CHAPITRE 30 - PARTIE 1 : "Te considères-tu comme un être humain ?"

76 9 0
                                    


Peut-être avais-je encore une fois espéré trop vite? Peut-être avais-je une fois de plus souhaité l'inespérable? Je pensais que le soutien apporté par mes deux camarades de classe me rendrait plus forte, plus résistante aux pressions. En fait, je m'étais surestimée, l'ardeur que je pensais m'habiter n'était qu'une illusion, rien qu'une illusion. Mentalement, j'étais toujours aussi fragile et sensible aux critiques et aux regards que je croisais tout au long de la journée, des regards qui me rabaissaient en m'humiliant par plaisir.

Suite à ces épisodes tumultueux du tag et de mon coming-out inconsciemment provoqué, je sentis qu'une vague de ragots était en train de se propager au lycée. C'était assez troublant cette tension omniprésente autour de moi, ces regards qui en disaient long, cette lourdeur indescriptible et insoutenable qui flottait dans l'air, comme le temps oppressant et irrespirable avant un orage. Et comme si la situation n'était pas assez délicate pour moi, alors que j'aurais dû me faire discrète et me faire oublier, je fis l'erreur de m'inscrire sur un site que je considère aujourd'hui comme très dangereux si on ne sait pas s'en servir correctement. Il s'agit de "Ask". Pour ceux qui ne connaîtraient pas vraiment le principe de ce site, la personne qui s'inscrit dispose d'une page avec un pseudo, une photo de profil, des amis, jusque-là comme Facebook. En revanche, là où ce site devient très risqué, c'est que la personne inscrite peut recevoir des compliments, des questions, des remarques, des avis, bref n'importe quel type de paroles, de la part d'une autre personne sans que celle-ci ne dévoile son identité. Ainsi, chaque internaute peut alors insulter quelqu'un de son choix de façon totalement anonyme sans être contraint d'indiquer son prénom ou une quelconque information permettant de l'identifier.C'est exactement ce qui m'arriva. Au début, je me connectai sur ce site uniquement pour décompresser après ma journée de cours, sans doute pour faire passer le temps lorsque je m'ennuyais ou que je n'avais rien d'autre à faire, ou alors pour me divertir et tenter d'oublier tout le poids intolérable auquel le lycée m'enchaînait, moi et mon esprit. Mais, petit à petit, j'ai commencé à m'y accrocher jusqu'au jour où il me fut impossible de laisser s'écouler une journée entière sans m'y rendre au moins une fois pour faire un tour, je ne pouvais tout simplement plus m'en passer. J'appréciais cette ambiance de mystère qui régnait autour des questions anonymes que je recevais parfois.

Seulement, je fus rapidement prise au piège, ce site internet referma ses griffes sur moi sans prévenir, sans crier gare. Son emprise m'étouffa inexorablement sans que je puisse sentir la catastrophe arriver, et lorsque je pris conscience du danger que j'encourais, il était malheureusement déjà trop tard...En effet, un soir après être rentrée du lycée, je me suis isolée dans ma chambre comme à mon habitude pour pouvoir me connecter sur Ask afin de passer le temps, comme toujours. Seulement, lorsque mon profil apparut devant mes yeux, j'ai constaté très vite que j'avais un nombre anormal de questions. Que se passait-il? Un harcèlement? C'est immédiatement ce à quoi j'ai pensé, même si intérieurement tout mon esprit luttait contre cette idée.Très vite, sans attendre plus longtemps, je m'empressai de découvrir les questions que l'on m'avait envoyées. La surprise fut énorme, et encore, le mot était bien trop faible. J'étais bouche bée, complètement figée derrière l'écran de mon ordinateur. Mes prunelles étaient fixées, elles se remplissaient de larmes au fur et à mesure que les questions apparaissaient devant mes yeux. Je me revois en train de les lire et les relire, plusieurs fois d'affilée comme si le mal qu'elles m'avaient fait n'était pas déjà assez fort.

"C'est une honte d'être lesbienne comme toi..."

"J'espère que tout le monde t'insultera au lycée..."

"Ta mère doit avoir peur de toi..."

"Quand je te vois au lycée, tu me dégoûtes vraiment..."

"Tu es dégueulasse, tu me donnes envie de vomir..."

"Tes amies, elles te craignent pas?..."

"A la base, Dieu a créé un homme et une femme"

"Te considères-tu comme un être humain ?"
"Je vais te mettre ma queue, on va voir si tu es encore lesbienne"
"Tu as juste à aimer les mecs c'est pas compliqué!"

"Tout devient normal dans ce monde, les lesbiennes devraient pas exister donc Alice ne devrait pas exister"

"Les homos on en veut pas"

"Allez la lesbienne, à la prochaine au lycée!..."

Ces phrases furent particulièrement dures pour moi, cela pouvait être les paroles de n'importe quelle personne de mon lycée, que je la connaisse ou non. Et c'est justement cette idée-là qui me paralysait. Me rendre chaque matin dans un établissement où des personnes me harcelaient anonymement sur internet m'était insupportable. Je devenais paranoïaque. Et si c'était lui? Ou elle? Je me faisais des idées sur tout le monde. Et encore, si cela ne se passait que sur internet. Mais non! Non, non et non, même au lycée, lorsque je traversais les couloirs entre deux cours pour aller d'une salle à une autre, j'entendais des chuchotements et des paroles déplacées "Regarde, c'est elle! C'est la gouine!". Ces harcèlements virtuels durèrent bien un mois ou deux. Chaque jour, une petite insulte, chaque jour, de nouvelles larmes, chaque jour, je gardais le silence, chaque jour, je m'enfonçais un peu plus dans mon désespoir. Combien de fois ai-je pu inonder mon oreiller de mes pleurs? Je l'ignore et je préfère ne pas le savoir.

C'est dans ce contexte de chaos sans nom que je fis une rencontre sur internet, une rencontre imprévue, un ange tombé du ciel, c'était le cas de le dire. Cette personne extraordinaire m'apporta beaucoup. Grâce à elle, je compris certaines choses dont je n'avais pas cerné l'importance jusqu'alors, mais surtout, je compris que j'avais de l'importance pour quelqu'un. L'attention qu'elle me portait me donna une force surhumaine. Je compris que je devais d'abord m'accepter pour pouvoir ensuite me défendre. C'est ainsi que je pris la décision de me battre pour défendre mon identité, ma cause, et celle de tous les autres jeunes adolescents qui vivaient la même chose que moi. A présent, mon seul regret est d'avoir accordé du temps à des personnes qui n'attendaient que ça, c'est d'avoir accordé du temps à des personnes qui ne le méritaient pas.

En revanche, j'ignorais encore que cette fille deviendrait plus tard ma copine, ma chérie. Mais quoi de plus beau que d'avoir à ses côtés celle qui m'avait sortie du désespoir, de la souffrance et de la détresse dans lesquels j'étais piégée?

COUPABLE D'ÊTRETempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang