CHAPITRE 34 - PARTIE 1 : "J'en avais envie..."

50 6 0
                                    


Jour après jour, semaine après semaine, tout sembla se détériorer entre ma maman et moi. Nous n'arrivions plus à nous entendre sur rien. Le temps qui s'écoulait nous éloignait irrémédiablement l'une de l'autre. Quelque chose semblait avoir changé pour de bon, pour toujours. Quelque chose semblait s'être brisé à jamais. D'une relation fusionnelle, nous étions devenues des rivales. Du moins, c'est la désagréable impression que j'avais. Il nous était impossible de passer un repas calme et détendu sans que la conversation ne dérive sur un sujet sensible. Le douloureux souvenir des vacances d'été à Biarritz habitait encore et toujours les esprits de tous à la maison. Le climat devenait pénible pour la famille, une atmosphère oppressante de discorde, de conflit et de duel se faisait sans cesse ressentir, sans trêve et sans relâche. Le mal-être était tel que, parfois, il m'arrivait de me réfugier chez mes grands-parents quelques jours sans plus ressentir le besoin ni le désir de revenir chez moi. J'étais bien ailleurs, loin de chez mes parents. C'est triste à dire, mais je m'épanouissais tellement mieux à l'extérieur, je pouvais prendre du recul, mettre des distances pour mieux revenir et pour ensuite mieux repartir, hélas. Souvent, je me demandais s'il me serait possible un jour de retrouver la maman de mon enfance, ma maman à moi, celle avec qui j'avais tout partagé sans crainte ni hésitation, celle avec qui j'avais construit une relation hors du commun, celle à qui je confiais mes inquiétudes, et surtout celle qui m'avait mise au monde. Seul le temps me donnerait la réponse à cette interrogation.

Août 2014. 6 mois de relation avec Noémie, mais aussi un de mes souvenirs les plus désagréables, un souvenir parmi tant d'autres que je souhaite partager. Ma copine et moi, nous étions invitées à fêter les 17 ans d'une amie. Enfin, avant de pouvoir le fêter, il a d'abord fallu que je réussisse à convaincre ma mère de me laisser sortir. Et ça, croyez-moi, ce fut loin d'être évident. Elle était très réticente concernant les sorties et les soirées, cela n'était pas vraiment dans mon habitude alors elle se montrait méfiante et particulièrement hésitante. Par chance, elle me donna son autorisation en me faisant promettre de ne pas rentrer tard le soir. Je lui donnai ma parole. Alors qu'elle avait enfin accepté, je n'étais toutefois pas sortie d'affaire. Elle me questionna tout de même sur quelques points : "Il n'y aura pas d'alcool ? Il y aura qui là-bas avec toi ? Je les connais ?". Enfin, vous comprenez ce que je veux dire, une curiosité tout à fait légitime pour une mère mais qui, dans ce contexte tout à fait spécial, n'est rien d'autre qu'une source de stress supplémentaire.

Enfin, passons. Je pus me rendre à cette fête et c'était l'essentiel.

Nous nous sommes très vite rendues compte, Noémie et moi, qu'il serait extrêmement difficile de cacher notre relation au cours de cette soirée. Certaines de nos amies étaient au courant de nos liens, bien entendu, mais la plupart des autres personnes l'ignoraient et devaient impérativement demeurer dans cette ignorance. Nous avions décidé qu'il en serait ainsi et j'en comprenais la raison. Noémie était merveilleuse, comme toujours. Je dirais même qu'elle était resplendissante. Plus tôt dans la journée, alors que nous n'étions que toutes les deux, elle m'avait glissé au creux de l'oreille :"Ce soir, je me ferai belle pour toi". Il fallait constamment lutter pour rester distante, il fallait constamment veiller à ne rien laisser paraître mais certains détails nous trahissaient sûrement sans que nous en ayons véritablement conscience. Certains regards perdus ou certains sourires égarés en disaient longs sur nos sentiments l'une envers l'autre. J'avais tant envie de montrer à tous notre amour, j'avais tant envie de lui faire un câlin et de profiter de cette soirée pour être auprès d'elle. Mais il ne fallait pas, cela n'amènerait rien de bon, le monde était méchant, mon passé me l'avait enseigné. J'avais toujours entendu "pour vivre heureux, vivons caché". Je mesurais dorénavant la véracité de cette phrase.

