17 : L'ŒIL

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ARTHUR REJOIGNIT LES vestiaires du stade d'athlétisme en soupirant de satisfaction

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ARTHUR REJOIGNIT LES vestiaires du stade d'athlétisme en soupirant de satisfaction. Il était lessivé, accablé de fatigue. Mais comblé d'un tel sentiment d'accomplissement qu'il se fichait éperdument d'être exténué. Les muscles qui roulaient sous son épiderme brillant de transpiration lui procuraient des décharges dans les jambes, sa cage thoracique se soulevait de manière sporadique.

Pourtant, elle était là, omniprésente : la plénitude qui l'envahissait après une séance de sport, à ne plus qu'écouter le rythme endiablé de son cœur et les sifflements de son souffle court. Ici, Arthur oubliait les pathétiques déboires de son existence. Il oubliait les machinations d'Aristote, le mépris de Samuel. Il oubliait être prisonnier de l'œil d'un cyclone dévastateur. Car depuis presque un mois, tout était calme.

Car depuis leur escapade chez Gareth et Samuel, Aristote n'avait pas cherché à contacter Rory. Car depuis cette nuit cauchemardesque, leur vie s'était déchirée pour ne plus devenir qu'un trou béant d'incertitudes. Pour Arty, courir n'était plus seulement une passion. C'était un exutoire. Un exutoire à la colère, à la tristesse et à la frustration qui menaçaient de l'étouffer à peine ouvrait-il la bouche.

Arthur se glissa sous un pommeau de douche fumant et entreprit de se laver rapidement. Ce soir – comme tous les soirs depuis les révélations d'Aristote –, il allait chez Rory. Et chaque fois qu'il rentrait de la piste d'athlétisme, Rory lui cuisinait des crêpes. Avec une tonne de chantilly, de pâte à tartiner, de boudoirs et de vermicelles au sucre. Parfois, il s'amusait à faire des brochettes de marshmallows pour finaliser ces monstruosités sucrées. Quand il s'agissait de desserts, Rory ne faisait pas les choses à moitié.

Alors que son estomac commençait à crier famine, Arthur entendit la porte des vestiaires claquer et sentit son cœur louper un battement. Il éteignit le jet d'eau brûlant, chassa les gouttelettes qui s'accrochaient à ses cils et lui brouillaient la vue puis bravit le nuage de vapeur qu'avait engendré la chaleur de sa douche. Alors qu'il plissait les yeux, Arthur sentit une boule rêche lui percuter l'abdomen et lui arracher un juron d'effroi. Puis, un rire. Un rire mélangeant douceur et causticité pour offrir à l'oreille un résultat déconcertant.

— C'est ta serviette.

Sur le point de piquer un fard – de colère ou de gêne, il n'était pas encore sûr de son choix –, Arthur enroula la serviette autour de ses hanches et s'avança d'un pas rageur. En temps normal, les douches étaient désertes – et Arty était d'une pudeur extrême.

— Putain de... jura-t-il entre ses dents, estomaqué.

Aristote sortit de la pénombre entourant la porte des vestiaires pour s'avancer et laisser aux néons le loisir d'inonder son visage souriant.

— Tadaaa ! chantonna-t-il en levant les bras au ciel.

Les ampoules clignotaient et marbraient son visage d'ombres qui le rendaient effrayant. D'où il était, Arthur apercevait le tatouage dans son cou : un grand œil noir dessiné dans un style très minimaliste et épuré.

— Tadaaaaaa, répéta Aristote dans un sourire jubilatoire.

Arty voulut riposter mais ne réussit qu'à rester pétrifié, les doigts accrochés au tissu rugueux de sa serviette. Les options s'entre-déchiraient à l'intérieur de son crâne et lui donnaient l'impression de tituber : devait-il s'enfuir comme un lâche après l'avoir bousculé ? Ou s'emparer de sa veste afin de couvrir son buste nu ? Devait-il partir d'un grand éclat de rire ? Ou s'effondrer sur le sol ? Pour faire court : Arthur freezait. Littéralement.

