Partie d'Agnès - Chapitre 9

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Je vais dormir parce que c'est nécessaire. J'erre dans le couloir comme un fantôme. Je guette Antigone dans sa chambre, puisque je le faisais quand elle était en vie. J'essayais de savoir si elle dormait. Généralement la lumière était éteinte et seules des ombres filtraient sous sa porte, mais j'ai appris avec le temps qu'elle ne dormait pas toujours même s'il faisait profondément noir.

Ma fille tapote mon épaule. Je me retourne. Elle est la plus jolie et la plus vivante.

« Laisse-moi reposer en paix. », murmure-t-elle.

Elle pose la main sur la poignée de la porte de sa chambre. Son visage est toujours tourné vers moi. Le faible éclairage du couloir ne fait qu'encore plus flouter ses traits.

« Il faut que tu cesses de penser autant à moi. »

Les larmes immédiatement me viennent aux yeux mais je les réprime. Je ne peux pas pleurer pour un fantôme.

« Je voudrais que tu sois encore là. »

Elle acquiesce lentement, avec de rétorquer avec un sourire :

« Mais je suis là maman. »

J'avance une main apeurée vers son bras. Je ne sais pas si je la touche. Elle se dissout ou bien sa chair rencontre la mienne.

« C'est faux. » murmuré-je avec incertitude.

Il faudrait que j'aille dormir.

« C'est plus facile de t'imaginer dans ta chambre tu sais. Je ne te vois pas mais je sais que tu y es, parce qu'il y a eu des jours avant ton suicide où je passais et tu y étais même si je ne te voyais pas. Je passe dans le couloir en ayant la possibilité de me dire que tu es endormie dans ton lit. »

Elle hoche la tête et se détourne de moi. Elle entre dans la pièce plongée dans l'obscurité sans vraiment ouvrir la porte. J'entends les draps se froisser et le bois grincer un peu, avant que tout ne se taise. Ma fille définitivement est et n'est pas dans son lit, existe et n'existe pas. Je choisis de la croire en vie pour me coucher tranquille. Demain je la laisserai dormir ; tout est plus facile quand elle dort.


Antigone a quinze ans et ne me hait pas. Ça me rend heureuse, je savoure ce surprenant événement. Antigone a quinze ans et ne me hait pas. Elle s'est bien habillée pour Noël, elle a mis une chemise repassée et le sourire qu'elle faisait à Claire quand elle lui disait au revoir. Je saurai m'en contenter : c'est déjà bien trop pour la mère que je suis. Elle tire sa chaise et s'assoit (elle tire sa chaise et s'assoit là devant moi devant la pauvre Agnès). Elle jette un coup d'œil à la place vide de Hémon mais ne perd pas sa frêle joie. Nous trinquons à cette soirée sans qu'elle murmure ténébreuse que c'est certainement la dernière, ou qu'il n'y a rien de plus à célébrer que nos deux solitudes juxtaposées. Elle fait simplement tinter son verre contre le mien. Je frémis à ce bruit cristallin : c'est comme si nos deux cœurs s'entrechoquaient enfin. Je bois une gorgée de champagne et me précipite d'entamer la conversation avant qu'elle ne refuse de me parler. Elle entre dans la discussion, acceptant mon invitation. Nous commençons le repas qu'elle m'a aidée à préparer. Nos échanges sont fluctuants, il y a de longs moments de silence, mais le plus important ce sont ces mots échangés sans colère. Le plus important c'est cette relation qui, l'espace d'un instant, semble guérir. Plus tard, je lui demande si elle a fleuri la tombe de son frère – je suis terrifiée à l'idée qu'il soit seul et sans roses le jour de Noël. Elle répond, toujours tranquille, toujours subtilement heureuse :

« Oui. »

Et c'est tout. Hier elle est allée acheté des fleurs en avance pour pouvoir les offrir à Hémon aujourd'hui. À la fin du dîner elle prend son téléphone et en regarde l'écran avec un sourire, mais ça ne me dérange pas. Nous nous retrouvons dans le salon. Elle s'assoit au pied du sapin et je prends place dans le canapé qui s'enfonce raisonnablement sous mon poids. Antigone me tend un petit paquet que j'ouvre avec délicatesse. C'est un flacon de parfum. Je m'étonne un peu de cette attention, mais m'en réjouis surtout. Sans savoir si c'est maladroit, j'en vaporise au creux de mon poignet pour mieux le humer. J'ai étrangement peur de la vexer, mais elle ne s'offusque pas. J'inspire l'odeur, qui est très sucrée et acide à la fois. Je remercie Antigone et m'avance vers elle pour l'embrasser sur la joue, mais elle a un violent mouvement de recul. Elle se contente de me sourire largement.

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