— Très bien, reprit Martha.

Elle hocha une nouvelle fois la tête, yeux clos, et frappa dans ses mains.

— Jean ?

Au milieu de la foule, l'homme leva la tête à l'appel de son nom.

— Je peux te demander d'organiser cela ? demanda-t-elle.

Un peu incertain, il ouvrit la bouche comme pour contrer puis finit par hocher la tête avant de faire un pas en avant pour sortir du cercle. Martha se décala de quelques centimètres et il vint se placer là où elle se tenait, utilisant ses mains en porte-voix pour haranguer la foule :

— Il me faut au moins 10 personnes pour le transport des «déchets», nous allons faire ça en nous protégeant au maximum. Il faut aussi des gens pour porter le combustible...

Il continua de donner ses instructions et quelques personnes s'avancèrent pour signaler qu'elles voulaient participer à cette opération de nettoyage. Mathias avait l'impression de rêver : Martha qui dirigeait tout le monde d'une main sûre, faisait appel à Jean pour l'aider et tout le monde qui marchait au pas sans anicroche. Il posa son coude sur l'épaule d'Elisabeth pour engager la conversation, presque sûre qu'elle allait râler mais elle resta silencieuse, observant avec circonspection elle aussi la scène qui se déroulait sous leurs yeux.

— Bien, au travail ! conclut leur chef auto proclamée alors que Jean en avait fini.

Elle fit mine de partir mais Elisabeth l'appela aussitôt :

— Attends Martha.

Elle la rejoint avec Mathias et ils attendirent que la foule se disperse pour parler, Mitsu garda Julie avec lui et s'éloigna aussi dans le camp. Ils avaient pris la décision de moins apparaître « ensemble », si cela pouvait leur donner une meilleure image au sein du groupe.

— Jean ? Vraiment ? demanda la brune en posant une main sur l'avant-bras de son interlocutrice.

Elle lui avait fait part de sa méfiance à son égard, de leur étrange rencontre au supermarché et du fait qu'elle préférait l'éviter autant que possible désormais. Mathias n'était pas au courant et elle préférait ne pas lui en toucher mot pour le moment, elle espérait que Martha saurait garder le silence, de fait elle resta évasive.

— Il ne fait pas partie de notre « clan » comme tu dis et il est l'image parfaite de ce qui pourrait être une forme d'opposition, grâce à Mathias et Mitsu entre autres - le châtain lui offrit un sourire goguenard - , c'était le meilleur choix pour ce qu'on voulait faire. Je pense.

Ce dernier ajout était parfaitement révélateur de la façon de pensée de Martha : elle justifiait désormais ses actions qui avait un petit goût d'unilatéral. Toujours le bras en appui sur l'épaule d'Elisabeth, Mathias ne pipait pas mot mais n'en pensait pas moins, même si son expression était neutre et qu'il ne semblait pas y toucher, une multitude de pensées lui traversait la tête : en premier lieu, le comportement radicalement différent de Martha au jour 0 comparé à celui d'aujourd'hui.

— Je ne pense pas qu'on puisse lui faire confiance.

— Mais est-ce qu'on peut te faire confiance, Elisabeth ?

Elle devint instantanément livide.

— Aïe, commenta Mathias à demi-mot.

Vrai ou pas, elle avait visiblement envoyé son sens de la diplomatie en congés pour la journée. L'expression de Martha était indéchiffrable, quelque part entre l'innocence et le calme absolu de celle qui avait raison et qui le savait. Après un silence aussi pesant que la montagne de gravats qui avait écrasé Sokero, elle reprit :

— Ce n'est pas exactement ce que je voulais dire... Tu le juges pour quelques actions et un comportement ostentatoire, je pense que pour aller brûler quelques sacs dans un coin, il n'y a pas à se méfier de lui.

Elle repoussa sans ménagement la main d'Elisabeth qui était toujours posé sur son bras et serra sa main une fraction de seconde, signe que la conversation était close.

— Essaye de passer au dessus de tes préjugés, dit-elle avant de tourner les talons.

Les deux jeunes gens restèrent un instant sans rien dire, Mathias retira enfin son coude de l'épaule d'Elisabeth pour mettre ses mains dans ses poches et faire un pas en avant. Sourcils froncés, il suivait la silhouette de Martha qui s'éloignait d'eux de son pas lent et posé.

— C'est bizarre, non ?

— Quoi ? répondit-elle d'un ton cassant.

Elle n'était plus d'humeur, à quoi elle ne savait pas mais elle n'y était plus.

— Le comportement de Martha ces derniers jours...

— C'est d'avoir une femme au pouvoir qui t'emmerde ? répliqua aussitôt Elisabeth.

Elle ne voulait pas jouer au ping-pong avec Mathias : voilà un truc pour lequel elle n'était définitivement pas d'humeur.

— Non ! réagit-il aussitôt. Je dis juste que c'est étrange ce changement dans son comportement.

— Moi je crois que t'aime pas quand c'est pas toi qui donne les ordres, c'est tout.

Elle fit un pas en avant, le bouscula sans ménagement et quitta à son tour la palmeraie sans un mot de plus. Le châtain soupira en s'asseyant sur le muret derrière lui, la discussion avait pris un tour qu'il n'avait pas vu venir.

Il y penserait plus tard, pour le moment c'était l'espion potentiel qui le préoccupait : la liste des candidats ne se réduisait pas vraiment et le fait de faire du surplace commençait à le rendre fou. Suivant les passants sous la voûte du regard, il repassa une nouvelle fois la liste des pour et contre de chacun pour tenter de mettre le doigt sur ce qu'ils n'arrivaient pas à découvrir.

De l'un à l'autre, il finit par revenir à Martha. La grand-mère avait rejoint Mitsu et Julie et semblait en grande discussion avec la petite fille, elle s'était penchée pour être à son niveau et riait avec elle. Le meilleur espion qui soit était celui qui était invisible et dont personne n'avait peur après tout, quelqu'un au dessus de tout soupçon. Et qui avait peur d'une vieille dame qui souriait à tout le monde ?

Juste après la Fin du MondeWhere stories live. Discover now