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La respiration de Nathan était un raclement régulier, désagréable mais rassurant. Il dormait paisiblement. J'avais changé la poche de sang il y avait à peine moins d'une heure. Il était encore tôt finalement, à peine minuit. Pourtant, je somnolai devant l'écran de l'ordinateur. J'avais peur de ne pas réussir à m'endormir et, dans le doute, je préférais piquer du nez devant une série.

Dors Myriam, je veillerai sur toi.

Loup des Rêves, m'emmèneras-tu chasser ce soir ? J'aimerais oublier cette cellule pour quelques heures.

Je sentis son assentiment. Je soupirai, pas vraiment motivée ou convaincue, mais je n'avais pas grand-chose de mieux à ma disposition. D'une main lasse, je repliai l'écran du portable et m'allongeais sous la montagne de couverture qui me protégeait à peine de l'humidité ambiante.

Je restai coincée, les yeux grands ouverts dans le noir, à écouter l'obscurité et la respiration difficile de Nathan. Je sentis Loup des Rêves se rapprocher de moi.

Myriam ? Myriam, écoute-moi et ferme les yeux. Je vais t'aider.

Respire, profondément, avec ton nez. Encore une fois... Et une fois de plus... Très bien. Maintenant, imagine un sentier, doux et accueillant, qui chemine dans une forêt agréable. Il peut faire jour si tu préfères. Voilà, tu avances sur ce chemin, je marche devant toi, tu n'as qu'à me suivre.

Sens cette légère brise qui caresse notre visage et agace tes cheveux. Écoute le craquement des petits cailloux sous les semelles de tes chaussures. Le bruit des branches qui ondulent doucement dans les arbres. Le bruissement de petits animaux qui gambadent, confiants et volontaires, dans les fourrés.

Avance, d'un pas tranquille. Tu sens comme c'est agréable de cheminer sur ce sentier ?

Avance.... Encore... Un pas après l'autre...

La nuit était incroyablement lumineuse, la lune inondait d'argent le blanc de la neige. Il avait neigé ! Folle de joie, je me mis à courir au hasard, le plus vite possible, parfaite illustration de l'expression "ventre à terre". J'étais tellement heureuse ! Le froid croustillant, la buée que ma gueule soufflait dans la nuit, la lune qui chantait sa joie. C'était parfait ! Tellement loin de l'endroit sombre et puant que je venais de quitter. Ayant suffisamment exprimé mon enthousiasme, je finis par me laisser tomber dans la neige et m'y roulai avec délectation. Il n'y avait rien de meilleur au monde. À part peut-être une chasse dans la neige... ? Subitement intéressée par l'idée, je me redressai, ma queue battant joyeusement de gauche à droite.

Je fermai ma gueule pour que le bruit de ma respiration n'interfère pas et tendit l'oreille avec attention. Il y eu tout d'abord les bruits normaux d'une forêt la nuit. Une chouette hulotte au loin. De petits animaux se promenant sous la neige fraîche. Un groupe de sanglier, un kilomètre à l'est, fouillant le sol sous un vieil arbre et... Oh, voilà, un jappement ! Deux kilomètres au nord. Rouvrant la gueule, souriante de toutes mes dents, la langue pendante par-dessus ma babine gauche, je me mis en route dans la direction de mes amis.

La forêt était tellement belle ce soir. Je ne m'étais pas sentis aussi détendue et confiante depuis des jours. J'appréciai chaque instant de ma progression dans le sous-bois. La joie étirait mes babines dans un sourire lupin conquérant.

Je sentis l'odeur de sang frais avant l'odeur des loups. Ils avaient déjà chassé et avaient réussi. Un chevreuil. Pas trop mal pour trois loups. Tous des mâles. Je ralentis un peu l'allure et me fondis dans l'ombre.

Couchée sous des genêts et dans le sens du vent par rapport à eux, j'étais invisible à leurs sens et bien placée pour les observer. Il faut dire que ça valait le coup d'œil ! Il y avait un très beau loup blanc qui se tenait un peu à l'écart. Il était allongé sur un rocher qu'il avait débarrassé de sa neige, la tête reposant sur ses pattes avant il regardait d'un œil absent les deux autres loups qui jouaient avec enthousiasme. L'un d'eux était un grand loup doré, les yeux d'un jaune très clair et à la force brute. L'autre était plus petit, de ce noir cendré que les anglophones appellent "black phase", des yeux d'ambre et une énergie pétillante. D'ailleurs, il était en train harceler le plus grand, lui posant une patte sur l'épaule et le heurtant du poitrail, la tête très haute, avant de s'éloigner d'un bond et de recommencer. Le loup doré, de bonne composition, répondait aux provocations de son compagnon noir avec nonchalance. Il faisait des mouvements immenses, assez lents et exagérés plein de pattes, de dents et de bruits, mimant un combat entrecoupé d'appels au jeu. De temps en temps, les deux loups chargeaient l'un vers l'autre comme des chevaux de guerre et le bruit mat de leur rencontre raisonnait dans la forêt alors que la neige soulevée par leur course flottait toujours dans l'air cristallin.

Le Chant de la LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant