CHAPITRE 29 - PARTIE 1 : "Je me sentais comme une bête prise dans un enclos"

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Je n'aurais jamais pu imaginer ce qui allait alors se passer ce jour-là, je n'aurais jamais pu concevoir l'étendue de tout ce que cela changerait en moi ce jour-là et pour mes prochaines années. Jamais.Nous étions encore dans le couloir en train de rejoindre la classe. Ma professeure semblait plongée en pleine réflexion, je sentais que beaucoup de choses lui traversaient la tête, elle se mélangeait entre toutes ces pensées, son esprit se balançait d'une idée à une autre. Je ne pouvais pas en dire autant de moi. J'étais complètement incapable de penser, je ne parvenais pas à concentrer mon attention sur quelque chose de précis, j'étais en proie à l'incompréhension et à l'anxiété sans cesse grandissante. Alors que l'on s'apprêtait à entrer dans la salle toutes les deux, elle me stoppa soudainement dans mon élan en laissant s'échapper mon prénom: 

- "Alice... Attends!" 

- Oui? Qu'y-a-t-il? 

- Cela fait quelques minutes que j'y réfléchis, est-ce que tu veux que je parle à la classe? 

- De quoi voulez-vous leur parler? 

- De ce tag ? Car ils ne sont pas au courant si ? Ce n'est pas que je soupçonne un élève en particulier bien sûr que non, comme toi, je ne te cache pas que je n'ai aucune idée de qui a pu faire ça, mais ça ne coûte rien de leur en parler et cela me permettra de rappeler certaines petites choses. 

- Non non, ils ne sont pas au courant, enfin je pense car peut-être qu'ils ont eu le temps de voir le tag, je ne sais pas exactement de quand il date. Si vous souhaitez leur parler, faites-le, je vous laisse faire." 

Je ne savais pas vraiment si j'avais raison de la laisser faire car je ne voulais surtout pas que la classe croie que j'incriminais quelqu'un en particulier, je ne voulais pas non plus que l'on me plaigne et que l'on s'apitoie sur mon sort. Par ailleurs, je souhaitais encore moins faire l'objet d'autant de regards une nouvelle fois. Seulement, je me laissai emporter par l'idée de ma professeure sans véritablement songer à ce qu'il pourrait se passer. J'étais égarée, qu'aurais-je alors à y perdre? Une fois rentrées dans la salle qui regagna peu à peu son calme, chacune de nous deux rejoignit sa place habituelle, moi parmi tous, elle devant tous. Ma voisine me questionna du regard puis soudain, les mots prirent le dessus: 

- "Qu'est-ce qui se passe? Ça a l'air grave ! 

- Pas tant que ça non. Je crois que la prof va vous en parler." 

Je n'avais à peine eu le temps d'achever ma courte explication qu'une voix imposante couvrit la mienne et s'éleva pour se faire entendre: 

- "Bien, avant de commencer le cours, nous allons prendre le temps de discuter de quelque chose. Cela ne vous aura certainement pas échappé, Alice a rencontré un petit problème entre hier et ce matin, un problème au sein du lycée. Elle est venue m'en faire part et c'est quelque chose qui me tient vraiment à cœur alors je souhaite vous en parler un moment." 

Je sentais quelques regards perplexes tournés dans ma direction. La pression montait furieusement en moi,c'était comme si je pouvais la palper, elle faisait partie de moi. La professeure me regardait parfois comme pour me faire savoir qu'elle me soutenait. Soudain, elle éleva son bras qui, à son tour, portait le poids de cette fameuse photo du tag qu'elle avait soigneusement gardée avec elle, cette photo que j'avais moi-même précédemment montrée avec souffrance pour la porter jusqu'à ses yeux. Voilà que tous savaient ce qui m'était arrivé. Tant que personne n'apprenait que j'étais véritablement "gouine" comme l'inscription le révélait, à ce stade, le reste m'était égal. 

- "Vous voyez peut-être mal pour ceux qui sont assis au fond mais c'est la photo d'un tag où il est inscrit "Alice Reynaud sale gouine" et qui a été fait au lycée sur la terrasse au-dessus du bâtiment de la vie scolaire surplombé d'une représentation grossière d'Alice justement... Voilà vous n'étiez certainement pas au courant mais une personne a écrit ceci dans l'enceinte du lycée, c'est pour ça que nous sommes tous concernés ici. Je ne suis certainement pas en train de soupçonner quelqu'un de cette classe et je ne souhaite pas le faire loin de là, d'ailleurs Alice elle-même m'a expliqué qu'elle n'avait aucune idée de qui il pouvait s'agir. Je suis juste là pour rappeler que ce genre d'insultes est inacceptable. La sexualité de quelqu'un est quelque chose de privé et d'intime qui ne concerne personne. Nous n'avons pas à juger quelqu'un sur ça, c'est intolérable et en tant que professeur principal je me dois de ne pas laisser passer ce genre de choses. Nous ne vivons plus à l'âge de pierre, il faut apprendre à être tolérant envers les différences de chacun car la différence n'est pas mauvaise pour la société, elle est nécessaire, chacun doit pouvoir trouver sa place quel qu'il soit, tel qu'il est venu au monde. Je me fiche de savoir si le responsable se trouve dans cette salle, tout ce qui m'importe c'est que si c'est le cas, cette personne saura comprendre que ce genre de propos n'a pas sa place ni dans ce lycée ni à l'extérieur." 

