V (modifié le 23.07.21)

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Hansi poussa un grognement agacé.

Le bruit assourdissant du métal forgé, le vacarme de l'immense moteur, les roues du train s'agitant contre les rails, faisaient trembler les larges parois du wagon. Coincée dans cette cacophonie industrielle, Hansi était torturée par un monstrueux mal de crâne. Elle avait revêtu la combinaison de toile rêche et les hautes bottes en plastique noir conformes aux travailleurs, avec une moue déçue.

Elle détestait la forge.

Cela faisait plusieurs heures déjà que le travail avait commencé. Debout derrière le vieil établi de plomb, un lourd marteau à la main, Hansi frappait mécaniquement le fer chaud que lui tendait Chrom. La tâche était épuisante, mais ni l'un ni l'autre ne se plaignaient. Ils avaient l'habitude d'effectuer ces gestes, toujours en binôme. Ils agissaient avec une harmonie surprenante, n'échangeant aucun mot, aucun regard. Ils savaient ce qu'ils devaient faire et n'avaient pas besoin de se concerter pour connaître les intentions de l'autre.

Les mains gantées toujours refermées sur la lourde pince qui maintenait le tube en métal, Chrom le plongea dans le tonneau rempli d'eau non-potable qui reposait à sa droite. Un épais nuage de vapeur s'éleva tandis que la jeune femme saisissait un nouveau morceau de fer, encore informe. Elle le jeta dans les braises qui rougeoyaient dans la petite cheminée électrique face à eux. Elle aimait voir les flammes mortes colorer la surface brute de l'acier.

— Hansi ?

La jeune femme sursauta. Elle jeta une œillade surprise à Chrom qui se penchait pour attraper, à l'aide de son outil, le métal prêt à être forgé. Il était concentré sur sa tâche, le regard fixé sur le fer brûlant qu'il déplaçait avec un calme et une application impressionnante. Hansi aurait presque cru que quelqu'un d'autre l'avait interpelée mais, malgré le vacarme ambiant, elle avait reconnu sa voix. De plus, l'angoisse qui crispait légèrement ses traits trahissait l'inquiétude et le doute qui faisaient valser ses pensées.

— Il faut que je te parle de quelque chose, reprit-il, sans lui adresser le moindre regard.

Hansi hocha la tête, prête à l'écouter, tandis qu'elle levait son marteau pour frapper le fer. Chrom était sombre, distant. Il évitait son regard comme s'il se sentait coupable. Mais de quoi ? Hansi avait appris à le connaître et était troublée par son agitation. Le ton qu'il prenait était plus grave que d'ordinaire.

— Tu as reçu une lettre du gouvernement.

— Quand ça ?

Chrom ne répondit pas. Il avait l'air inquiet. Une légère panique brillait dans le fond de ses prunelles claires, se mêlant à ce qui semblait être de la colère. Hansi haussa les épaules pour détendre ses muscles endoloris.

— Pourquoi c'est toi qui l'as reçue ? demanda-t-elle simplement. 

— Parce qu'à force de remettre les choses à plus tard, tu ne les fais jamais ! répondit-il, aussi agacé que nerveux. Ta boîte aux lettres déborde de capsules, Hansi. Le conduit de liaison interwagons est complètement bouché !

Hansi grimaça.

— Et elle parle de quoi, cette lettre ?

Chrom lui adressa un regard lourd de sens. Prenant son silence pour une réponse, Hansi soupira et se reconcentra sur son travail. Elle le connaissait par cœur. Elle était capable de trouver un sens à chacune de ses expressions, à chaque pli de son visage. Son mutisme ne présageait rien de bon.

Chrom était quelqu'un qui n'aimait ni le bruit, ni les non-dits. Il parlait peu de son passé et tout ce qu'elle savait était que ses parents avaient été de brillants scientifiques, mais qu'ils avaient disparu lors d'une expédition à l'Extérieur. Il était incapable d'en dire plus, et elle s'en moquait éperdument. Elle n'avait pas besoin de découvrir cette partie de l'histoire.

Deus ex Machina [EN PAUSE]Where stories live. Discover now