5 : FILATURE

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PLANQUÉ DERRIÈRE UNE voiture mal stationnée sur le trottoir, Rory hésitait, se tordant furieusement les doigts dans l'unique manche du sweatshirt rouge foncé piqué à Samuel

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PLANQUÉ DERRIÈRE UNE voiture mal stationnée sur le trottoir, Rory hésitait, se tordant furieusement les doigts dans l'unique manche du sweatshirt rouge foncé piqué à Samuel. Le vent balayait ses cheveux cuivrés contre son front et lui rougissait les pommettes quand il aperçut enfin Aristote qui s'avançait d'un pas tranquille vers le KINƎTO, une cigarette à moitié consumée se baladant entre ses lèvres. Cependant, Rory hésitait toujours.

Aristote avait changé - à n'en pas douter : son crâne était entièrement rasé, dénué des bouclettes qui bondissaient autrefois à son sommet, et un tatouage encrait la peau délicate de sa gorge comme une cicatrice ténébreuse. Affublé d'un pull informe et d'un short kaki, le jeune homme s'engouffra dans le cinéma surchauffé après avoir préalablement balayé les alentours de son regard argenté. Et Rory hésitait toujours - figé sur place.

Il avait discrètement vérifié : Samuel n'avait pas recontacté Aris depuis dimanche ; « sa vieille connaissance de la fac » s'attendait donc à le rencontrer sur une banquette du KINƎTO dans les prochaines minutes - or, Rory commençait à douter de l'efficacité de son plan. En réalité, il n'avait pas réellement réfléchi à la suite du programme instable dans lequel il s'était lancé. Pour conclure : il n'avait pas de plan, enfin pas à proprement parler.

Comment était-il supposé engager la conversation avec un type qu'il : a) n'avait pas revu depuis des années, b) à qui il n'avait jamais vraiment adressé la parole - la faute à Gareth, et c) qui ne s'attendait certainement pas à tomber sur lui ? En rassemblant le puzzle de SMS qu'Aris avait envoyé à Samuel, Rory présumait que son petit-ami avait - d'une façon ou d'une autre - contrarié Aristote, tout en passant avec lui une excellente soirée. Ponctuée de regrets et d'un événement idiot passé sous silence, mais une bonne soirée tout de même.

Alors, quand Aris quitta le KINƎTO moins de cinq minutes plus tard, Rory n'osa pas esquisser le moindre geste, interloqué quant à la brièveté de son apparition. Il se contenta de l'observer, d'observer sa carrure svelte et sa posture impeccable, d'observer son tatouage indistinct. D'observer la courbure malicieuse de ses lèvres, de ses yeux plissés. Jusqu'à ce qu'il s'arrête, pivote et lui adresse un large signe de la main, le poussant à faire un bond magistral en arrière pour s'accroupir derrière le capot, cramoisi de gêne. Il ne quitta cette position que pour piquer un sprint jusqu'au KINƎTO.

Le regard résolument braqué sur ses chaussures, il s'avança et découvrit un bout de papier kraft issu du stand de maïs soufflés posé sur une table, plié en quatre. Rory s'en était douté à l'instant où Aris s'était retourné pour le saluer d'un air goguenard : s'il l'avait vu, pourquoi n'aurait-il pas laissé un mot à son attention ? Ce n'était là qu'une supposition, désormais avérée : Aris lui avait laissé un message. Rory ne savait pas ce qui l'embarrassait le plus ; qu'Aris ait grillé sa pitoyable cachette en l'espace de trente secondes ou qu'il n'ait pas été assez courtois pour lui adresser directement la parole.

Comme s'il n'en valait pas la peine. En constatant que cette dernière supposition lui serrait le cœur et lui tordait les intestins, Rory fondit sur le bout de kraft, prêt à l'oublier. Ses doigts caressèrent la texture légèrement cartonnée du message, s'attardèrent sur les plis, l'encre que l'on devinait derrière l'épaisseur de papier brun. Il le fit rouler entre ses phalanges pour finalement le déplier brusquement. C'était court, concis. D'une intense sobriété. Ça remua chez lui quelque chose d'impensable et d'incontrôlable, quelque chose qu'il ne réussit pas à imager, à quantifier. À contrôler.

« tu as fais un choix il y a quinze ans, pourquoi revenir dessus aujourd'hui ? »

D'un côté de la feuille. Et de l'autre :

« tu n'as pas à t'en mêler »

Et enfin, dans un coin, rédigé de façon à ce qu'il puisse le rater - avec un peu de négligence :

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DARK KINGWhere stories live. Discover now