— « Je suis l'oeil qui voit tout », fut l'unique phrase qu'Arty réussit à prononcer – et ce n'était pas davantage qu'un murmure. Saul disait ça. Ce n'est pas une phrase qu'on oublie, hein ?

Aristote lui sourit d'un air agréablement satisfait.

— Mon père n'est pas un homme qu'on oublie facilement, fit-il en s'avançant.

Cette fois-ci, Arthur s'abandonna à l'hystérie, éclatant de rire sans plus réussir à se contrôler. Depuis le début de cette histoire rocambolesque, il n'avait souhaité – non, exigé ! – qu'une seule chose : rester loin d'Aristote. Rester loin de l'ouragan qu'il était, rester loin des ficelles qu'il tirait dans l'ombre. Rester loin de ce marionnettiste aux sombres desseins.

— T'as changé, Arty.

Arthur voulut serrer les poings. Il ne serait pas le pantin d'Aristote. Voulut s'éloigner. Il ne serait pas le pantin d'Aristote. Voulut s'enfoncer dans les profondeurs de la terre. Il ne serait pas le pantin d'Aristote. Il se le répétait inlassablement, comme un mantra.

— Tu pensais pouvoir m'éviter combien de temps ?

Aris continuait d'avancer avec la grâce bestiale d'une panthère noire. Quand il avançait d'un pas, Arthur reculait d'un pas. Jusqu'à ce que son dos finisse par buter contre un mur. Le bruit sourd qu'émit l'impact de sa colonne vertébrale contre le béton fit s'agrandir le sourire d'Aris.

— Je t'évite pas, bredouilla Arthur. J'ai simplement pas envie de te voir. Recule.

Il flippait. Aristote et hasard n'allaient pas ensemble. Et s'il était dans ces vestiaires avec lui, précisément aujourd'hui, dans ce contexte précis : ce n'était pas pour rien. Alors, Arthur flippait. Et se torturait les méninges.

— Je te savais pas si proche d'eux, dit Aristote.

Encore un pas. Arty ricana férocement. Il parlait forcément de Rory et Samuel.

— Tu mens.

Aristote admit sa défaite d'un haussement d'épaules désabusé.

— Soit. Je le savais. Ce qui m'avait échappé, en revanche, c'est ta petite excursion chez Gareth. Avec Rory. Je vais pas te le cacher : ça m'a emmerdé. T'avais pas à être là.

Arthur fronça les sourcils tandis qu'Aris en profitait pour avancer une ultime fois dans sa direction. Il sentit son parfum venir lui chatouiller les narines, y décela un souvenir d'autrefois qui lui tordit les boyaux et lui assécha la gorge. Probablement la mélancolie avait-elle cette odeur-là.

— Une excursion dont t'as été le guide, quand même, rétorqua Arty avec un peu plus d'aplomb et d'assurance. Et où est-ce que tu veux en venir ? Tu veux que je l'abandonne, que je le laisse seul dans cette merde ? Car il est pas le seul : on marche tous dedans, Aris.

Aristote dévoila une parfaite rangée de dents blanches, attendit de piéger le regard d'Arthur de ses yeux froids. Lui adressa un sourire désarmant et amusé.

— Je vais te dire ce que je veux que tu fasses, mais avant... est-ce que tu as peur, Arthur ? T'as les mains qui tremblent.

Le sang d'Arthur parut se glacer dans ses veines. Un carambolage d'émotions lui vrilla le crâne et il eut le sentiment que sa langue triplait de volume pour l'empêcher de répliquer.

— Je sais ce que t'essayes de faire, finit-il par articuler. Et tes tentatives d'intimidations débiles ne m'atteignent pas.

Aristote avait une palette de sourires – plus expressifs les uns que les autres – en stock. Pourtant, celui qu'il lui offrit fut teintée d'une émotion qui paralysa Arthur : le regret.

— Je crois que si, souffla Aristote, très bas.

C'était difficile à entendre.

Pour tous, mais surtout pour Arty.

Pour eux.

Après tout, Aristote avait été son meilleur ami.

DARK KINGWhere stories live. Discover now