CHAPITRE 24 - PARTIE 1 : La lettre

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« Maman et papa d'amour, je vous écris cette lettre pour vous exprimer ce qu'il y a de plus enfoui en moi, ce que je retiens au fond de mon cœur depuis bien trop longtemps à présent. Vous devez vous demander pourquoi je vous écris une lettre pour vous en parler, pourquoi je ne viens tout simplement pas m'abandonner à vous, moi et moi seule avec pour seule force mes simples mots. J'ai envie de vous répondre que c'est la seule manière bien lâche que j'ai trouvée pour vous faire connaître cette partie de moi que vous ne connaissez pas encore, cette partie de ma personne dont vous ignorez jusqu'à l'existence même.

Je ne sais même pas par quoi commencer. Je me sens coupable de devoir vous l'annoncer, coupable que ce jour soit arrivé, coupable du mal que je vais vous faire endurer et que vous allez éprouver. J'aimerais vous éviter cet instant mais je n'y peux rien. Rien ne peut empêcher qu'il arrive, pas même moi avec toute la force et la volonté dont je fais preuve. Je le sais, j'ai essayé. Oui j'ai essayé de reculer ce jour, j'ai même eu la naïveté d'espérer qu'il finirait par s'effacer de mes projets mais c’était sans compter sur le temps qui, à mesure des jours et des instants, l'a rendu plus réel et plus proche comme un destin dont je ne pourrais me débarasser qu'une fois achevé.

Il est grand temps que vous sachiez : depuis que je suis toute petite, je suis attirée par les filles. Les garçons ne me font rien ressentir, rien, pas même la moindre sensation ou la plus innocente attirance. Jamais mon regard ne s'arrête sur l'un d'eux, je ne suis pas du tout amoureuse ni même attirée. Je crois d'ailleurs que ça ne m'est jamais arrivé. Non, pas la moindre attirance ni le moindre coup de folie. Je vous promets que je n'ai jamais rien voulu de tout ça. En vérité, je dirais même que je me déteste. Je me déteste peut-être même davantage depuis que je sais que je ne suis certainement pas la fille que vous espériez avoir. Je suis prise entre deux facettes de moi-même. Une partie de ma personne qui hurle sous le poids de mes convictions morales et religieuses et une qui me chuchote d'être qui je suis, un point
c'est tout.

J'ai honte de moi. Peut-être que je ne devrais pas car je suis ainsi faite et après tout, si c'est ainsi que vous m'avez conçue alors je devrais être fière d'être qui je suis car il n'y a pas de plus bel honneur que d'avoir des parents tels que vous, mais j'ai beau me dire que je n'ai rien choisi, cela n'enlève en rien le déshonneur que j'éprouve et la peine avec laquelle je tente de me tenir devant vous dans le secret et le mensonge depuis toutes ces longues années. Je pleure souvent les soirs avant de m'endormir en ne sachant pas quoi penser ni comment me débarasser de tous ces fers qui m'entravent.

Maman, toi qui crois en Dieu et qui m'a appris tout ce que je sais maintenant, je dois te dégoûter, tu dois me haïr et m'en vouloir. Tu dois te demander comment tu as pu mettre au monde une telle pécheresse. Je m'en veux et je me haïs moi-même alors je te comprends. Je me trouve sale et indigne c'est horrible comme sensation cette impression d'avoir une tâche qu'on ne peut pas effacer. Rien n'y fait et pourtant je me suis battue longtemps contre ces attirances, je me suis toujours battue, jamais je n'ai cessé. Et je sais que je ne cesserai jamais car même lorsque je voudrais vivre ma vie telle que je la conçois, je ne pourrai jamais être pleinement qui je suis à cause de toutes ces personnes qui n'accepteront jamais la différence.

Papa, toi qui t’es tant occupé de moi quand j'étais petite, toi qui as passé des heures à jouer à la bagarre, aux Playmobils, aux courses de voitures et j'en passe, tu dois peut-être te sentir coupable de ne pas m'avoir fait jouer à des vrais jeux de filles mais tu es tout sauf coupable. Tu as le mérite de t'être occupé de moi avec cœur. La seule vraie coupable c'est moi. Je n'ai pas su être normale.

Aujourd'hui, je sais que rien ni personne ne pourra me les arracher, ces attirances. C'est pourquoi j ai pris conscience qu'il fallait que je vous le dise, à tous les deux. En aucun cas ce n'est mon choix, ça ne l'a jamais été et ça ne le sera jamais. Je devrai seulement apprendre à vivre avec et j'espère y arriver avec le temps. Vous savez, j'ai longtemps cru que le plus dur était de marcher dans la ue avec le poids et le regard de toutes ces personnes que tu croises et qui prennent
plaisir à te juger sans connaître une seule parcelle de ta vie.

Je croyais que le plus dur, c'était d'être fière de qui on est et de s'assumer ainsi. Je me suis trompée. En fait, le plus dur, c'est de devoir avouer à tes parents que tu n'es pas la personne qu'ils pensaient avoir mise au monde. J'espère du fond du cœur que vous me pardonnerez.

Alice, qui vous aime à la folie. »

J'étais plutôt fière de l'allure de ma lettre et de la façon dont j'avais laissé s'exprimer mes idées sur ce papier maintenant recouvert de mon écriture et que je tenais entre mes doigts encore tremblants.

Seulement, j'ignorais encore à ce moment-là que cette lettre ne me servirait pas à grand chose.

COUPABLE D'ÊTREWhere stories live. Discover now