9 : L'ARBRE ET LA POMME

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ARTHUR ET RORY commencèrent par suivre « l'énigme à la con » d'Aris, se mettant d'accord pour suivre Samuel s'il venait à disparaître pour la troisième fois le week-end prochain – à mijoter dieu sait quoi pour dieu sait qui et pour dieu sait quell...

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ARTHUR ET RORY commencèrent par suivre « l'énigme à la con » d'Aris, se mettant d'accord pour suivre Samuel s'il venait à disparaître pour la troisième fois le week-end prochain – à mijoter dieu sait quoi pour dieu sait qui et pour dieu sait quelle stupide raison. Le samedi soir, les deux comparses grimpèrent dans la voiture d'Arty pour conduire jusqu'à l'adresse indiquée par Aristote, Rory éprouvant un pincement au cœur à l'idée d'ignorer ses parents – juste en face – au profit d'un connard mystérieux et d'un sociopathe mort. L'idée même de reposer un pied dans cette baraque lourde d'un passé sanglant lui nouait les entrailles pour lui filer la nausée.

— Ça va ? l'interrogea Arthur quand ils furent garés à quelques pâtés de maisons. 

Blême, Rory opina du chef puis constata son air lugubre, ses lèvres pincées. Les pellicules de sueur qui marbraient sa peau d'étoiles irisées.

— Et toi ?

Arty fit la grimace, serra le frein à main.

— J'aime pas les histoires de fantômes.

Rory émit un petit gloussement ponctué d'une nervosité plus qu'évidente, les poings serrés sur son pantalon.

— C'était toujours éprouvant, de tomber sur lui.

Arthur n'avait pas besoin de lui préciser de quoi – ou plutôt de qui – il parlait, laissant ses yeux vagabonder sur le visage de son ami, laissant à ses iris l'opportunité d'accorder à Rory un peu de chaleur dans la froideur des mots que sa bouche prononçait.

— À force, je le sentais arriver. Avec Samuel, on reconnaissait son pas, les émotions que laissaient transparaître ses yeux plutôt que sa voix, l'excès de rage qu'il camouflait sous une gentillesse feinte, l'odeur de son parfum quand il traversait une pièce.

Rory fit une pause bourrée d'une hésitation angoissée.

— Avant de se mettre en colère, il coinçait toujours une mèche de cheveux derrière son oreille. Sauf qu'un jour, Samuel n'était pas avec moi. Et c'est derrière mon oreille qu'il a coincé une mèche.

— Attends, t'as déjà été confronté à Gareth sans Samuel ? l'interrompit Arthur d'une voix étranglée.

Rory rit jaune, un rire d'une amertume acide.

— Plusieurs fois. Il n'a jamais levé la main sur moi, par contre. Il se contentait des mots. Et ça suffisait, il le savait. Je crois même que ça l'amusait.

Arthur n'eut pas la force de le contredire – probablement parce que ça ne contentait pas seulement d'amuser Gareth : non, probablement s'en délectait-il, à l'époque. Le front de Rory se perdit contre la vitre froide de leur véhicule et un rond de buée l'envahit. Le disque brillant de la lune se reflétait dans ses yeux clairs comme un plissé de soie argenté.

— Ce jour-là, il s'est approché de moi, a coincé une mèche de mes cheveux entre son pouce et son index, l'a glissé derrière mon oreille en souriant et m'a dit : « tu sais, Rory, personne n'a le pouvoir de changer le caractère fondamental et profond d'un être humain. Et la pomme ne tombe jamais très loin de l'arbre, n'est-ce-pas ? »

Les muscles d'Arthur se figèrent, ses yeux sombres fouillèrent le regard de Rory pour finalement s'agrandir de stupeur quand un rictus inquiet peignit ses lèvres.

— Attends, attends, dit-il en se concentrant pour ne pas hausser le ton. Tu penses que ce qu'il essayait de te dire, c'est que Samuel... finirait comme lui ? Indépendamment de ce qu'il lui a fait subir, de l'impact que ta présence a eu sur lui ? Je vais te poser une question très simple, Rory.

Le blond haussa les sourcils, attendit. Voulut se tordre les doigts comme pour briser son anxiété, mais Arty lui asséna une tape indolore sur le dos de la main pour l'en empêcher.

— Est-ce que tu veux mon poing dans la gueule pour te remettre les idées en place ? lâcha-t-il le plus sérieusement du monde. Car t'as l'air d'en avoir besoin, mec.

— Ces derniers temps, quand il s'énerve, son regard... tenta-t-il d'argumenter, faiblement.

— Pour l'amour du ciel, Rory ! s'exclama Arthur en se cognant contre le volant. C'était son père ! Tu veux que je te dise ? Tu te tords les doigts comme ton père. Lors d'une dispute, tu fuis d'abord du regard – comme ta mère – avant d'affronter le problème, les yeux dans les yeux. Tu coupes ton jambon en dés, comme ton père, et tu as longtemps sucé ton pouce, comme ta mère.

Tout d'abord, Rory resta bouche bée. De surprise, d'admiration, de scepticisme. Puis, il sourit – insolemment, comme Samuel.

— Et t'utilises les vieilles expressions nulles à chier de ton père, ajouta-t-il.

— Exactement ! répondit Arthur en hochant fièrement le menton. Samuel n'est pas Gareth, OK ? Il n'a eu que lui, comme référence, quand il était gosse. Ça ne veut pas dire qu'il est destiné à devenir comme son père. D'accord ?

Et, alors que Rory acquiesçait difficilement – d'autres paroles empoisonnées continuaient d'infecter son esprit –, Arthur lui ébouriffa affectueusement les cheveux, comme pour en chasser définitivement le contact de Gareth.

— Allons-y, lança-t-il en bondissant hors de l'habitacle. On a un ouragan à apaiser, non ?

DARK KINGWhere stories live. Discover now