Chapitre 1 - Nathan

Depuis le début
                                    

Je laissai échapper un soupir et fis trois tours supplémentaires de la boutique pour échapper à mes fantasmes.

Il n'était que dix-huit heures douze, alors, poussée par l'oisiveté et parce qu'il était le seul autre être vivant de la boutique, je m'approchai du jeune homme qui feuilletait une BD, bien installé dans un des fauteuils du salon de thé.

Bon, il était vraiment jeune finalement. Un peu trop jeune, à vrai dire. Il devait avoir seize ou dix-sept ans tout au plus. Il avait négligemment abandonné un sac à dos à ses pieds, les habits propres mais un peu trop grands pour lui, les baskets usés, les cheveux châtains un chouilla trop long et le visage fermé. Il avait le teint un peu maladif des jeunes qui passaient trop de temps devant un ordinateur et pas assez dans leur lit. Il pourrait être un ado en train de sécher ses cours.

Mais qui irait sécher ses cours pour aller boire du thé et lire des bandes dessinées dans un magasin de livres d'occasion ?

Intriguée, je décidai de tenter une approche, ça m'occuperait bien quelques minutes.

« Sale temps, hein ? »

Il referma sa BD et me lança un regard suspicieux. En même temps, impossible de le lui reprocher. Après quatre heures à lui laisser une paix royale, subitement je venais lui tailler une bavette.

« Ouais plutôt. Est-ce que la boutique ferme maintenant ?

– Ah non, pas du tout, on ferme à dix-huit heures quarante-cinq tous les jours.

– Ah ok. Cool. Euh, je reprendrais bien un thé. »

Mince. Évidemment. Il croyait que je venais le relancer parce qu'il n'avait rien consommé depuis trop longtemps. En même temps, il pouvait bien reprendre un thé toutes les deux heures, ce n'était pas comme si je le harcelais.

Je lui fis donc mon sourire le plus vendeur.

« Tout de suite ! »

Je ramassai sa tasse et allai lui mettre de l'eau à chauffer.

Il sent le loup.

Je me redressai un peu précipitamment, manquant de renverser la vaisselle qui m'encombrait les mains. L'adrénaline se déversa dans mon sang, poussée dans mes veines par mon coeur prêt à bondir de ma poitrine. J'avais beaucoup trop chaud. Un frisson me parcourut la colonne vertébrale.
La phrase avait eu la clarté de mots murmurés à mon oreille, mais personne ne les avait dits. J'avais sûrement dû rêver. Une sorte de micro-sieste foudroyante ? Un début de schizophrénie ? Je regardai autour de moi, sondant chaque rayon, essayant de trouver une explication moins inquiétante. En vain.

Je pris une profonde inspiration et repoussai mon angoisse. Il fallait se concentrer sur des choses simples.

Deux minutes plus tard j'étais de retour près de l'adolescent avec un plateau contenant le nécessaire. J'entrepris de disposer la tasse vide, la petite théière individuelle et le choix, restreint, de thés sur la petite table.

Il sent le loup.

À nouveau ce murmure dans ma tête. Je me figeai un instant de trop et le gamin baissa sa BD pour me lancer à nouveau son regard suspicieux.

Ok, ce n'était pas le moment de paniquer. Je lui souris en retour, essayant de paraître normale et avenante afin de ne pas laisser transparaître le trouble que je ressentais.

Cette fois, j'avais reconnu la voix. C'était celle de Loup des Rêves. Comme son nom l'indique, un loup que je rencontrais régulièrement dans mes rêves. Je n'avais jamais entendu sa voix alors que j'étais éveillée. D'ailleurs, comment pouvais-je entendre la voix d'un personnage onirique récurrent alors que j'étais en train de servir un thé à un jeune homme pâlichon ?

Le Chant de la LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant