Chapitre 54 ✅

112 19 16
                                    

Ce fut une seconde journée à ne rien faire du tout, autre qu'endurer Télio. Mais étrangement, ce fut presque facile. Peut-être que l'effort de notre petit voyage lui faisait mal dans la hanche, ce qui coupait ses envies de plaisanter. Peut-être le souvenir de tous ces clones assis en cercle devant nous avait un rôle à jouer. En tout cas, c'était la première fois que je voyais Télio aussi silencieux, et je ne m'en plaignais pas du tout.

Le plus pénible de cette journée fut de supporter mon estomac qui grondait toujours de plus en plus fort. Car, malgré la forêt entourant le sentier, je n'avais trouvé aucun arbre fruitier, et en peu de temps, le désert avait repris sa place... sa très grande place. La seule chose qui m'aidait à oublier la faim était de me dire que Télio n'avait rien mangé depuis bien plus longtemps que moi, et qu'en prime, il avait perdu beaucoup de sang.

Quand la rivière fût enfin en vue devant nous, la soirée était déjà entamée. D'ici, le temps restant pour arriver au village de Télio était trop court pour prendre la peine de le suivre, et j'allai donc continuer vers la Digora, mais Télio m'interpela en premier. C'était ses premiers mots depuis ce matin, avec les autres clones.

— Tu devrais attendre qu'il fasse noir avant d'entrer dans la ville. Tu peux être sûr qu'ils...

Télio fit une pause, cherchant peut-être une façon douce de me dire la chose.

— Ça va, je sais, dis-je. Je peux me débrouiller.

— Dans tous les cas, ne fais rien d'idiot.

— Rien que t'aurais fait.

Télio grimaça un sourire, puis continua son chemin vers la rivière. De mon côté, j'allai vers la droite, en direction de Digora, encore en marchant. J'aurais voulu me transformer et m'envoler, ce qui aurait raccourci ma route de moitié et même plus, mais de toute façon, Télio avait raison. Qui sait, peut-être qu'ils ne garderont aucune charge contre moi. Mais soyons réalistes ; mes chances étaient nulles.

Quand il se mit enfin à faire de plus en plus sombre, j'étais arrivé à la forêt entourant le côté est de Digora. Les chauvesouris étaient déjà réveillées, car j'en remarquai quelques-unes passer près de moi - une se posa sur ma tête, me tirant une mèche de cheveux au passage, avant de repartir. Je pris un moment pour les regarder s'éloigner, puis me transformai. Je n'y tenais plus ; peu importe si quelqu'un me voyait. Je devais manger quelque chose.

En survolant la ville, j'observai nerveusement dans toutes les directions ; j'avais peur qu'un garde sorte de nul part et de me tire dessus. Mais il faut croire qu'il faisait déjà assez sombre pour qu'on ne me voie pas, ou à la limite, qu'on ne puisse distinguer ce que je suis, entre une chauvesouris rousse, une noire comme il y en a des milliers dans la région, ou un quelconque oiseau. Mais rien ni personne ne m'empêcha d'atteindre ma destination ; la serre. Tant pis pour les restos, moi, c'était directement à la source.

En y arrivant, elle était fermée. Bien sûr, tous les gens qui y travaillaient étaient repartis chez eux. Je volai tout autour de l'endroit, à la recherche d'une fenêtre... mais le bâtiment, où le toit et chaque mur étaient faits d'un plastique clair, ne comptait aucune ouverture. Il n'y avait que deux portes, à chaque extrémité. Et toutes les deux étaient fermées.

Sans me laisser décourager, je me posai au sol et, toujours sous ma forme de chauvesouris, fit une petite entaille dans le plastique, juste assez grande pour me permettre d'y entrer. J'atterris dans une rangée de fraises et, sans même prendre la peine de regarder les autres choix qui s'offraient à moi, me mit à manger tout ce que je pouvais. Avec un peu de chance, demain, les travailleurs croiront que c'était une souris. Mais j'avais des doutes.

Miö (En Réécriture)Where stories live. Discover now