11 : POLAROÏD

1.5K 224 12
                                    

L'ANCIENNE MAISON de Gareth et Samuel restait inhabitée depuis leur départ, fantôme aux histoires glaçantes brandissant vers le ciel d'encre ses tuiles partiellement brisées

Oops! Questa immagine non segue le nostre linee guida sui contenuti. Per continuare la pubblicazione, provare a rimuoverlo o caricare un altro.

L'ANCIENNE MAISON de Gareth et Samuel restait inhabitée depuis leur départ, fantôme aux histoires glaçantes brandissant vers le ciel d'encre ses tuiles partiellement brisées. Pendant une minute interminable, Rory et Arthur restèrent les pieds ancrés sur le bitume du trottoir, à observer la façade rongée par la décrépitude et à se jeter des regards incertains. Puis, en activant l'option lumière de son téléphone, Rory aperçut un rectangle brun entre deux faisceaux de lumière précipités.

— Là ! chuchota-t-il à Arty, qui se débattait avec la fermeture éclair de sa veste. Sur la boîte aux lettres.

Il s'approcha d'un pas feutré, saisit le bout de kraft scotché sur le carré de métal – d'où dépassait un journal publicitaire humide – et le brandit sous son nez.

— Il est très théâtral, soupira Arthur en rabattant sa large capuche sur son crâne.

De fines gouttes de pluie commencèrent à tomber, battant l'atmosphère glacé d'un rideau brumeux. Les prunelles de Rory parcoururent l'écriture joliment déliée d'Aristote, semblèrent vouloir transpercer le papier cartonné pour en éventrer les mystères.

—  « Rory, si je te dis barbecue, à quoi penses-tu ?  », récita-t-il, un sourcil haussé comme pour exprimer son incompréhension.

Les yeux d'Arthur s'éclairèrent d'une flamme, rapidement balayée par un éclair de fureur froide.

— Ça me dit un truc.

Il sentit le regard lagon de son ami lui brûler l'épiderme, s'humecta pensivement les lèvres.

— Saul a organisé un barbecue pour Aris, déclara-t-il en fouillant sauvagement les combles de sa mémoire d'enfant. Pour son anniversaire.

Rory fut secoué d'un incontrôlable frisson tandis qu'une déflagration de souvenirs emprisonnait son esprit pour le clouer sur place, dans une posture ridiculement figée – à voir défiler derrière la chair de ses paupières une foule d'images colorées : lui, très jeune, galopant sur les talons d'un Aristote aux boucles soyeuses.

Des luminaires japonais multicolores caressés par le vent. Le grésillement d'une viande cuite par le feu. Un morceau de chocolat coulant sur sa langue. Arthur questionnant un Samuel toujours sombre, perpétuellement torturé. Une marelle tracée sur le parquet. La paire d'yeux vairons qui les narguait de par leur beauté, leur perfidie et leur sournoisie révoltante. Un teint crayeux et une chevelure de blé.

— Ça me revient, lâcha Rory en écrasant le message d'Aris entre ses doigts. Des bribes.

Arthur souffla fortement par le nez, l'air presque mélancolique.

— Les lampes japonaises étaient chouettes.

— Carrément, approuva Rory.

— Gareth a réellement cuisiné ?

— Difficile à croire. Saul, peut-être ?

Arthur fit la moue, moqueur.

— Nan, impossible. Saul a déjà raté des pâtes. Et de la purée.

Rory haussa nonchalamment les épaules.

— Gareth était un bon cuisinier.

— Il pouvait pas être mauvais partout, rétorqua Arty, espiègle.

Les deux garçons s'observèrent dans le blanc des yeux et l'esquisse d'un sourire parcourut les lèvres d'Arthur avant qu'ils n'éclatent tous les deux d'un bref rire salvateur.

— C'est un peu comme imaginer l'antéchrist cuisiner des cookies.

Cette fois-ci, Arthur rit à gorge déployée.

— On a fait plus crédible, admit-il.

Après une minute supplémentaire à se remémorer cette étrange journée d'été, les deux comparses s'engagèrent dans le jardin – dont la grâce ne résidait plus qu'en un arbre immense et décharné, royal et impérieux malgré son écorce abîmée et ses branches dénuées de leur couverture végétale ; aka l'ancien repaire de Samuel.

Rory visualisait parfaitement son petit-ami perché dans les branchages, à feuilleter inlassablement le conte rédigé par sa mère, frêle d'apparence mais puissant par les mots, par le regard, par la gestuelle. Probablement ces atouts étaient-ils l'héritage de Gareth, probablement se cachait-il derrière sa pathologie narcissique un esprit indéfectible, une solidité psychologique rare.

— Le garage est ouvert, intervint Arthur dans un murmure indistinct.

La pluie tombait plus férocement, désormais, fouettant leur capuche pour les plaquer contre leur nuque mouillée.

— Comment ça se fait ? demanda Rory en quittant l'arbre des yeux pour rejoindre son ami.

Arty n'eut pas la volonté de feindre l'étonnement, haussant juste assez les épaules pour exprimer sa lassitude.

— Théâtral, répéta-t-il sans prononcer le prénom d'Aris. Un mot était scotché sur la porte. Il a dessiné un clin d'œil dessus.

Ils levèrent simultanément les yeux au ciel, comme pour dédramatiser et apaiser leurs craintes avant de s'engouffrer dans le garage – d'où s'échappait une forte odeur de renfermée, le zozotement des mouches coincées dans les toiles d'araignée et le bruit d'une fuite irrégulière ; mais surtout : un fil à linge coupait le garage en deux pour déverser sur Arthur et Rory une panoplie de photos cornées – capturées à l'aide d'un Polaroïd.

— Putain, souffla Arthur, saisissant sa capuche d'une main pour la faire glisser sur son crâne dans un geste effroyablement lent. C'est quoi ce bordel ?

Sans réfléchir davantage – et ce malgré son cœur pulsant avec une intensité telle qu'il n'entendait plus les jurons d'Arty – Rory s'avança d'un bond pour décrocher hâtivement une photo. Sur le cliché plastifié et à la lumière de son téléphone portable, ses yeux tombèrent sur quatre visages juvéniles dont les traits étaient tirés par un large sourire innocent.

— C'est nous, fit Arthur d'une voix blanche. Je pige pas, Rory. Cet anniversaire avait l'air pas trop mal – pour une journée organisée par deux zinzins. Alors, putain, pourquoi mes souvenirs sont-ils si flous ?

Comme lui, Rory n'avait pas la réponse. Il se contentait de fixer la photo qu'il tenait entre les doigts, comme s'il espérait pouvoir remonter le temps, revivre cette journée, comprendre Aristote. En retournant le cliché pour souffler un coup, Rory aperçut une lettre tracée au feutre dans un coin délibérément corné. Un  « I ».

— Ramasse les photos, ordonna-t-il simplement à Arty. Aristote a pas terminé de nous faire tourner en bourrique comme des cons.

DARK KINGDove le storie prendono vita. Scoprilo ora