CHAPITRE 26 - PARTIE 2 : "Comme une tâche au milieu de la pureté"

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Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'un gène indescriptible était progressivement en train de s'installer en moi et de prendre le contrôle de toute ma personne. Un malaise pointait le bout de son nez chaque jour en me tapotant l'épaule, comme pour me rappeler que j'étais une intruse qui n'avait rien à faire ici entre les murs de cette maison, comme pour me remémorer la tâche que je représentais au milieu de la pureté, ou encore le loup infect,immoral et perverti parmi les saintes brebis. J'avais cette répugnante sensation d'incarner le péché au sein des personnes sacrées. Quelqu'un ou quelque chose que je ne saurais nommer ou expliquer espérait me faire croire que j'étais en proie à une maladie que je répandrais à ceux que je toucherais. Qu'est-ce qu'il ne fallait pas entendre! Si j'étais malade, je pense que je serais la première à être au courant, mais malgré tout, le doute persistait en moi et je sentais que mon amour-propre s'émiettait au fil des jours. J'étais en train de perdre mon sens de la dignité. Oui, je ne me sentais plus digne d'être un être humain. Je me doute bien aujourd'hui que mes parents ne réalisaient pas encore à l'époque l'ampleur de la honte qui m'habitait à chacune des fois où mon regard croisait le leur. Il n'en demeure pas moins que j'aurais, sans hésiter, préférer cent fois disparaître plutôt que de continuer à leur faire supporter ma différence refoulée. Toutefois, au fil des semaines, un sujet bien plus déstabilisant me préoccupa l'esprit. J'allais faire ma rentrée en classe de première en septembre.

J'avais eu mes 16 ans depuis peu, j'étais donc plongée en plein milieu de mon adolescence, ce qui expliquait que depuis un certain temps, ma poitrine commençait à se développer petit à petit et mon corps de femme se dessinait peu à peu. Quelle catastrophe! Je me souviens à merveille de la sensation qui m'envahissait à la vue de mon physique... Parfois, lorsque je passais devant le miroir, je me serais défigurée si je l'avais pu, si seulement j'en avais eu la possibilité. Je me sentais comme une étrangère captive d'un corps qui n'était pas le mien, ou alors seulement par défaut. Des abdominaux, des muscles, un torse, des pectoraux c'était tout ce que je souhaitais pour moi. A présent, je serais contrainte à porter toute ma vie ce détestable sous-vêtement qu'on appelle un soutien-gorge. J'eus du mal à m'y faire, moi qui avais toujours saisi les moindres opportunités pour être torse nu dans mon enfance que ça soit à la plage, la piscine, ou simplement chez moi l'été.

Je me souviens, quand j'avais 8-9 ans et que j'accompagnais ma mère dans les magasins, je passais toujours mon temps vers les vêtements des garçons. Elle avait beau me dire que ce n'était pas le rayon que je devais regarder, peu m'importait, je me sentais moi-même. C'était un rayon qui me plaisait, pour une fois je pouvais être qui je voulais, c'était ce qui comptait non? Je voulais m'habiller ainsi, c'est tout et personne n'aurait réussi à me faire changer d'avis et je ne vous parle pas de ma coiffure. Je rêvais de me couper les cheveux court, très court, aussi court que je les avais eus lorsque j'étais petite. Je n'en pouvais plus. Je n'en pouvais plus de cette épaisse frange sur mon front, elle m'étouffait et elle ne me ressemblait pas, elle n'était pas faite pour moi et elle ne me correspondait pas. Je n'en pouvais plus de faire semblant d'être quelqu'un que je n'étais pas. Les personnes m'identifiaient ainsi mais moi seule savait ce qui se cachait derrière ce corps indésirable. La nuit, mes rêves se brouillaient, tantôt je m'inventais homme, tantôt je me concevais femme. Je me forçais à m'apprécier avec le physique que je laissais paraître et que la vie m'avait donné. Je m'habituais à me voir de cette façon car que penseraient les personnes qui me verraient les cheveux coupés? Feraient-ils le rapprochement avec l'affreux stéréotype bien connu? Et oui, ce cliché selon lequel une lesbienne a toujours les cheveux courts, ne prend jamais soin d'elle et se comporte comme un homme ? Si je continuais ainsi, je risquais bien de tomber dans le piège que je m'aurais moi-même construit.

La rentrée...que dire? J'eus une classe qui, à première vue, semblait agréable avec une ambiance plutôt rassurante. J'étais heureuse car je me sentais enfin sereine en présence des personnes avec qui je parlais, je faisais parfois l'objet de quelques regards déstabilisants mais qui n'étaient en rien comparables avec la pression que j'avais pu ressentir l'année passée. C'était, comment dire, comme s'il n'y avait pas eu "d'année passée". Les personnes semblaient me découvrir, comme s'ils n'avaient jamais entendu parler de moi auparavant. En résumé, je n'avais pas à me plaindre car tout allait pour le mieux pour le moment, je semblais renaître de mon passé comme si la vie m'avait offert une deuxième chance de ne pas être découverte. J'étais heureuse même si le mal-être ne tarissait pas. En effet, cet inimaginable inconfort était toujours là, il virevoltait telle une brume autour de moi,comme mon ombre qui ne me m'abandonnait pas.
Tout allait pour le mieux? Mon Dieu, j'avais sans doute parlé trop vite une nouvelle fois. 

En effet, trois mois seulement après la rentrée de septembre, un événement déclencheur bouleversa mon quotidien et raviva des blessures qui n'avaient pas encore cicatrisé. Un événement qui, sans le savoir, m'infligerait des contrecoups bien mauvais, un événement qui changerait ma vie à jamais. 

COUPABLE D'ÊTREDove le storie prendono vita. Scoprilo ora