XXIV

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Chrom inspira profondément.

Allongé sous une lourde couverture imbibée de sueur, ses poumons endormis se contractèrent et se remplirent douloureusement. Le plafond métallique de l'étroite cabine tanguait devant ses yeux plissés. Papillonnant des paupières, Chrom passa une main sur son front et fit une grimace. Un puissant mal de tête opprimait ses tempes et une étrange sensation parcourait son corps. Il se sentait comme vidé.

Surgissant de sa mémoire, un flot d'images se déversa en lui. Les murs de l'Agmen couverts de sang, les cris, la foule agitée, le son stridant de l'alarme et la silhouette du monstre qui se reflétait dans les yeux vitreux des cadavres. Pris de sueurs froides, Chrom se revoyait immobile dans les escaliers, les deux mains crispées contre la rambarde glaciale, incapable de se détourner des énormes prunelles rougeoyantes qui le fixaient à travers la fumée.

Idan.

Le cœur battant, il se souvint de son sourire, de cette main qu'il avait posé sur son épaule. Il aurait dû le retenir. Le souffle coupé, il imaginait son corps fracassé, à moitié dévoré, délaissé entre les débris de verre brisé et les flaques de sang séché au cœur du Laboratoire dévasté. Écarquillant brusquement les yeux, Chrom se redressa et fut saisie par une vive douleur dans le dos. Tous ses os semblaient prêt à se briser. La gorge nouée, il laissa échapper un sanglot et sursauta lorsqu'une voix murmura à son oreille :

– Tout va bien, je suis là.

Chrom leva les yeux et sourit faiblement lorsqu'Idan se pencha au-dessus de lui. Il posa son livre par terre pour s'asseoir sur le lit. De profonds cernes creusaient ses joues pâles et ses cheveux ébouriffés lui collaient au front.

Rassuré, Chrom voulut lui demander ce qui s'était passé, mais aucun son ne franchit ses lèvres. Les ombres qui ternissaient les prunelles translucides du scientifique le troublèrent. Idan l'observait avec attention et semblait hésiter à prendre la parole. Enfin, après quelques minutes de silence, il retira ses lunettes et les déposèrent avec précaution sur la couverture cartonnée du livre.

— Ce que tu as vu hier se reproduira, commença-t-il. De plus en plus souvent. Jusqu'à ce que nos expériences arrivent à terme. Jusqu'à ce que nous réussissions à faire de ce monstre...

Le regard dans le vague, Idan se redressa légèrement et esquissa un sourire.

— Ce garçon se nomme Sacha. Et c'est un Dieu.

Chrom écarquilla les yeux. Perdu, il fixait le scientifique dans l'espoir de distinguer le vrai du faux. Un mélange de fascination et de crainte l'habitait. Ainsi, ce visage démoniaque à la gueule acérée dégoulinante de sang et aux pupilles dilatées était le visage d'un Dieu ? Il avait dû mal à y croire. Chrom sursauta lorsqu'Idan reprit d'une voix qui trahissait son excitation.

— Cela fait des années que nous travaillons sur ce sujet. Toutes nos analyses, toutes nos études, toutes nos expériences se sont révélées insuffisantes. Mais nous touchons au but... Je le sens.

Intrigué, Chrom se redressa, ignorant la douleur qui lui brisait le dos.

— Sacha est l'enfant de l'un de mes amis, un brillant scientifique décédé peu avant ton arrivée au Laboratoire.

— Comment s'appelait-il ?

— Schmit. Il a été dévoré par son propre fils.

Chrom dévisagea Idan, horrifié. Ses quelques mots résonnaient en lui, faisaient écho à l'étrange malaise qui l'envahissait. Il se mit à trembler, tandis que le souvenir des corps déchiqueté jonchant le sol torturait son esprit. Pris de haut-le-coeurs, le jeune homme se pencha en avant et vomit au pied du lit. Les larmes aux yeux, il se figea lorsque les mains brûlantes d'Idan glissèrent contre ses joues froides. Lui essuyant la bouche de sa manche, le scientifique l'observa quelques instants en silence. La tendresse qu'il perçut dans ses yeux l'apaisa légèrement.

Deus ex Machina [EN PAUSE]Where stories live. Discover now