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ANNABELLA

Je me laissai tomber en arrière dans mon fauteuil. 

- Tu essaies de me faire croire que tu n'y es pour rien ? demandai-je à Susan. Le projet GCECM était l'idée du Conseil, alors bien sûr, nous avons gardé un œil sur eux. Et nos sources assurent que des démons étaient présents sur l'île. 

- Ce n'était pas moi, assura Susan en détournant le regard. 

- Alors qui ? demandai-je en me penchant vers l'écran. Qui a donc pu aller sur cette île, et forcer les garous à se retourner contre nous avant que je n'aie pu parler ?

- Des rebelles, lâcha la démone. J'ai quelques difficultés avec eux en ce moment. J'essaie d'étouffer tout ça, mais rien ne peut t'échapper. Tu fourres toujours ton nez partout. 

Je secouai la tête jusqu'à que je comprenne ce qu'elle venait de dire. 

- Attends, quoi ? Tu me reproches de fourrer mon nez partout ? m'indignai-je. Tu te fiches de moi ? 

- Oh, madame la Suprême va-t-elle encore abuser de son titre ? fit Susan d'un ton railleur. C'est toi qui avait gagné la guerre. C'est moi qui voulait la paix. 

- On la voulait toutes les deux Susan, coupai-je. 

- Mais c'est moi qui ai proposé un armistice, contra-t-elle. Et depuis, ces gens ne me pensent pas capable de rester à la tête des démons. Ce sont des extrémistes, et je vais t'avouer que je ne dors plus tranquille. J'ai déjà un successeur, et je m'inquiète pour nous deux. Ils préféreraient avoir l'un d'entre eux à notre tête, ou même te rejoindre. 

Il y eut un silence durant lequel je lui posai une question silencieuse. Pourquoi ne voulait-elle pas rejoindre l'alliance avec la Suprême ? Je devais bien savoir qu'elle ne pouvait pas. Mais pourquoi n'avait-elle même pas essayé une seule fois, lorsqu'Erika était au pouvoir ? Elle savait que je ne lui aurai jamais pardonné ce qu'elle avait fait. 

Elle avait raison. J'étais incapable de pardonner ce qu'elle avait fait à Julian, ce qu'elle avait fait à mon enfant. 

Elle soupira. 

- Je vois très bien que tu as du mal à me regarder dans les yeux. 

- Je ne sais pas si tu te rappelles de ce que tu as fait, raillai-je. 

- Est-ce que toi tu te souviens de ce que tu as fait ? répliqua-t-elle. De tous les démons que tu as tué ? Tu as presque décimé mon peuple !

- Et leurs visages me hantent toutes les nuits ! m'exclamai-je en haussant le ton. Mais je te rappelle que ton peuple s'est aussi battu contre le mien. Et nous aussi avons souffert. Mais cette discussion ne mène à rien. 

Il y eut un autre silence. Elle enfouit son visage entre ses mains, et je regardais ailleurs. Je ne savais pas vraiment pourquoi je laissais la communication ouverte. Susan avait l'air de vouloir me dire quelque chose, mais semblait hésiter. 

- Je pense que Gabe devrait accéder au trône, lâcha-t-elle. Il a de bonnes idées, et il serait vraiment un bon roi. 

- Qui ? interrogeai-je. 

- Mon successeur, rappela-t-elle. Il était au bal. 

- Ah oui, me souvins-je. 

Et c'était vrai. Je voyais de qui il s'agissait : un jeune homme à la peau noire, habillé de blanc. Je me souvenais de m'être demandée s'il était vraiment un démon, puisqu'on ne voyait pas ses veinules noires. 

- Ecoute, soupira-t-elle. Tu ne seras pas d'accord avec tout ce que je vais dire, mais ne m'interromps pas, s'il-te-plaît. Est-ce que tu peux enregistrer la vidéo ? 

-Je suis toujours en train d'enregistrer, déclarai-je. 

- Ça ne m'étonne pas de toi...

Le plan de Susan était très mauvais, mais il pouvait fonctionner, et m'arrangeait étrangement. Même si d'un autre côté, je ne pouvais moralement pas le laisser faire. 

- Annabella !

Isaac s'avançai vers moi, une main dans les cheveux. Je soupirai. 

Mon agaçant petit frère. 

- Qu'est-ce que tu veux ? soupirai-je.

- Tu n'as pas l'air très heureuse de me voir, fit-il, déçu.

Je soupirai à nouveau. Je ne voulais pas le blesser, même s'il était vraiment agaçant et que j'avais été très heureuse de ne pas le voir pendant quelques jours. Il restait mon frère et personne ne méritait d'être mis à l'écart. Surtout un enfant de Cronos que le Titan comptait sans doute utiliser, comme il avait l'habitude de le faire. 

- J'ai mes problèmes de Suprême, expliquai-je brièvement. Beaucoup de politiques, des dirigeants tordus, des groupes de rebelles...

- Est-ce que je peux aider? proposa-t-il. 

J'éclatai de rire. 

- Je ne pense pas que quiconque puisse m'aider. Je vais juste laisser une pile de problèmes à la prochaine Suprême, tant pis pour elle.

Il rit, ce qui me fit moi-même sourire. Je parvenais même à apercevoir quelques ressemblances physiques entre nous deux, en plus de nos yeux. 

- Depuis que tu as... enlevé ce Brouillard...

- La Brume, corrigeai-je.

- Oui, ça. Depuis que l'as enlevée, depuis que j'ai ces yeux, c'est vraiment bizarre. J'ai l'impression de ne plus voir la même personne dans le miroir. 

- Je te comprends, confessai-je. J'ai eu un problème similaire, et c'était plutôt compliqué. 

- Et j'ai une famille, maintenant, ajouta-t-il. 

- Une très grande famille, assurai-je. Beaucoup de héros. Et tu en seras un aussi, Isaac.

- Comment tu peux le savoir ? 

- Parce que, à la colonie, nous sommes entraînés à en devenir. Bien sûr, certains tournent mal, comme Luke l'a fait, par exemple. 

- Qu'est-ce qu'il a fait, exactement ? demanda mon frère.

- Il a fait revenir Cronos parce qu'il haïssait les dieux. Je ne peux pas lui donner tort, les dieux sont une belle brochette de bâtards surpuissants, mais Cronos est pire. Heureusement, Luke s'en est rendu compte, et a fini par se sacrifier. 

- Je pensais que tu parlais du Luke qui est ici, rit Isaac en se sentant tout à fait ridicule. 

- On parle du même, fit Annabella en hochant la tête. Je l'ai ramené, et je ne sais pas du tout si c'était une erreur ou une bonne chose.

Il garda le silence avant de bégayer qu'il valait mieux être vivant que mort, ce qui me fit rire. 

- Tu n'as pas tort là-dessus, mais je dois y aller. Heureuse de t'avoir parlé.

Je l'ai quitté, mais j'ai regretté d'avoir tourné dans ce couloir, puisque j'y avais croisé Luba. Je l'avais simplement ignorée. Nous n'avions plus de travail ensemble, et avions arrêté de nous parler. Je me sentais un peu coupable d'avoir fait exactement ce qu'elle avait prédit, et de mettre immédiatement réfugiée chez Luke quand j'avais eu besoin de quelqu'un, mais il y avait un lien très fort entre lui et moi, à mon grand déplaisir. 

[TOME 4]L'Amour du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant