XIX

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La terre maculait ses doigts, s'infiltrant sous ses ongles rongés.

Fatiguée, Hansi fit la grimace avant de relever la tête. Debout au milieu de l'immense chantier, à une vingtaine de minutes du Camp, elle creusait de longues rangées dans le sol aride. Sa pelle ébréchée, ses pieds glissant dans les graviers, elle s'abîmait les mains et le dos en s'acharner sur une parcelle de terre pétrifiée.

À ses côtés, agenouillé dans les gravats, un vieux Travailleur plaçait un lourd morceau de rail dans l'étroit conduit qu'Hansi venait de déblayer. Benedict, assis à cheval sur les rondins d'acier déjà fixés, attendit que l'homme accole les deux morceaux de métal pour brandir son fer à souder. D'épaisses lunettes de protection mangeaient son visage, dans le verre desquelles le soleil brillait furieusement, éblouissant la jeune femme. Déconcentrée, Hansi s'essuya le front et soupira, tandis que Benedict se penchait sur les rails.

Elle jeta un coup d'œil distrait au compteur de sa bouteille d'oxygène. Seuls les Explorateurs avaient le droit d'utiliser les recycleurs. Les Travailleurs, en plus de s'agiter sous un soleil de plomb, devaient rester vigilant et recharger leur bouteille toutes les deux heures. Esquissant une moue fatiguée, Hansi posa un regard amer aux deux soldats qui discutaient à l'ombre dans le camion de ravitaillement. Elle aurait tout donner pour s'asseoir se serait-ce qu'une minute à l'ombre du véhicule, mais les œillades réprobatrices que lui adressait le caporal de l'escouade réduisait à néant ses maigres espoirs.

Cela faisait deux semaines qu'ils avaient quitté Aeternum et Hansi commençait déjà à ressentir la fatigue l'étreindre des pieds à la tête. À l'Extérieur, tout était plus difficile. La vie au Camp était précaire : entre de maigres repas et des nuits agitées, constamment interrompues par les Néo-animaux qui, rôdant de l'autre côté des murs, déclenchaient les signaux d'alarmes, les soldats étaient soumis aux humeurs de cette nature agonisante. De plus, lorsqu'elles n'accompagnaient par les Explorateurs dans leurs missions d'exploration ou de ravitaillement, les nouvelles recrues étaient cantonnées à la pose de rail.

Plissant les yeux, Hansi fit glisser son regard le long de la ligne d'horizon déserte. Son cœur s'emballa brusquement lorsque, dans l'ombre d'un monticule de terre, elle crut apercevoir la silhouette de la Bête. Battant vivement les paupières, la jeune femme revit les corps des soldats fauchés par les crocs de l'animal entassés à l'arrière du camion. Le sang qui maculait le sable. Le sang.

Le son d'un marteau percutant en rythme un morceau de rail la ramena brusquement à la réalité. Secouant la tête, Hansi s'efforça de chasser ces terribles images de son esprit et se remit au travail, la gorge nouée. La terre de cette maudite plaine était aussi solide que la pierre. La sueur imbibait sa peau, lui coulant dans le cou. Concentré sur sa tâche, Benedict était d'une piètre compagnie et Hansi ne pouvait s'empêcher de penser à sa premier expédition.

Un véritable fiasco.

Sentant l'angoisse l'envahir de nouveau, Hansi allait jeter sa pelle dans un accès de rage, lorsqu'une alarme stridente brisa le silence, entrecoupé de sons métalliques, du chantier. Relevant vivement la tête, à l'affût, Hansi échangea un regard perplexe avec Benedict, qui sauta sur ses pieds et rassembla rapidement son matériel.

Une alerte. Elle avertissait les ouvriers d'un danger imminant. Il était cependant impossible de savoir si le danger en question était lié à l'approche de Néo-animaux sur la zone de travail ou bien à l'arrivée d'Aeternum sur la voie en reconstruction.

Les Travailleurs s'éloignèrent des rails, emportés par une vague de panique. Alors que l'escouade de Ravitaillement rejoignaient les camions blindés, une voix autoritaire s'éleva depuis le haut-parleur juché sur le toit de l'un des véhicules :

Deus ex Machina [EN PAUSE]Where stories live. Discover now