I.

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Messiah jeta un coup d'œil à sa montre.

Il marchait depuis des heures. Vagabondant sous l'intense lumière du soleil, Messiah se laissait guider par le vent et ses volutes de poussière. Le sable noir valsait à ses pieds, soulevé par ses larges semelles. Le silence qui habitait les plaines atrophiées du désert avait quelque chose d'inquiétant.

Messiah passa une main sur son front.

Avec un soupir, il plongea ses doigts dans la poche de sa combinaison pour en tirer un petit compteur. Ses bouteilles de dioxygène étaient presque vides. Fronçant les sourcils, le scientifique réajusta son masque. Il aurait dû prendre un recycleur avec lui. Avec ça, pas besoin de plusieurs bouteilles, ni d'oxygène compressé : l'air vicié de l'Extérieur se purifiait. Messiah esquissa une moue agacée. Son orgueil aurait raison de lui.

Fouillant l'horizon du regard, Messiah força l'allure. D'ordinaire, il ne s'aventurait jamais seul dans le Désert Noir. C'était bien trop grand, trop dangereux et surtout trop vide. Pourtant, ce matin-là, son intuition le poussait vers ces plaines jonchées de déchets, souvenirs d'une civilisation disparue. Quelque chose l'appelait, le guidait à travers les dunes cendrées. Quelque chose d'irrésistible qui l'attirait sans qu'il ne comprenne vraiment pourquoi. Il avait le sentiment que, là-bas, il trouverait un sens à toutes les explorations menées à l'Extérieur et la raison qui le gardait encore dans cet enfer.

Messiah observa d'un œil accablé les ruines de l'Ancien Monde.

Les êtres humains avaient détruit la Terre. Pour la science et l'évolution, pour la richesse et le pouvoir, pour la grandeur d'une espèce trop intelligente, aveuglée par sa propre bêtise.

Les dirigeants des Vieilles Nations avaient fait la promesse d'une autre vie, d'un autre futur pour l'humanité tout entière. Ils l'avaient appelée « La Grande Évasion ». Les êtres humains devaient, grâce aux progrès de la technologie, quitter la Terre pour coloniser Mars. Tout recommencer. Fuir cet endroit depuis trop longtemps martyrisé. Aller décrocher les étoiles.

Ils ne tinrent jamais leur promesse.

Aux guerres se succédèrent les guerres. Et plus les combats faisaient rage, plus les Hommes redoublaient de génie. Des dizaines d'armes virent le jour, utilisant le nucléaire comme source d'énergie. La violence se propagea comme une traînée de poudre et le monde prit feu. Gorgée de sang, saturée de radioactivité, la Terre prit à son tour part au massacre.

Une série de catastrophes climatiques s'était abattue sur les Vieilles Nations. L'air devint irrespirable ; les sols stériles furent rongés par des pluies toxiques ; les océans se transformèrent en déserts, et les déserts, en crevasses sans fond.

— Bien fait pour eux, pensa Messiah, dont la chaussure heurta un épais morceau de ferraille à moitié fondu.

L'Homme s'était adapté. Les conflits prirent fin sans que personne ne sache jamais ce qu'ils y avaient gagné. Les survivants construisirent des machines capables de diffuser de l'oxygène en grande quantité, inventèrent des filtres pour rendre l'eau de pluie potable, mirent en place des cultures artificielles permettant de produire de tout un tas d'aliments sans saveur. Puis naquirent les Agmens, les Foyers sur rails. Une maison commune à tout un peuple. Une prison dans laquelle les êtres humains s'enfermèrent pour se protéger des prédateurs.

De ces immenses trains, aussi longs que hauts, capables de nourrir et loger plusieurs milliers de familles, un seul avait survécu aux tempêtes, aux privations et aux attaques des Néo-animaux : Aeternum, l'Éternel. Cet Agmen, le dernier rempart d'une humanité à l'agonie, abritait la Colonie. Ensemble, blotties dans son ventre, des centaines d'existences luttaient contre l'hostilité du monde. En voyage permanent, elles traversaient les déserts, ballotées par les secousses du trajet. Prises dans cet infini cycle de la fuite, de nouvelles générations virent le jour. Des enfants, puis des vieillards qui, jamais, n'avaient posé le pied sur Terre.

Deus ex Machina [EN PAUSE]Where stories live. Discover now