Partie de Claire - Chapitre 10

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[TW cadavre] [TW violence physique]


Dans les transports en commun un homme me regarde avec une insistance déplaisante, et petit à petit sa main se rapproche de ma cuisse. Je sors à la station suivante et marche pour l'éviter. Antigone à mes côtés me hurle que j'aurais dû le frapper. Antigone à mes côtés pleure et crie et me saisit par le col et me plaque contre un mur. Je la repousse violemment et elle disparaît, avalée par les passants. Mes joues serties de larmes étincellent quand je lève la tête vers l'imposant bâtiment que j'ai heurté.

Comme elle me l'avait promis nous nous étions rendues au théâtre fin novembre. Elle était passée me chercher chez moi, avec sa mère. C'était elle qui conduisait, avec beaucoup d'assurance, comme quelqu'un qui n'a pas eu d'accident de voiture et qui n'en aura jamais. Le trajet avait paru durer des heures, et finalement nous étions arrivées. Je me tiens près de ces marches que nous avons grimpées. Je les monte. Le fantôme d'Antigone me pourchasse. J'accélère, je cours presque pour me cloîtrer à l'intérieur du bâtiment. Je referme la porte sur elle. À travers la vitre elle me hurle :

« Il fallait le frapper ! Tu sais comment frapper, je t'ai appris comment frapper, pourquoi tu ne l'as pas frappé ? »

Puis son visage se ferme.

« Pourquoi tu viens ici ? Tu veux me perdre ou me retrouver ? »

Je murmure en plantant férocement mon regard dans le sien :

« Je suis à la recherche du premier bleu. En quête du pire parfum. »

Elle a un léger mouvement de recul. Ses yeux fondent dans ses orbites. Je me détourne, dégoûtée. Pour la première fois, je la trouve laide.

Dans l'immense hall du théâtre, je me sens ridicule. Nous ne l'étions pas, pourtant, cet automne. Nous étions resplendissantes. Nous avions toutes les deux fait un effort pour être jolies. Nous savions toutes les deux ce qui allait se passer. Depuis le manège, depuis le premier regard peut-être, nous savions ce qui allait se passer. C'est étonnant d'ailleurs que j'ai pu prévoir tant de choses et pas sa mort. Antigone portait un costume – c'est de là que m'est venue l'idée de lui offrir un nœud-papillon plus tard. J'avais une robe bleue d'été, pour ne pas avoir trop froid j'avais enfilé de hautes chaussettes. Je m'étais aussi maquillée pour l'occasion, un peu de rouge sur ma bouche et mon cœur. On savait toutes les deux ce qui allait se passer.

Sa mère nous a laissées pour se rendre dans les coulisses. La pièce ne commençait que dans deux heures. Nous avions du temps. Nous avons cependant eu le droit de nous rendre tout de suite dans les gradins. La salle si vide et si grande et si écarlate m'a fait frissonner d'un subtil vertige quand je suis entrée. La scène était déserte aussi, encore. Nous nous sommes regardées avec Antigone, elle a ri et bondi sur les planches. Elles ont un peu craqué sous son poids. Elle a posé les mains sur ses hanches, avant de me faire rire. Je ne me souviens plus comment, elle m'a juste fait rire et je l'ai rejointe. Le décor était épuré. Nous étions au milieu. J'étais assortie au théâtre. Nous avons parlé certainement, puis j'ai dû dire quelque chose, et elle aussi peut-être, et nous nous sommes enfin embrassées. Depuis le manège, depuis le premier regard. Nous avons salué à la fin de notre baiser des sièges inoccupés. J'ai éclaté de rire encore, et j'ai pris sa main. On s'est regardées. Elle s'est jetée dans mes bras et y est restée une seconde. Ça m'a rendue heureuse.

On s'est raconté comment on avait vécu cette période durant laquelle on était désespérément amoureuse de l'autre sans oser l'avouer ou se l'avouer. On souriait. Tous les projecteurs n'étaient pas allumés. On s'était installées dans nos fauteuils. Bientôt la pièce a commencé, Antigone a chuchoté :

BoygirlWhere stories live. Discover now