Au fur et à mesure que la professeure prononçait ces paroles, la classe devenait de plus en plus calme, elle était absorbée par son discours, personne ne parlait,personne ne chuchotait, personne ne laissait échapper une réaction incontrôlée ou encore une simple respiration. Ce calme m'oppressait.
Que pensaient-ils tous? Me prenaient-ils pour une folle ? Une lâche? Après tout, c'était peut-être ce que j'étais, car jusqu'à preuve du contraire, j'étais bien venue me plaindre et tout "balancer" non? C'est alors que la professeure laissa échapper une phrase, une phrase totalement imprévue dont je n'avais soupçonné la possibilité à aucun instant. 

- "Alice assume la personne qu'elle est, elle assume sa différence, et c'est quelque chose qui n'est pas évident dans cette société je vous l'assure. J'espère que vous serez là pour elle dans ce moment qui est loin d'être évident."

Quelle catastrophe ! Elle venait tout juste de donner la certitude de mon homosexualité à toute la classe! Je compris trop tard que lorsqu'elle m'avait demandé si je voulais qu'elle parle à la classe, elle avait pensé que je m'assumais déjà! Il ne m'était absolument pas venu à l'esprit qu'elle affirmerait en public ce que j'étais et ce que j'avais toujours pris soin de cacher! Moi qui ne m'acceptais et ne m'assumais absolument pas, je fus entièrement foudroyée par ses paroles. Mon souffle s'arrêta presque subitement, ma respiration cessa instantanément, j'étais en suspension au milieu de tous dans cette salle qui devenait étouffante pour moi, je me sentais comme une bête prise dans un enclos. J'endurais le tremblement de mes mains que je serrais de toutes mes forces sous la table. Une boule d'angoisse me noua le ventre. Une douleur prit le contrôle de mon corps, une douleur que je ne parvenais même plus à ressentir. Mon regard vint se poser dans le vide, sur la blancheur apaisante du mur qu'il y avait sur ma droite, le seul dont je ne risquais pas de croiser le regard. Elle venait de provoquer mon coming-out. Je n'avais plus le choix, je devais m'assumer à présent, je ne pouvais plus revenir en arrière, plus après ça. La classe semblait ressentir tout mon mal-être car elle resta profondément silencieuse et respectueuse. Je sentais que beaucoup de regards m'avaient balayée furtivement mais beaucoup n'avaient aussi pas eu le courage de venir simplement se poser sur moi, gênés par cet instant délicat.Je sentais les larmes qui naissaient dans le coin de mes yeux d'où elles allaient s'échapper d'une minute à l'autre. Alors que je tournai à nouveau le regard en direction de ma professeure, elle plongea ses yeux dans les miens et devant tous, elle clôtura son discours doucement : 

- "Tu es très courageuse, tu as tout mon respect". 

Cette déclaration provoqua en moi quelque chose d'inqualifiable. C'était l'aboutissement de nombreuses années d'angoisse et d'appréhension à l'idée qu'un jour on saurait que j'étais homosexuelle. Je me mis à pleurer silencieusement sans pouvoir m'arrêter ni même expliquer tout ce qui traversa mon cœur, c'est toute une multitude de larmes que j'avais gardées prisonnières durant toutes ces années que mes prunelles laissèrent s'échapper en un instant. Ma voisine passa sa main sur mon bras et même avec ma vue brouillée par ces petites perles qui s'enfuyaient par dizaines, je réussis à distinguer son sourire réconfortant. Je n'en ai jamais voulu à ma professeure pour avoir provoqué ce coming-out qui était totalement imprévu,même sur le moment présent. Il s'agissait d'un bête malentendu, elle avait pensé bien faire, et elle avait bienfait! 

Si un jour elle lit ces mots, je veux qu'elle sache que je lui en serai éternellement reconnaissante, même si elle le sait déjà, et que je la remercie encore du plus profond de mon cœur car elle m'a permis d'accomplir ce que je n'aurais jamais été en mesure de réaliser toute seule.
Merci.

COUPABLE D'ÊTREWhere stories live. Discover now