Boygirl

Partie de Hémon - Chapitre 1

17 janvier

C'est dommage – je pleure de rage.

Je crois que je voudrais être morte. Tout est d'une laideur délétère dorénavant. C'est comme si on avait arraché mon cœur qui bat pour Claire ou mes yeux qui contemplent Claire ou mes doigts qui touchent Claire. Je n'ai plus très envie de vivre. Je crois que je voudrais être morte. C'est dommage.

Avec Claire, nous nous sommes baladées en ville pendant l'après-midi, main dans la main. J'aimais sentir ses doigts dans les miens à ce moment-là. Je me suis acheté de la lingerie avec elle. J'étais tranquille en cherchant dans les rayons un ensemble qui me conviendrait. Claire m'a conseillée pour choisir la couleur. J'ai hésité mais j'ai choisi un bel ensemble de dentelle bleu ciel. Tout était tranquille et normal.

C'est dommage – je pleure de rage. Nous sommes allées chez Claire et je me croyais forte. Il faisait déjà nuit. Les réverbères jouaient tour à tour avec nos ombres et nos chairs. En effaçant les étoiles ils les remplaçaient, et les rapprochaient de nous. Ces astres artificiels ne me déplaisaient pas. Sa main était dans la mienne. Claire avait froid, elle avait remonté très haut son écharpe sur son visage. Dans l'obscurité je ne discernais qu'un éclat dans ses yeux. Arrivée devant chez elle, elle m'a indiqué que ses parents étaient absents. Elle a lâché mes doigts engourdis par l'hiver pour ouvrir la porte.

Je commençais à connaître sa maison par cœur. Dans la cuisine j'ai commencé à préparer du chocolat chaud pour nous deux, puis elle est arrivée en me tendant le combiné de téléphone pour que j'appelle ma mère. Tout en remuant le lait dans la casserole, j'ai prévenu Agnès que j'allais dormir chez Claire. Elle a accepté, m'a proposé de passer me chercher le lendemain. J'ai accepté. Je lui ai dit : « Passe vers midi. » Tout s'annonçait bien. Tout annonçait la soirée parfaite et la nuit parfaite et la matinée parfaite.

C'est dommage – je pleure de rage. Plus tard, beaucoup plus tard, Claire m'a laissé sa chambre pour que j'y essaie l'ensemble. J'avais envie de me trouver jolie et qu'elle me trouve jolie, j'étais joyeuse à cette idée. Seule, j'ai allumé la lampe de chevet qui a projeté une lueur orangée sur mon corps. Je me suis déshabillée sans avoir peur, sans avoir besoin de vérifier trois fois que la porte était bien fermée, sans bien refermer les rideaux. À ce moment-là, il n'y avait que Claire dans la maison et je le savais. J'ai ouvert la porte de sa penderie, à l'intérieur de laquelle se trouvait un miroir. Mon reflet m'a souri avec un air quelque peu hautain. Je m'aimais beaucoup dans cet ensemble de dentelle bleue. Claire m'a crié depuis la salle de bain : « Alors ? Ça rend bien ? » et j'ai répondu : « Je crois que oui. » Elle a frappé à la porte quelques secondes plus tard. Elle m'a demandé : « Je peux te voir ? » Je suis allée lui ouvrir la porte moi-même. Je me suis adossée au bureau tandis qu'elle s'asseyait sur son lit. La lumière particulière créait dans les plis des draps des ombres floues. Je me suis exposée à son regard sans en souffrir une seule seconde. Je souriais même, avec une mélancolie dont je ne pouvais me défaire mais qui n'importait pas. Claire s'est exclamée que j'étais magnifique – encore une fois elle a eu la délicatesse d'employer un terme neutre. Elle m'a dit que cette couleur m'allait bien. Je l'ai remerciée, touchée. Je suis restée appuyée contre le bureau, les paumes posées contre son bois sombre. J'étais un peu gênée, mais tout se dissipait si elle posait ses yeux sur moi avec tendresse. Je n'avais qu'une envie mais je n'étais pas sûre. J'avais peut-être un tout petit peu peur. Dans ma manière de me tenir, Claire a décelé mes doutes et mes désirs. Elle a pris les devants et m'a posé la question une seconde fois. J'ai acquiescé lentement sans quitter mon sourire. Elle m'a demandé si c'était ma première fois et à nouveau j'ai hoché la tête. Un instant une angoisse m'a surprise mais je l'ai ignorée. Plus jamais rien ne m'empêcherait de vivre.