Chapitre 1 - Nathan

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J'aimais mon travail. Vraiment. Mais, le vendredi, à dix-huit heures, j'avais toujours un peu de mal à ne pas tourner en rond entre les rayons.

Comme si marcher avait pu faire avancer le temps plus vite. Peut-être que le mouvement allait attirer quelqu'un d'intéressant dans la boutique. Quelqu'un qui aurait voulu, par exemple, nous revendre une merveilleuse première édition des « Fleurs du Mal.» Ou une personne qui aurait été à la recherche du tome manquant du cycle de Pern, celui qui aurait naturellement pris place dans sa collection, la complétant de la plus exquise des manières.

Ça, ça aurait pu m'occuper un petit moment et le temps serait passé plus vite.

Ça n'arrivait jamais.

Ou alors, si, le mardi soir à dix-huit heures quarante, cinq minutes avant la fermeture.

La journée avait été très calme. Un jeune homme était installé dans notre zone « salon de thé » depuis le début d'après-midi. Apparement, il cherchait plus à échapper à la pluie qu'à boire du thé, parce qu'il n'avait commandé que deux tasses en un peu plus de quatre heures.

Pour ma part, j'avais passé une grande partie de l'après-midi à faire des papiers, à peine interrompue par un étudiant venu se faire racheter ses livres de l'année précédente et une lycéenne qui cherchait la « Boussole d'Or » , lecture obligatoire pour un de ses cours. Merveilleuse époque. Deux ou trois appels. Rien d'autre ne brisa le silence, à part le tic-tac de la pendule rétro qui ornait le seul pan de mur dépourvu d'étagères.

J'avais fini de classer tout ce qui était classable il y a une heure et il n'y avait plus aucune notification sur mon téléphone depuis un bon quart d'heure alors j'avais commencé à marcher.

De toute façon, ici, il ne se passait jamais rien de renversant.

Cela faisait maintenant plus de vingt ans que les créatures surnaturelles avaient fait connaître au monde leur existence. D'abord les loups-garous, puis les vampires, puis tout un tas de trucs plus ou moins connus que les Nations Unies avaient regroupés sous l'appellation « peuples intelligents non humain », dit PINHU. Ça avait fait un ramdam de folie à l'époque.

J'avais tout juste sept ans et je me rappelle encore très bien les grandes manifestations pour ou contre l'exclusion des créatures surnaturelles de notre société humaine. Finalement, dans la très grande majorité du monde, c'est l'intégration qui avait été choisie par les gouvernements. Après tout, quand il y a des vampires dans les villes, autant les connaître et pouvoir leur imposer des règles strictes concernant leur approvisionnement en nourriture, plutôt que de les laisser chasser comme bon leur semble.

De nos jours, les PINHUs avaient même des représentants aux Nations Unies. Ils ne pouvaient évidemment pas voter, mais on les laissait prendre la parole sur tous les sujets qui les impactaient. Une fois les grandes manifestations finies, je n'avais sincèrement plus vraiment été touchée par leur présence dans la société. En fait, j'étais totalement incapable de déterminer si j'avais seulement déjà croisé un PINHU. Ils pouvaient tous se faire passer pour des humains normaux. Enfin, uniquement la nuit pour les vampires et à l'exception des nuits de pleine lune pour les loups-garous.

Il existait toute une littérature sur les créatures surnaturelles, certains auteurs se présentaient même comme étant l'une d'entre elles. Plus jeune, j'avais dévoré tout cela, rêvant qu'un ténébreux vampire tombe amoureux de moi, ou qu'un loup-garou viril m'enlève pour me faire sienne et régner sur sa meute. L'âge m'avait appris que ce genre de choses n'arrivait que dans les romans à l'eau de rose, principalement ceux à destination des adolescentes.

J'habitais en Lozère depuis maintenant trois ans. C'était un endroit merveilleux pour les amoureux de la nature. Les animations culturelles étaient plutôt sympas aussi, même si le choix restait restreint. Il y avait bien une meute de loups-garous installée un peu plus au sud, dans le cœur du parc national, mais, très sincèrement, ça ressemblait plus à une attraction pour touristes qu'à quelque chose de réel. Par contre, aucun vampire sur le territoire. Avec moins de dix-huit mille habitants dans la plus grande ville, il n'y avait pas de quoi les nourrir correctement. C'était bien dommage, parce que c'était exactement le genre de fin de journée qui aurait pu être égayée par un vampire ténébreux et sexy.

Le Chant de la LuneOnde as histórias ganham vida. Descobre agora