Deus ex Machina [EN PAUSE]

VI

Messiah ôta son masque à gaz.

Il avait parcouru l'Agmen de part en part, depuis le dernier wagon, où ils avaient laissé leurs bolides pour un rapide contrôle technique, jusqu'à la Locomotive, dans laquelle le Laboratoire côtoyait les appartements des Pastors. Plus par habitude que par crainte, il avait gardé son uniforme de soldat, sauf la bouteille d'oxygène, trop lourde à porter à l'intérieur du train. Depuis, il attendait que l'un des représentants du gouvernement daigne bien vouloir se présenter.

Installé dans un vieux fauteuil de cuir synthétique, Messiah soupira. D'un geste las, il faisait danser le sombre liquide dans sa tasse de porcelaine. Il n'avait pas soif et les remous du train, après avoir passé des mois sur la terre ferme, lui donnaient la nausée. Décidément, il n'était pas fait pour vivre ici.

Ses lunettes de sécurité toujours serrées autour de son crâne, Messiah sentait le sang battre de plus en plus violemment contre ses tempes. Il détestait attendre. S'il ne connaissait pas aussi bien la procédure, il aurait parié qu'on s'amusait à le faire patienter. Il n'avait jamais été un très bon soldat, mais il avait appris à respecter les lois.

Messiah inspira profondément pour ne pas se laisser envahir par la colère. Il s'apprêtait à se lever pour aller lui-même trouver ce soi-disant représentant du Laboratoire, quand la porte s'ouvrit sur un homme au visage rond, crispé par l'inquiétude. Ses cheveux ébouriffés lui donnaient un air négligé, malgré le soin avec lequel il avait ajusté son col et ciré ses chaussures. Passant une main sur son visage, il s'avança d'un pas mal assuré pour aller s'effondrer dans un large fauteuil, face à son bureau. Ses lèvres tremblaient légèrement tandis qu'il essayait de reprendre sa respiration. Lorsqu'il posa enfin les yeux sur Messiah, il se racla la gorge, se redressant sur son siège. Il saisit la tasse de café qui refroidissait depuis plusieurs minutes sur le plateau métallique de la table, et en avala une gorgée avec difficulté.

Le masque à gaz posé sur ses genoux, Messiah l'observait. Il connaissait Idan depuis l'enfance. Ils avaient grandi ensemble, et tous deux avaient été sélectionnés à l'issue d'un test de QI pour devenir les prochains scientifiques d'Aeternum. Contrairement à lui, Idan avait toujours été trop sensible. Il ne supportait ni la douleur, ni la peur. Les dangers de l'Extérieur et les cadavres qui jonchaient le sol poussiéreux du désert avaient consumé son courage. Leurs chemins s'étaient donc séparés le jour où Messiah avait quitté l'Agmen. Idan s'était enfermé dans les laboratoires de la Locomotive, laissant docilement les Pastors guider ses recherches. Et, malgré son aversion pour les méthodes du gouvernement, Messiah s'était lui aussi contenté de suivre les ordres. A l'Extérieur, désobéir était synonyme de condamnation. La survie des soldats dépendait du bon vouloir de ces hommes, prisonniers de la Locomotive. Idan et Messiah se ressemblaient. Ils étaient résignés à devenir ce que le gouvernement voulait bien faire d'eux. Ils n'avaient pas le choix.

Esquissant un petit sourire mesquin, Messiah brisa le silence soucieux qui s'était installé dans la pièce.

— Alors, Idan, on a besoin de moi ?

Le scientifique lui jeta un regard noir. Cela faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas retrouvé seuls tous les deux. La petite compétition qui subsistait entre eux était devenue, au fil du temps, un jeu amical.

Sans même prendre la peine de se lever pour le saluer, Idan poussa du pied sous la table la chaise qui lui faisait face pour l'inviter à s'asseoir. Messiah esquissa un sourire amusé avant de s'installer. Idan avait posé son menton sur ses doigts croisés et l'observait avec attention. Comme pour le tester, Messiah se pencha en avant et attrapa la tasse à moitié entamée de son collègue. Il avala une gorgée de café, qui le fit frissonner de dégoût, puis leva les yeux vers lui. Idan fronça légèrement les sourcils, mais ne dit rien. C'était mauvais signe.