8 : OURAGAN

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EN RENTRANT LES COORDONNÉES laissées par Aris sur le bout de kraft – longitude et latitude, comme Rory l'avait aisément deviné – le jeune homme sentit son cœur et sa détermination s'effilocher comme du tissu bon marché

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EN RENTRANT LES COORDONNÉES laissées par Aris sur le bout de kraft – longitude et latitude, comme Rory l'avait aisément deviné – le jeune homme sentit son cœur et sa détermination s'effilocher comme du tissu bon marché. Google Map affichait l'image d'un lieu qu'il connaissait par cœur : l'ancienne maison de Samuel et Gareth, qui faisait face à celle de ses parents. Avec son arbre immense, son sanctuaire. Avec sa haie irrégulière et ses pétunias aux couleurs criardes, son garage étroit et son horrible perron de béton préfabriqué.

Concentré sur les photos satellites qui envahissaient son ordinateur portable, Rory sursauta lorsque son téléphone émit une vibration sonore contre sa jambe. Avec un soupir désabusé, il aperçut le prénom d'Arthur transpercer l'écran et faillit détourner les yeux pour abandonner l'idée d'ouvrir son SMS. Ils ne s'étaient pas donnés de nouvelles depuis leur dispute du KINƎTO et il planait sur leur amitié un océan de non-dits qu'ils n'osaient pas traverser. Une seconde vibration et Rory cédait à l'appel silencieux d'Arthur – qu'il appréciait trop pour l'ignorer davantage.

DE : ARTY(chaut) ; À : RED KING

« pourquoi Samuel débarque chez moi en ayant l'air d'avoir envie d'immoler tout ce qui a le malheur de croiser son regard ? » (18:15 PM)

« AH, et le point important : pourquoi a-t-il proposé à Aris de venir poser son cul dans mon salon ? Je pensais avoir été assez clair » (18:16 PM)

Nouveau soupir, agacé celui-ci. Rory était épuisé à l'idée d'entretenir un énième secret dans les coins déjà encombrés de sa tête.

DE : RED KING ; À : ARTY(chaut)

« ramène plutôt ton cul dans mon salon, dans ce cas » (18:17 PM)

DE : ARTY(chaut) ; À : RED KING

« dieu merci t'es le plus sain d'esprit des deux »  (18:20 PM)

Quand Arthur et son air désolé débarquèrent finalement chez lui, une demi-heure plus tard, les deux garçons s'observèrent d'un air gêné ; l'un à se triturer sauvagement les doigts et le second à lui intimer silencieusement d'arrêter – avec regard courroucé en prime. Rory percevait sans les entendres les ricanements d'Aris, à se moquer du maelstrom d'emmerdes que sa présence semblait provoquer chez les personnes qui le côtoyaient – de près comme de loin. Finalement, Arthur rompit le silence.

— J'suis désolé de m'être emporté la dernière fois, souffla-t-il nerveusement. Ça me ressemble pas.

Rory voulut balayer ses excuses d'un geste de la main nonchalant, mais Arty s'en empara pour interrompre son geste.

— Je suis sérieux, insista-t-il en relâchant doucement son poignet. Aris est peut-être un connard, mais je suis un véritable enfoiré.

Rory fit la moue, fouilla dans sa poche et en retira deux bouts de papier kraft maladroitement repliés.

— Apparemment, moi aussi.

Et il lui expliqua tout, ne s'arrêtant que pour lui laisser le temps d'assimiler les informations dont il le bombardait : les SMS étranges envoyés par Aristote à Samuel après sa disparition, son impulsivité à vouloir le rencontrer pour en percer les mystères, sa lâcheté en l'apercevant pour la première fois depuis des années devant le KINƎTO, le premier message qu'il lui avait laissé après l'avoir aperçu caché derrière une voiture, leur rencontre brève mais caustique, ses paroles tranchantes et énigmatiques avant qu'il ne lui glisse entre les doigts un second message.

— Je te connais depuis quoi, l'âge de quatre ou cinq ans ? demanda Arty quand il eut terminé.

Rory réfléchit une seconde avant d'acquiescer. Il oubliait souvent qu'Arty avait toujours plus ou moins fait partie du paysage de sa vie.

— Aris a emménagé près de chez moi quand j'avais six ou sept ans, reprit-il en examinant les bouts de kraft. Je pense que c'est à ce moment-là qu'il s'est passé quelque chose.

Rory ouvrit de grands yeux étonnés.

— Tu veux dire qu'on a tous les quatre déjà été ensemble ?

— Ouais.

— Ça me dit rien.

— Idem, avoua Arthur, et son regard explosait littéralement de frustration. Mais je pense pas qu'il nous reproche à tous la même chose. J'ai un passif avec Aris, Samuel aussi. Mais tu le connais à peine.

Rory n'hésita qu'un très bref instant à bafouiller les mots qui lui brûlaient la langue.

— On devrait peut-être aller voir son père.

En écoutant sa proposition, Arthur se rembrunit instantanément.

— Non, trancha-t-il d'un ton cassant. Hors de question. Par contre, on peut suivre son énigme à la con. Ou tenter de suivre Samuel ce week-end.

Rory n'eut pas besoin d'analyser l'expression crispée de son visage pour comprendre qu'Arty lui cachait quelque chose.

— T'es pas complètement honnête avec moi, hein ?

— Ça n'a rien à voir avec tout ça, OK ? assura-t-il en braquant aussitôt sur lui une paire d'yeux d'une intense couleur bleu nuit, à la limite du noir. Je te le promets.

Rory soutint longuement son regard avant de céder, détournant les yeux pour laisser à ses lèvres le plaisir de soupirer pour la millième fois.

— Aristote est un putain d'ouragan.

Arthur lui sourit tristement et prononça des mots qui restèrent douloureusement gravés dans l'esprit de Rory.

— Et nous sommes l'océan qui l'avons fait naître.

DARK KINGWhere stories live. Discover now