C'est alors qu'à un certain moment, j'aperçus Noémie qui s'éclipsait discrètement loin du brouhaha et de la musique pour s'échapper en direction de la salle de bain. Que pouvais-je faire à part la rejoindre? Je m'empressai de la suivre avec la plus grande discrétion en surveillant soigneusement mes arrières par des furtifs coups d'œil jetés par-dessus mon épaule. Je fermai la porte derrière moi. Je me retournai. Elle était là. Elle m'attendait.

- "Je savais que tu allais venir."

Avec ce même sourire toujours aussi plaisant, elle m'observait avec amour. Comment résister aux forces et à la puissance d'un ange? Elle exerçait une attraction phénoménale sur ma personne, une attirance prodigieuse contre laquelle nulle âme n'était en mesure de résister et de lutter. Je m'avançai près d'elle avec hésitation, elle enroula ses bras autour de mon cou avec douceur, je penchai ma tête et elle m'offrit un tendre baiser timide et délicat. Mes mains, qui jusqu'à présent, étaient restées paralysées, trouvèrent finalement la force et la témérité de venir se poser avec délicatesse le long de sa taille. Son visage s'écarta du mien avec la même tendresse qu'il s'en était approché.

- "J'en avais envie..."

Pendant un court instant, elle posa sa tête dans le coin de mon épaule, mes bras l'enveloppaient en la maintenant contre moi tout en prenant soin de lui laisser suffisamment d'espace pour s'y sentir bien. Nous restions immobiles, les paupières fermées, le souffle coupé, sans dire le moindre mot, seulement apprécier du mieux que nous le pouvions ce moment de tendresse imprévu qui nous était enfin offert par le ciel. Je sentais sa respiration qui se calquait sur la mienne, ses gestes qui suivaient les miens. J'étais heureuse comme jamais. Nos deux âmes n'en formaient plus qu'une. Brusquement, en l'espace d'une demi-seconde, un des invités ouvrit la porte de la salle de bain et entra précipitamment. Dans un réflexe, j'eus à peine le temps d'attraper Noémie par les épaules et de la pousser à l'arrière afin de l'écarter de moi.

Déséquilibrée, elle se rattrapa au lavabo. Qu'avait-il vu réellement ? Le garçon semblait avoir un peu bu, mais cela ne l'empêcha pas de questionner Noémie :

- "Il se passe quoi avec Alice là ?"

Un peu énervée par cette curiosité mal placée, elle répondit froidement :

- "Ça ne te regarde pas, sors !"

C'est ce qu'il fit, sans doute impressionné par le ton qu'elle avait utilisé. Je me sentis mal, pas seulement pour moi, mais surtout pour Noémie :

- "Comme par hasard, il fallait que ça arrive à ce moment-là ! J'espère qu'il ne va rien dire à personne, je ne sais même pas ce qu'il a vraiment vu... Je ne t'ai pas fait mal en te poussant au moins? " Noémie tentait de me rassurer du mieux qu'elle le pouvait :

- "Non pas du tout. Oh, dans le pire des cas, il n'aura pas de preuve, on s'en fiche".

Nous n'osions plus rejoindre les autres invités dans le salon. Nous n'osions même plus sortir, de peur de créer de l'intérêt ou de susciter de la curiosité. Nous nous posions des questions sur ce qui nous attendait, incapable de prendre la décision de sortir de la pièce par peur de ce qui se serait dit en notre absence. Extrêmement gênées, nous sommes finalement sorties de la salle de bain chacune notre tour, à quelques minutes d'intervalle. Par chance, rien n'avait l'air d'avoir changé.

Malheureusement, c'était sans compter sur ma mère, qui, même à distance, allait chambouler la fête de notre amie. Si seulement j'avais pu imaginer la tournure qu'allait prendre la soirée !

COUPABLE D'ÊTREWhere stories live. Discover now