas la main parce que nos paumes étaient moites. J'étais un peu décoiffée. Elle a ouvert la porte et l'a fermée derrière moi – je l'ai entendue seulement, je regardais la lumière blanche des néons crépiter. Elle a posé le menton sur mon épaule et m'a embrassée sur la joue. Je me suis tournée vers elle en la prenant par la taille. Elle a souri un peu timidement puis aussitôt s'est jetée sur mes lèvres. Ça m'a surprise. Je me suis assise sur le banc et elle sur mes genoux. L'austérité du vestiaire que nous illuminions me pesait étrangement – maintenant que j'y suis seule il me paraît atrocement vide. Soudain elle a attrapé ma main qui se baladait sur sa cuisse et s'est figée. J'ai immédiatement arrêté de la toucher. Elle a pressé mes doigts à m'en faire mal, j'ai cru entendre mes phalanges craquer. Elle regardait fixement un peu au-dessus de mes yeux. Seuls les néons grésillaient. Je n'ai pas demandé tout de suite ce qu'il se passait. Très lentement, elle s'est levée. Elle a failli trembler. Je l'ai trouvée très belle, et je le lui ai dit. Alors elle s'est souvenue de ma présence, ses yeux ont croisé les miens, elle a respiré. Elle a dit :

« On sort ? »

Et s'est enfuie. On a quitté le local et on est rentrées. Elle ne m'a touchée à nouveau que le soir. Il y avait deux mètres entre nous pendant le trajet. Je m'en suis voulue longtemps. Je ne savais pas, je ne sais toujours pas, ce que j'ai pu faire qui l'a tant bouleversée.

Une voix grave me hèle.

« Qu'est-ce que tu fais là ? »

Je me retourne. Un homme d'une quarantaine d'années peut-être me dévisage avec méfiance. Derrière lui quelques enfants, des filles et des garçons.

BoygirlWhere stories live. Discover now