XVI

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Lev fit claquer la boucle de sa ceinture.

Debout dans l'entrée du conteneur principal, il retira son épais harnais de cuir artificiel, pour déposer la bouteille d'oxygène à moitié vide dans le chariot. D'un geste las, Lev releva ses lunettes de sécurité et retira son masque à gaz, qu'il attacha mécaniquement à sa ceinture, à côté de son brassard bleu. Son enseigne de Major.

Seul dans le long couloir qui reliait plusieurs laboratoires entre eux, Lev inspira profondément avant de s'y engager, à la recherche du bureau de Messiah. Le martellement de ses bottes contre le sol métallique résonnait tout autour de lui, brisant le silence. Lev roula des épaules. Il espérait que personne ne viendrait le chercher ici. Jetant des regards suspicieux aux portes fermées, Lev essuya nerveusement ses mains moites sur son torse.

Il détestait les retours. Ces instants où il n'avait plus à obéir. Ces instants avant les ordres, où il était libre de penser, d'agir. Ces instants où le doute s'immisçait en lui, chaque fois un peu plus profondément, avant qu'il ne s'élance de nouveau sur le chemin que les autres traçaient pour lui.

Ces instants où la vie de ses soldats reposait dans le creux de ses mains.

Lev ferma les yeux. Il y avait à peine quelques jours, le Major avait été envoyé au-delà des Falaises Cinere, à la frontière des Territoires Explorés. Sa seconde escouade, composée d'une dizaine de jeunes hommes brillants, l'avaient suivi sur les hauteurs, à travers le brouillard cendré. Lev se souvenait de leur visage, déformé par l'horreur, tourné vers le ciel chargé de poussière. Il se souvenait de leurs cris, résonnant à travers l'immense canyon, alors qu'il fendait les épais nuages de fumée vermeille, le corps ensanglanté de l'un de ses soldats serré contre lui.

La Bête avait surgi de nulle part, les prenant par surprise. Ses trois gueules, aux rangées de crocs acérés entre lesquels pourrissaient des morceaux de chair, s'étaient ouvertes, laissant entrevoir au fond de l'une de ses gorges une intense lumière. Un feu ardent. L'Enfer.

Le cœur battant à tout rompre, Lev écarquilla brusquement les yeux. Ses jambes se dérobèrent sous son poids et le Major dût s'adosser au mur pour ne pas s'écrouler. Seul dans l'immense désert, Lev avait fixé l'horizon durant des heures avant d'apercevoir au loin les immenses remparts du Camp. Une main agrippée au guidon de sa méca-moto, l'autre glissée dans le harnais du soldat, dont la vie s'évaporait, se mêlant au sang qui s'écoulait de sa jambe amputée, Lev s'était juré de ne plus jamais fuir. Comme à chaque fois qu'il rentrait seul au Camp, il s'était promis de se battre. De sauver tous ces autres, qui lui glissaient si facilement entre les doigts.

Deux cent huit mille. Deux cent huit mille vies consumées en à peine un an passé à l'Extérieur.

Lev serra les dents. Cela faisait presque quinze ans qu'il avait pris la tête des Explorateurs. Quinze ans qu'il creusait des tombes dans l'immense cimetière qui s'étendait à l'arrière du Camp. Papillonnant des paupières pour chasser les souvenirs qui l'assaillaient, le Major se redressa et rajusta le col de sa combinaison. Rien ne ramènerait ces regards, ni ces sourires.

Ils lui avaient fait confiance et en avaient payé le prix.

D'un geste assuré, Lev posa la main sur la poignée et ouvrit la porte de métal. La mine fermée, il allait s'annoncer lorsqu'il aperçut l'homme, immobile devant le bureau du scientifique, qui s'était retourné pour l'observer. Un sourire grinçant tordant son visage buriné par l'intense soleil de l'Extérieur, il s'exclama :

— Tiens, mais ne serait-ce pas ce bon vieux Lev ? Ça fait un moment qu'on s'est pas vu, je vais finir par croire que tu m'évites !

— Sylean, répondit-il simplement.

Deus ex Machina [EN PAUSE]Where stories live. Discover now